Témoignage. Covid : "Je suis œnologue et j'ai perdu mon nez", ces malades frappés d'anosmie

Quand elle perd le goût et l’odorat, sa vie s’écroule. Nathalie Poulzague est œnologue au Centre du Rosé dans le Var. Et elle n’est pas la seule malade du Covid dans ce cas. Plus de la moitié des œnologues seraient concernés selon une étude de leur syndicat.

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"Je rentrais de vacances, après le 15 août, quand j’ai commencé à avoir les symptômes d’une grosse grippe. Alors j’ai passé un test PCR." Un test positif. Quand Nathalie Poulzague voit son généraliste, la première question qu’elle lui pose concerne une possible perte du goût et de l’odorat. Il se veut rassurant.

Pourtant au troisième jour de son Covid, elle ne sent plus rien. Plus aucun goût non plus, ni amertume ni acidité, rien. "Ma vie s’est écroulée !" Retrouver ses capacités sensorielles devient alors une obsession.

Nathalie Poulzague est œnologue, chargée de projet au Centre du Rosé de Vidauban dans le Var. Elle participe à sa création en 1999, c’est dire que sa passion du vin est un élément essentiel de son quotidien. Quand elle tombe malade du Covid, elle était justement en charge d’une analyse sensorielle sur le vin rosé.

Mais comment améliorer la qualité des rosés de Provence sans aucun goût ni odorat ? L’œnologue ne voit plus comment assurer son cœur de métier. "Calme-toi, ça va aller !" Son mari tente de la rassurer, mais l’experte qualité va passer huit jours d’angoisse absolue.

Une situation à laquelle sont confrontés de nombreux professionnels du vin. C’est également le cas pour Sophie Palass, œnologue et directrice générale de l’Union des Œnologues de France. L’odeur est un sens indispensable et retrouver sa faculté est pour elle "comme une renaissance. Mon nez et ma bouche sont essentiels, ils font partie de mon métier."

Un constat alarmant

Dès l’apparition du coronavirus, le syndicat des œnologues commence à recevoir de nombreux appels de ses 1500 adhérents. Inquiets après la perte de leur outil de travail, ils n’ont pas forcément le réflexe de consulter un ORL.

Dès la fin de la première vague, son président Didier Fages décide alors de lancer une vaste enquête sur l’anosmie (perte d’odorat) et l’agueusie (perte du goût). Une première menée auprès de 3000 professionnels dans le monde.

Et les premiers résultats sont édifiants. Sur la base des 2% des professionnels du vins ayant contracté un Covid :

  • Au moins 60% des professionnels du vin atteints de Covid-19 ont perdu l’odorat
  • Plus de 50% ont également subi une perte du goût.
  • Les femmes sont davantage sujettes à des troubles de l’anosmie que les hommes.
  • Les 18-29 ans qui travaillent dans le secteur du vin présentent également ces symptômes en plus grand nombre que la population générale.

Autre enseignement de cette enquête exclusive, 13% des professionnels déclarent avoir déjà eu, avant la pandémie, un problème d’anosmie et d’agueusie. Le Covid-19 est donc un révélateur d’une maladie qui affecte tout un secteur économique.

"Rien n’est irréversible. Je suis en réapprentissage et c’est génial." Sophie Palass est confiante. Dans son métier elle sait que "déguster c’est s’entraîner". Des solutions existent et le syndicat des œnologues travaille main dans la main avec des spécialistes et notamment des ORL.

De son côté Nathalie Poulzague s'est exercé tous les jours pour retrouver goût et odorat. Au Centre du Rosé elle disposait de solutions aromatiques. Elle a également utilisé les 54 parfums ou senteurs des coffrets d'arômes des éditions Jean Lenoir pour réapprendre à sentir et à déguster. 

Après trois semaines de travail acharné, alors qu'elle est en plein coeur des vendanges, ses facultés reviennent. "J'étais tellement heureuse, c'était un vrai soulagement!" Le syndicat des œnologues, lui, prépare un kit pratique à destination de ses adhérents.

