Dans ces vallées où le foncier se fait parfois rare du fait de la topographie des territoires, la question est désormais de trouver comment reloger les habitants et les entreprises sinistrés. Tour d'horizon des 13 communes touchées par le passage de la tempête Alex.
Ce mardi 4 mai, le ministère de la transition écologique a mis en ligne le porter-à-connaissance établi suite au passage de la tempête Alex dans les vallées de la Tinée, de la Vésubie et de la Roya. Sur cette cartographie sont représentées les zones rouges (exposition directe), orange (exposition rapprochée) et jaune (analyse au cas par cas).
Dans un document publié en ligne, la préfectures des Alpes-Maritimes détaille la méthodologie utilisée pour réaliser ce porter-à-connaissance (à télécharger grâce au lien ci-dessous).
Recommandations de la préfecture des Alpes-Maritimes suite à la tempête Alex (porter-à-connaissance)
Ces trois zones ont été définies grâce à des orthophotos et des photographies aériennes prises dans les jours qui ont suivi Alex, des expertises de terrain sur l'intensité des phénomènes observés et l'exposition des bâtis dans les trois mois qui ont suivi et du diagnostic bâtimentaire réalisé dans les deux mois après la tempête. La délimitation de ces zones peut être modifiée et réajustée par le représentant de l'Etat.
- La zone rouge représente le lit majeur de la rivière, c'est-à-dire la largeur de la rivière au plus fort des intempéries. Elle définit une zone "où des phénomènes particulièrement dangereux pour les vies humaines ont été observés ou sont manifestement susceptibles de se produire". Elle rassemble tous les bâtiments classés noir ou rouge, c'est-à-dire totalement ou partiellement détruits, ainsi que ceux "considérés comme soumis à une exposition 'très forte' au risque" même s'ils n'ont pas été impactés par la crue d'octobre 2020. La zone rouge est désormais inconstructible.
- La zone orange est une bande de 10 mètres tracée autour de la zone rouge ; c'est une "zone instable susceptible d'évoluer défavorablement en raison de sa proximité immédiate". S'y trouvent notamment des bâtiments classés en jaune ou vert par le diagnostic bâtimentaire et des bâtiments qui sont "faiblement à fortement exposés au phénomène torrentiel". La zone orange est désormais inconstructible.
- La zone jaune délimite une bande de 40 mètres autour de la zone orange car elle est "potentiellement exposée à des risques résiduels non négligeables dont il faut tenir compte". Comme en zone orange, s'y trouvent notamment des bâtiments classés en jaune ou vert par le diagnostic bâtimentaire et des bâtiments qui sont "faiblement à fortement exposés au phénomène torrentiel". La zone jaune reste constructible, mais sous conditions : une étude préalable à tout projet devra être réalisée afin de s'assurer notamment que cela n'"aggrave" pas le risque inondation.
Comment trouver votre parcelle cadastrale ?
Pour accéder à la carte : cliquez ici. Ce document officiel permet à chaque habitant de connaître la couleur appliquée à sa parcelle de terrain. Pour cela, il vous faut utiliser la localisation parcellaire (à gauche de l'écran) : renseigner Provence-Alpes-Côte d'Azur, puis Alpes-Maritimes, puis votre commune, la section cadastrale recherchée et, enfin, le numéro de votre parcelle.
Dans la section légende juste en dessous, passez votre souris sur "PAC du 31/03/2021 suite à la tempête Alex" et déplacez le curseur qui apparaît pour régler la lisibilité de la carte entre les zones du porter-à-connaissance et le fonds cadastral.
Lenteur et manque d'informations
Pour les habitations se trouvant au coeur de ces zones, des études et des discussions entre les propriétaires, leurs assurances, la mairie et l'Etat doivent décider si elles devront être détruites (entraînant l'application du Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), dit "Fonds Barnier") ou si elles sont de nouveau habitables moyennant parfois des travaux.
En clair, une maison située en zone rouge mais dont les fondations n'ont pas été fragilisées par la tempête Alex et qui conserve son accès restera habitable ; elle perdra néanmoins de sa valeur car aucun travaux nécessitant un permis ne sera désormais autorisé.
Parmi les habitants concernés, qui ont parfois des discussions tendues avec leurs assurances, certains se plaignent d'un manque d'informations.
Le porter-à-connaissance, on nous l'a fait voir, mais on ne nous l'a pas donné. Il n'y a pas de pédagogie.
Avec son épouse et son fils, eux aussi éleveurs, ils ont perdu deux bergeries lors de la tempête Alex. La famille n'est pas menacée d'expulsion (leur maison d'habitation n'a pas été touchée), mais avec deux bâtiments agricoles en moins et un troisième à consolider, si la zone rouge les empêche de faire des travaux, c'est l'existence même du troupeau de 800 brebis qui est en sursis dans la vallée du Cairos (Saorge).
Trouver du foncier
Sept mois après la tempête Alex, nous avons voulu faire le point sur l'impact de ces zones sur le foncier communal et le nombre d'habitations vouées à la destruction pour esquisser ce que deviendront ces communes de l'arrière-pays. Au moins 150 logements et des entreprises sont toujours sous la menace d'une destruction ; les maires espèrent en sauver le plus possible.
