A 100 ans, Herbert Traube, promu chevalier à la Légion d'honneur, reste l'un des derniers témoins vivants des atrocités de la Seconde Guerre mondiale. De sa fuite d'Autriche, en passant par la mort de ses parents dans les camps et ses batailles au sein de la résistance face aux nazis, il revient sur une vie hors norme.
"Je pense que j’ai réussi ma vie, malgré les circonstances contraires que j’ai réussi à surmonter." Juif autrichien, déporté, résistant et légionnaire, Herbert Traube est l’un des derniers survivants de la Seconde Guerre mondiale. Le 15 juillet dernier, il soufflait sa centième bougie, un jour après avoir été nommé chevalier officier de l’ordre national de la Légion d’honneur.
Cette année, il commémore les 80 ans du débarquement de Provence, et en profite pour livrer un témoignage sans fard sur une vie de luttes, de souffrances mais aussi de victoires.
La fuite de l'Autriche et la terrible séparation familiale
Né le 15 juillet 1924 à Vienne, Herbert Traube grandit au côté de ses parents et de sa sœur Lili avec qui il vit une enfance heureuse. Tout bascule en mars 1938, lorsque l’Allemagne nazie annexe l'Autriche. À cette époque, Herbert Traube a 14 ans. Aujourd'hui, il se souvient encore des violences survenues lors de la Nuit de cristal, du 9 au 10 novembre 1938.
On a entendu la mise à sac de la synagogue, les bruits de la population qui hurlait : 'A mort les juifs, détruisons cette synagogue !' Et ça durait plusieurs heures.
Herbert Traubeà France 3 Paca
Avec l’aide de la Croix-Rouge, Herbert et sa famille se réfugient à Bruxelles. Mais quand les nazis attaquent la Belgique, les Traube sont éparpillés : son père est arrêté, sa soeur Lili par en Palestine et Herbert et sa mère finissent par être accueillis en Ardèche. Lorsque le régime de Vichy est proclamé, les regards changent en France. Ceux qui étaient autrefois perçus comme des réfugiés ne sont plus les bienvenus. "Après la prise de pouvoir de Pétain, nous sommes deux réfugiés devenus des indésirables, explique-t-il. Et en tant qu’indésirables, on nous a enfermés dans un camp, soi-disant d’accueil familial, mais qui était en réalité un camp d’internement."
Interné au camp de Gurs, puis de Rivesaltes, où sa mère y meurt. Réuni avec son père pour l'enterrement, ils décident de s'évader le 24 mai 1941 pour rejoindre Marseille. C’est dans la cité phocéenne qu'Herbert Traube s'engage dans la Résistance.
"La nuit, on peignait sur les murs des bâtiments publics le V de la victoire"
Herbert n’a que 16 ans lorsqu’il décide de rejoindre la Résistance lancée par le Général de Gaulle un an plus tôt, sur les ondes de la BBC. "La nuit, on peignait sur les murs des bâtiments publics le V de la victoire avec la croix de Lorraine. C’était ça notre résistance", sourit-il.
Pendant ses missions, le jeune homme a l’habitude d’espionner le port de Marseille afin de livrer des renseignements aux Alliés : "On faisait la distribution de tract, de petits journaux et on renseignait les bateaux qui partaient en essayant de savoir ce qu'ils transportaient et où ils allaient. Ces renseignements étaient transmis aux Européens."
En 1942, lors d'une vague de rafles contre les personnes juives, Herbert Traube finit par être interpellé par la police. "Je suis parti au camp des Milles, et du camp des Milles en déportation" indique-t-il. Comme des millions de victimes juives, son père n’est pas revenu des camps. S’échappant du train qui le conduisait à Auschwitz, Herbert Traube, devenu orphelin, est pendant un temps en cavale. À son retour dans le sud de la France, il intègre la Légion étrangère sur une fausse identité.
