"J'y ai vu l'écharpe du Petit Prince" : comment l'enquête d'un archéologue a réhabilité Saint-Exupéry

Il y a 80 ans, le 31 juillet 1944, l'avion d'Antoine de Saint-Exupéry disparaissait entre Marseille et Toulon lors d'une mission de reconnaissance du Débarquement. Luc Vanrell retrouvera son épave un demi-siècle plus tard. L'archéologue sous-marin a consacré une partie de sa vie à faire la lumière sur la disparition de l'aviateur écrivain.

Le 31 juillet 1944, le commandant Exupéry effectue une série de photos de reconnaissance au-dessus de Grenoble, il prépare le Débarquement en Provence, prévu quinze jours plus tard. Mais sur le retour, les heures s'écoulent sans signe de vie. L'écrivain pilote ne revient pas : il est porté disparu. 

C'est la découverte de sa gourmette en 1998, par un pêcheur au large de Marseille, qui va permettre d'élucider le "mystère Saint-Ex". La recherche de l’épave de l’avion est relancée et le plongeur Luc Vanrell l'identifie formellement en 2000.

Il va même retrouver, en 2006, le pilote allemand qui a tiré ce jour-là sur le Lightening P-38 de l'auteur du Petit Prince. Plus de 20 ans après le début de cette aventure, le plongeur et archéologue marseillais et coauteur de deux ouvrages sur le sujet, continue à faire des conférences pour "réparer l'image d’un héros national."

"Un passeport pour l’aventure"

Au travail depuis de nombreuses années sur la Grotte Cosquer, mandaté par des services de l'État, l'archéologue s'intéressait à titre personnel à la disparition du pilote écrivain depuis les années 1980. La découverte de la gourmette le décide, il se "met à l'eau" en février 1999, plongeant des heures durant dans la mer glacée, pressé de passer au peigne fin les deux épaves d'avion découvertes par 87 mètres de fond. "J’ai perdu huit kilos en trois semaines", se souvient-il, "un engagement volontaire, par passion ", à la recherche d’une page d'histoire perdue de son auteur de jeunesse.

Luc Vanrell, biberonné à l'aventure par un papa scaphandrier, se souvient avoir vécu à 12 ans un choc littéraire, en feuilletant "Terre des hommes", une œuvre autobiographique. "C'était un passeport pour l’aventure, qui a finalement exercé une grande influence sur mon parcours, de par les valeurs qu’il portait : travail d'équipe, amitié, solidarité, curiosité ", raconte le scientifique marseillais. 

C'est sa façon de penser qui va conduire Saint-Ex à la mort : sa sincérité, son honnêteté morale, sa volonté de s'engager pour ses valeurs, ses convictions et ses idées.

Luc Vanrell, archéologue et auteur

France 3 Provence-Alpes

Cette admiration pour l’écrivain pilote le plonge dans une profonde quête de vérité. Commence alors l'enquête historique, faite d'investigations à la fois sous-marines et documentaires, qu'il réalise patiemment durant huit ans avec de nombreux compagnons de route. Rapidement, l'avion d'Antoine de Saint-Exupéry est authentifié par un numéro de série.

"J'y ai vu l'écharpe du Petit Prince"

L'intrigue, jusqu'à son dénouement, va connaître de nombreux rebondissements. Une découverte va même faire "basculer" les recherches pour leur conférer une tournure romanesque, se souvient Luc Vanrell. En 2000, dans la carlingue de l'avion, le plongeur va recueillir un morceau d'étoffe, qu'il prend tout d'abord pour un chiffon de mécanicien et qui, entre ses doigts, se révèle être un bas de femme recousu, en forme de foulard " Sous l'eau, je l'ai noué autour de mon cou et j'y ai vu tout de suite l’écharpe du Petit Prince flottant au vent" raconte-t-il.

Un petit détail qui vient "humaniser" cette quête et pour lui ne laisse plus place au doute : "j'ai eu à ce moment-là une puissante intuition, rien de scientifique, ni d'objectif : c'était son épave et il ne restait plus qu'à le prouver." La certitude viendra bien plus tard, en 2006, lorsque son partenaire Lino van Gartzen remonte jusqu'au pilote allemand qui reconnaît avoir tiré sur le Lightening de Saint-Exupéry. La vérité éclatera au grand jour deux ans plus tard, une fois vaincue la réticence des vétérans allemands dans cette affaire. Mais à ce jour, aucune preuve matérielle n'est venue étayer ce témoignage.

Redorer le blason du héros

Ces moments passés "sous l'eau, dans la solitude d'un désert maritime, à de grandes profondeurs" ont été pour l'archéologue d'une "grande richesse émotionnelle". Des recherches, que Luc Vanrell a entièrement subventionnées de ses propres deniers, par conviction, dit-il : "cette mission ne m'avait pas été confiée par l'État, je ne voulais pas faire financer par de l'argent public des recherches qui m'intéressaient à titre personnel". Auteur de deux ouvrages et conférencier, Luc Vanrell veut continuer à redorer le blason de l’écrivain, "par la communication et le soutien de l'action culturelle". À se battre pour la reconnaissance d’un homme au destin exceptionnel.

Dans le travail de mémoire, on a tendance à passer sous le tapis, le créateur, l'homme d'esprit, l'écrivain, et surtout son œuvre.

Luc Vanrell, coauteur de "Saint Exupéry, révélations sur sa disparition"

France 3 Provence-Alpes

"Cette aventure a été ma façon de valoriser sa pensée et de le remettre à sa juste place de héros national", regrettant amèrement que l’aviateur écrivain, jugé injustement réactionnaire, ait été malmené "pendant et après la guerre, notamment pour son opposition au gaullisme".

Enfin, le plongeur marseillais déplore que Saint-Exupéry, passé à la postérité, plus par son engagement et sa mort tragique que par son œuvre, n'ait pas la place qu'il mérite au Panthéon des écrivains. "Au-delà du soldat mort pour la France, j’ai l'impression qu'on passe trop vite sur pourquoi c'est important pour la culture française et pour la société française de commémorer la disparition de Saint-Exupéry" .

Dans le cadre des 80 ans de la mort de l'auteur, l'association marseillaise "Union Calanques Littoral" demande qu'une partie de l'Ile Riou soit rebaptisée "Saint-Exupéry", à l'endroit même où avait été retrouvée l'épave de son avion.

Et Luc Vanrell s'en réjouit.

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