Car, dans ces vallées où le foncier disponible est parfois très limité, comme au Belvédère et à Tende, le relogement des habitants sinistrés est une problématique cruciale pour la vie et de la survie de ces villages.
Sollicitée depuis un mois, la préfecture des Alpes-Maritimes n'a pas souhaité nous répondre.
> Saint-Martin-Vésubie :
Dans cette commune qui a payé un lourd tribut en terme de maisons et de bâtiments emportés par la tempête Alex, il reste 85 constructions (dont des immeubles) dont l'avenir est en suspens. "Des digues de plusieurs mètres de haut vont être construites de l'entrée à la sortie du village pour protéger la commune et les maisons", explique Alain Jardinet, premier adjoint.
Ce dernier reconnaît que les nouvelles zones rouges et orange vont rendre "beaucoup plus contraignante qu'avant" la disponibilité du foncier de la commune. "Le trait rouge passe parfois derrière des maisons où l'eau n'est pas arrivée, alors on fait modifier, on ne fait que ça !", complète Yvan Mottet, le maire.
Je voudrais bien que le préfet vienne nous voir, qu'on puisse parler. Les gens commencent à devenir un peu agressifs. Les procédures sont trop longues et les services (bâtimentaire, SMIAGE...), pas toujours d'accord entre eux.
> Roquebillière :
Le long de la Vésubie, trois maisons d'habitations de cette commune sont menacées de destruction. "Un propriétaire a accepté le fonds Barnier, mais les deux autres ne veulent pas être expropriés", détaille Gérard Manfredi, le maire de Roquebillière.
"Les services de l'Etat disent que le coût des travaux est trop important pour que ces maisons soient à nouveau habitables." Quoi qu'il en soit, il sera toujours possible de reloger ces habitants sur la commune.
La deuxième problématique, c'est le devenir de huit entreprises, notamment deux centres équestres et un garage. Les animaux ont survécu et le Département propose une aide de 50.000 € pour chaque entreprise qui se relogerait dans la vallée. Mais trouver un endroit pour reconstruire les équipements détruits n'est pas évident.
La propriétaire d'un des centres équestres a besoin de 3 hectares et je n'arrive pas à les trouver sur ma commune. Le garagiste, lui, a un matériel important et besoin d'espace en hauteur.
L'élu roquebilliérois précise que ces démarches se font avec le soutien de l'Etat. "L'Etat joue vraiment le jeu pour nous aider à trouver des solutions. Il nous permet de reloger provisoirement des entreprises tout en modifiant en même temps le PLU (les Plans locaux d'urbanisme sont tous consultables en ligne)."
"Pour le bassin de baignade biologique, qui était très fréquenté, nous souhaiterions pouvoir le rouvrir pour l'été 2022. Pour cela, il faudra construire une berge de protection et l'Etat nous soutient dans cette démarche."
> La Bollène-Vésubie
Ce petit village de l'arrière-pays niçois construit sur un promontoire a peu été touché par des dégâts matériels. "Nous avons 4 habitations en bord de Vésubie", explique Martine Barengo-Ferrier, la maire. "Seule une résidence secondaire est en suspens : elle n'a pas vraiment été fragilisée dans ses fondations, mais elle se trouve désormais à flanc de talus depuis le passage de la tempête."
La présence de la station-service voisine, "qui n'a jamais cessé de fonctionner", a permis la réalisation de travaux de protection (talus et enrochement) de ces deux édifices. "Mais les services de l'Etat disent que la maison n'est pas encore totalement sortie d'affaire."
Les nouvelles zones rouges et orange du porter-à-connaissance (qui représentent une centaine de parcelles sur la commune) n'auront pas beaucoup de répercussions sur le foncier disponible car ces terrains étaient déjà inconstructibles. Mais "ils étaient essentiellement des terrains agricoles : une partie servait notamment de lieu de pâturage pour des vaches. Cela pose la question de la relocalisation des pâturages", précise Martine Barengo-Ferrier.
> Lantosque :
Dans cette commune de 1.300 habitants, le maire estime à une trentaine le nombre de logements menacés. Jean Thaon espère en sauver le plus possible.
Exemple avec ces deux maisons comportant 8 logements près du pont du Martinet, en bord de Vésubie. Leur destruction entraînerait des travaux de confortement de la colline que la commune "ne peut pas payer". "Si l'Etat fait une digue de protection, ça permettrait de trouver d'autres solutions que la démolition pour ces logements", assure l'édile. D'autant que tous les habitats ne sont pas assurés.
Pour Lantosque, c'est très important si on peut sauver des logements car 70-80% de notre territoire est en zone rouge à cause du sous-sol en gypse, comme toutes les communes de la vallée. À chaque fois qu'on perd cinq ou six logements, c'est catastrophique pour l'école, l'économie locale...
> Venanson :
À Venanson, "il va y avoir très peu d'impact sur l'urbanisme futur", précise Loetitia Loré, la maire. La Vésubie n'a pas atteint le coeur du village, situé en hauteur. Les nouvelles zones inconstructibles l'étaient déjà avant le passage de la tempête Alex. "Seuls un centre de vacances et des bungalows privés vont devoir faire quelques travaux." Aucune habitation n'est menacée de destruction.
