La perte d'odorat et de goût, sont deux symptômes du Covid-19 qui "effraient" les oenologues et autres techniciens du milieu du vin qui ne l'ont pas eu et ont "déstabilisé" ceux qui en ont été atteints. Nicolas est oenologue en champagne, il raconte son expérience, après avoir attrapé le virus.
Oenologue dans un laboratoire situé à Cormontreuil, dans la Marne, à l'Institut Oenologique de Champagne, Nicolas Dupin a 33 ans, il exerce depuis une dizaine d'années. Son quotidien professionnel est parsemé de dégustations. Et son odorat est son premier outil de travail. Mais début novembre 2020, il a ressenti les premiers symptômes du Covid-19. "C’était au début du confinement, il y a un mois et demi, j’ai eu une perte d’odorat subite et brutale. J’étais en dégustation le matin et vers 15h je ne sentais plus rien. Je travaillais pourtant sur des vins identifiables, j'ai prévenu mes collègues, je me suis isolé pour éviter de contaminer, j'ai contacté mon médecin, et j’ai fait un test qui s'est avéré positif. Ensuite j'ai ressenti une grande inquiétude".
L’Union des Œnologues de France a pris la question au sérieux. Et elle a décidé, dès mars 2020, d’affronter le sujet de l’anosmie chez les professionnels du vin. Elle s'est entourée d’œnologues confirmés et d’éminents professeurs de médecine, à la fois chercheurs et praticiens, membres de l’Académie de Médecine. Un groupe de Travail « COVID-19 Odorat et Goût, Risques et Prévention », coordonné par Pierre-Louis Teissedre, professeur à l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin de Bordeaux, a lancé une enquête sur la perte de goût chez les professionnels du vin et prépare un plan d’actions qui sera communiqué début 2021.
"Connaître la réalité chez les professionnels du vin"
"La survenue de la COVID-19 a en effet révélé des conséquences inédites sur l’odorat et le goût. Elle ouvre un champ de questionnement majeur autour des maladies infectieuses et de leur impact sur les capacités sensorielle des œnologues lors de l’exercice professionnel de la dégustation", évoque l'union des oenologues. Selon Didier Fages, président des Œnologues de France : "il est essentiel de connaître la réalité des problématiques de l’anosmie chez les professionnels du vin pour mieux les prendre en charge, les soigner et en maîtriser les conséquences professionnelles".
L’enjeu est également de partager l’expérience des œnologues auprès du grand public pour prévenir et sensibiliser des pertes d’odorat et de goût qui ont des conséquences importantes en termes psychologiques et de bien-vivre.
Cette enquête a été menée par le biais d’un questionnaire élaboré par les médecins et diffusé en ligne en français, anglais, espagnol, auprès des œnologues mais aussi des professionnels de la dégustation, en France et à l’étranger. Pour cela, les Œnologues de France se sont appuyés sur leur réseau d’œnologues en France et à l’international. Le questionnaire a été diffusé de mai à juillet 2020, à la fin de la première vague de Covid, 2.625 professionnels ont répondu, dont 51% sont oenologues.
Les données de l’enquête sont en cours d’analyse par les médecins et devraient apporter des informations nouvelles quant aux affections touchant l’odorat et le goût. « L’échantillon homogène de professionnels de la dégustation permet d’avoir une base d’étude inédite » selon les propos du Docteur Pierre Bonfils (Chef de service ORL Hôpital Européen Georges Pompidou et membre de l’Académie nationale de médecine), membre du groupe et analyste des données de l’enquête. Ces résultats, ainsi que le plan d’actions des Œnologues de France sur l’anosmie, seront présentés en février 2021.
"Cela peut être impactant, mais il n'y a pas de règles établies"
Les moyennes de perte d'odorat varient d’une semaine à plusieurs mois. Nicolas, expert du champagne, était donc un peu perdu, seul, avec son nez fragilisé. "On se demande comment on va reprendre, la dégustation est centrale dans nos métiers. Mais la seule chose que je pouvais faire, c’était de patienter. J’ai retrouvé un peu d'odorat au bout d’une semaine. Pour pouvoir ressentir, je me suis entraîné chez moi, avec des flacons d’arôme, le nez du vin, une palette aromatique large. J’ai retrouvé partiellement certains arômes avec des difficultés chez certains arômes, ça dépend du moment de la journée. Sur les vins je n'avais pas la sensibilité suffisante pour pouvoir déguster".
Nicolas Dupin travaille avec plusieurs collègues dans son laboratoire de Cormontreuil. Avec une palette de vins large. "Tous les jours je m’entraînais, et j’arrivais à reconnaître certains arômes, de loin. Mais ma capacité de dégustation a mis trois semaines pour revenir au top. En m’entrainant tous les jours avec des arômes artificiels, et en dégustant régulièrement. Ce qui est inquiétant, c’est qu’on perd confiance dans son odorat. Normalement, je connais les odeurs de défaut, et mon seuil de perception. Mais le Covid remet ça à zéro. On doit se réétalonner, retravailler pour savoir ce qui fonctionne".
Professionnellement, il se dit bien aidé par des collègues compréhensifs. Certains ont pris le relais de la dégustation. De son côté, comme un sportif après une opération musculaire, il s'est entraîné. "Comme certains réapprennent à marcher ou à courir. La leçon ? Me protéger davantage oui, mais je ne sais pas comment, car on porte le masque en permanence. J’applique les geste barrières, comme avant. C’est difficile d’en faire plus, j’étais isolé quand je l’ai attrapé. Mais ça fait peur. Les conseils professionnels sont encore faibles, même de la part des médecins. Il y a des études qui ont été faites. Il faut essayer de se faire un panel avec des huiles essentielles, et s’entrainer à les sentir plusieurs fois par jour, moi, c’est surtout avec mes collègues que j'ai dégusté de nombreux vins variés pour entraîner mon odorat".
En cette deuxième moitié de décembre, Nicolas n'a presque plus de séquelles. Mais il évoque toutefois un bémol, "je n’ai plus de certitude sur mon odorat à 100% et ça fait plus d’un mois. C’est aussi psychologique, mais en fait je n’ai pas retrouvé exactement mon odorat d'avant. Je vais avoir besoin de déguster beaucoup. C’est un peu comme pour un sportif. On est tous avec des capacités différentes. La différence entre un amateur et un professionnel, c’est le volume de dégustation. Pouvoir faire le tour d’une vendange, car le raisin c’est vivant, ça commence du mou de raisin au champagne en bouteille, il faut une année pour en faire le tour. Il faudra peut être une année pour retrouver la totalité de mes capacités olfactives, là, j’ai retrouvé 95%".