Retrouver la mémoire olfactive

En lien avec les professionnels du vin, des protocoles ont été élaborés par des ORL. Objectif, aider à retrouver goût et odorat en stimulant sa mémoire olfactive. "Comme une rééducation par le cerveau. Ou plutôt une réhabilitation de ses capacités antérieures", précise le professeur Jean Régis, neurochirurgien et chef de service à l'hôpital de La Timone à Marseille. S'entrainer quotidiennement à reconnaitre l'odeur de la fraise ou du citron, le sucré ou l'acidité d'un élément est déterminant.

"Même si nous n'avons aucune preuve scientifique, cela donne aux malades un objectif et c'est fondamental d'un point de vue psychologique". Car il n'y a pas de réel traitement. Avec une guérison du Covid, les symptômes d'anosmie et d'agueusie doivent finir par disparaître.

Pour retrouver ses facultés on va demander à son cerveau de faire plus que d'habitude. De compenser avec ce qui lui reste de perception.

Pr. Jean Régis, neurochirurgien.

Mais ce travail permet cependant d'agir sur le cerveau en stimulant les zones qui commandent la reconnaissance sensorielle. "C'est une stratégie bien connue de contournement : pour retrouver ses facultés, on va demander à son cerveau de faire plus que d'habitude. De compenser avec ce qui lui reste de perception", explique le professeur marseillais.

Jean Régis dénonce même une idée reçue : l'homme n'est pas un si piètre animal olfactif! "Même si notre odorat est un sens qui a régressé, nous disposons d'un réel potentiel, qu'il suffit de développer. Un potentiel que les malades d'anosmie peuvent réhabiliter."

Et les oenologues sont même doués pour ça. Une bonne nouvelle pour les professionnels du vin. Comme des sportifs de haut niveau le font avec leurs muscles, ils stimulent déjà au quotidien leurs sens olfactif et gustatif.

"D'un point de vue neurologique, on sait qu'un œnologue ne fait pas appel aux mêmes régions du cerveau que la population générale. On le voit lorsqu'on fait passer une IRM à un sommelier et que ses sens sont sollicités, il met en jeu toute une série de zones dans son cerveau tout à fait spécifique. Un amateur n'allumera pas les mêmes."

Le professeur Régis reconnait que les œnologues vont mettre plus de temps à récupérer leurs sens que d'autres patients. Mais c'est aussi parce qu'ils sont plus exigeants. Ils mesurent davantage ce qu'ils ont perdu.

Des réponses concrètes

Face au stress que peut représenter la perte de leur outil de travail, les œnologues ont déjà décidé d’en parler.

"L’isolement est un risque énorme. Nous allons mettre en place un numéro d’appel dédié pour nos membres. Une plateforme d’intérim va également voir le jour pour favoriser le remplacement des œnologues malades par des valides disponibles", explique Didier Fages.

L’Union des Œnologues de France négocie par ailleurs avec des compagnies pour assurer le capital que représentent leurs adhérents et avec les mutuelles pour développer une complémentaire santé. Mais l’une des priorités est d’obtenir la vaccination anticipée de tous les œnologues.

"J’ai écrit au Premier ministre, mais je n’ai pas encore reçu de réponse". Pour le président du syndicat, il est fondamental que l’anosmie et l’agueusie soient reconnues comme maladie invalidante, à l’instar du diabète par exemple.

"Un meilleur suivi des malades est indispensable, car aujourd’hui les outils de diagnostics ne sont pas pris en charge", indique Didier Fages.

Le Covid-19 a indiscutablement favorisé une prise de conscience au sein des œnologues. Celle d’un formidable outil de travail : leur nez et leur bouche. Pour le sauvegarder, ils disposent désormais de solutions. Un espoir pour toutes les victimes de ce que l’on désigne comme les Covid long.

7% des professionnels du vin déclarent ne plus avoir d’odorat ni de goût, plusieurs mois après un test positif. Cela représente un stress psychologique insupportable. Leur syndicat se mobilise pour y mettre un terme.

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