> Belvédère :
"Pour l'instant, trois chalets vont être démolis. Les propriétaires sont d'accord", détaille Paul Burro, le maire de ce village perché du haut pays niçois. "Il y a d'autres maisons, moins d'une dizaine, qui n'ont pas été impactées par la tempête et qui sont dans une zone à risques."
Mais ce qui préoccupe l'édile, c'est la loi Montagne. "Ce texte nous empêche de construire s'il n'y a pas déjà des habitations autour. Aujourd'hui, nous sommes coincés par cette loi car nous n'avons pas assez de foncier disponible pour reloger les habitants."
Il faut que la loi Montagne soit réaménagée pour que l'on puisse construire et reloger les gens en toute sécurité. J'ai alerté à ce sujet la sénatrice Dominique Estrosi-Sassone et le préfet Xavier Pelletier.
> Utelle :
Dans ce village de 832 habitants, ce porter-à-connaissance n'aura pas beaucoup d'impact. "Nous n'avions pas de zones constructibles au bord de la Vésubie", explique Yves Gilli, le premier magistrat. Quant aux habitations, aucune n'est menacée de destruction.
> Tende :
Les nouvelles zones décrites par le porter-à-connaissance commencent déjà à poser un "gros problème" dans cette commune du haut de la vallée de la Roya, qui n'avait déjà pas énormément de terrains constructibles disponibles.
En terme de foncier, je n'ai plus rien du tout ! Je ne sais plus où je pourrais reconstruire les infrastructures détruites (la piscine, le tennis...). Il y a un artisan qui souhaite s'installer, on n'arrive pas à lui trouver un terrain !
Suite à la tempête Alex, la mairie a signé une cinquantaine d'arrêté d'expulsion. "Aujourd'hui, personne n'a été autorisé à rentrer chez soi", poursuit Jean-Pierre Vassallo.
"On rencontre les habitants, mais on n'a rien de concrêt sur les protections à réaliser à leur présenter. J'ai demandé aux services de l'Etat de recevoir tout le monde. Au bout de 7 mois, ils ont le droit de savoir si leur habitation sera détruite ou pas et s'ils auront droit au fonds Barnier."
> Saorge :
Le village en lui-même n'a pas été touché par la tempête Alex. Mais de nombreux dégâts ont impacté la vallée du Cairos, un affluent de la Roya. Dans cette vallée dont une partie est restée coupée du monde pendant plusieurs semaines, "7 ou 8 habitations vont être détruites", indique Brigitte Bresc, la maire. Cette vallée compte une trentaine d'habitations à l'année et des résidences secondaires.
"Toutes n'ont pas été expertisées comme fragiles. Les habitants ne comprennent pas pourquoi il faut quand même détruire leur maison qui n'a rien", poursuit la maire. "C'est compliqué à vivre pour eux et compliqué pour nous aussi de donner des réponses claires."
> Breil-sur-Roya :
"À Breil, la plupart des zones qui sont rouges dans le porter-à-connaissance étaient déjà inconstructibles. On avait déjà beaucoup de zones rouges à cause du plan de prévention glissements de terrains. Donc pour la commune, cela ne va pas changer grand-chose", assure Sébastien Olharan, le maire.
Après la tempête Alex, une trentaine d'arrêtés d'évacuation a été signée. "Une petite partie sera détruite, maximum cinq biens", poursuit l'élu breillois. Les autres seront de nouveau habitables moyennant des travaux comme des mesures de protection, des systèmes d'alerte. Sébastien Olharan va également chercher sur sa commune "de nouvelles zones à l'habitation pour compenser les endroits que l'on a perdu en bordure de cours d'eau".
> La Brigue :
La tempête Alex a causé peu de dégâts matériels dans cette commune. Situé sur les hauteurs, le coeur du village n'est pas concerné par les zones que le porter-à-connaissance a tracé autour du lit de la Roya. Seule une habitation, dans le quartier Sainte-Anne, au bord de la rivière, va nécessiter quelques travaux. "C'est une maison qui est toujours habitée et qui n'a aucun risque. Le SMIAGE va réaliser un enrochement pour rétablir la route d'accès", précise Daniel Alberti, le maire.
> Fontan :
Nous n'avons pas réussi à joindre le maire, Philippe Oudot.
> Malaussène :
Dans ce village de 300 habitants, quatre habitations sont classées noires et vont disparaître. Six sont en sursis pour l'instant. "La préfecture indique qu'il y a un risque. Mais je refuse de signer des arrêtés d'évacuation sept mois après les faits", explique Jean-Pierre Castiglia, le maire de Malaussène. "J'ai demandé au préfet de contacter directement et d'aller voir les habitants concernés."
Les nouvelles zones inconstructibles du porter-à-connaissance concernent une vingtaine d'hectares, surtout des zones agricoles. Là aussi le relogement est compliqué : les habitants des quatre bâtiments à détruire ont dû se reloger en dehors de la commune.