"C’était notre premier combat dur sur le sol français"
Si le Débarquement en Provence débute le 15 août, le jeune-homme de 18 ans pose ses pieds à Fréjus quelques jours plus tard. Il ne se souvient plus à quelle date précise, mais garde en mémoire les préparatifs de ce débarquement qu’il a conservé dans son autobiographie intitulée Une odyssée peu commune de Vienne à Menton.
"Pendant cette période d'attente sur le bateau où nous étions inactifs, notre tête travaillait. On se posait la question : est-ce que je vais tenir le coup ?", confie-t-il.
Le courage, c'est de réussir à transformer l’appréhension, la peur que l’on a, en volonté de vaincre.
Herbert Traubeà France 3 Paca
Lorsqu’ils débarquent à Fréjus, Herbert Traube est frappé par le bruit assourdissant : "Le débarquement, c’est un truc : du bruit, on crie."
Avec sa compagnie, la cinquième division blindée, Herbert Traube arrête des soldats de la Wehrmacht. Comme il est le seul germanophone de sa division, l’Autrichien est chargé d’interroger les prisonniers allemands. "Je les engueulais de la façon dont j'avais été engueulé quelques années auparavant à Vienne, on me traitait comme un membre inférieur de l’humanité alors là, c'était moi qui engueulais. Pour moi, c’était une satisfaction difficilement exprimable", glisse-t-il.
Août passé, la compagnie continue sa progression à Belfort et combat en novembre 1944 dans le village de Montreux-Château. Sans qu’il ne le sache à l’époque, c’est contre l’unité de la division SS d'As Reich, responsable du massacre d'Oradour-sur-Glane qu'Herbert se bat. "La compagnie a perdu un tiers des effectifs en l’espace d’une heure, souffle-t-il. C’était notre premier combat dur sur le sol français. Il y en a eu d’autres après, mais celui-là, il a marqué l’esprit."
Il est à Vienne, dans sa ville natale, lorsqu’il apprend la capitulation allemande. Le 18 juin 1945, à l’occasion du cinquième anniversaire de l’appel du Général de Gaulle et pour célébrer la victoire, ils défilent fièrement sur les Champs Élysées. Herbert Traube est enfin libre.
Un retour à la vie civile dans un silence pesant
“On ne les avait pas traités comme des êtres humains, mais comme des bêtes. Il ne voulait pas se souvenir de cette période, il ne voulait pas en parler, ils avaient réussi à s'en sortir, à se construire une nouvelle vie, ils ne voulaient plus se souvenir" explique la nièce du vétéran. Il a fallu plusieurs années avant qu'Herbert ne se confie sur ses années sombres.
J’étais confronté au silence familial, dans une situation qui ne m’incitait pas à lui poser des questions.
Le fils d'Herbert Traubeà France 3 Paca
Pendant un temps, Herbert Traube a préféré raconter son retour à la vie civile : sa carrière d'ingénieur en région parisienne ou encore son mandat de premier adjoint municipal au village de Saint-Agnès dans les Alpes-Maritimes. "Je devais travailler beaucoup, il fallait que je refasse des études pour monter dans l'échelle sociale", explique-t-il.
Conseillé par un ami, l’ancien combattant a commencé à se rendre dans les écoles pour évoquer ses souvenirs de guerre. "Il y a des camarades qui sont morts pour ça, toutes les victimes de la Shoah ont pensé que c'était fini, or ça recommence, et c’est ça qui a commencé à travailler dans ma tête et qui m’a permis de commencer à faire mon devoir de mémoire", souligne-t-il.
Aujourd'hui, il reconstitue l’histoire au travers de son vécu personnel. "Il faut essayer d’expliquer aux gens, notamment aux jeunes, comment il était possible que cela se produise et ce qu'il faut faire pour que cela ne se produise pas."
Sujet réalisé par N. Jourdan, D. De Meda, L. Buyse et édité par Emma Adjibou