Bouches-du-Rhône : traqueur de toison d'exception, sur la piste de la laine de Mérinos d’Arles

Elle est ce que l’alpaga est aux camélidés d'Amérique-du-Sud, le cachemire à la chèvre de Chine ou le poil de chameau blanc à la Mongolie. Unique. A Aureille, dans les Bouches-du-Rhône, Michaël Dal Grande n'aurait jamais raté ce jour de tonte de la laine des moutons Mérinos.

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C’est jour de tonte dans l’exploitation de Lionel Escoffier. Le soleil n’est pas encore levé, à Aureille, mais déjà beaucoup de monde sur le batadou : cette petite plateforme que l’on monte, en Provence, pour tondre les moutons et ne pas perdre une fibre de leurs toisons.

Autour, six tondeurs, des trieurs de laine, Lionel, son père et Michaël Dal Grande. Le métier de Michaël : acheteur de fibres rares. Il parcourt la planète à la recherche de produits d’exception et la laine des moutons Mérinos en est un.

Dans l’enclos les moutons ne le savent pas, ils ont l’air un peu anxieux, mais leurs toisons vont faire l’objet de toutes les attentions. Le vacarme est incroyable : tondeuses, bêlements, rires aussi. Une brebis n’y entendrait plus les pleurs de son petit !

Une fibre extrêmement résistante, longue et frisée

Tous les participants, ici, ont la même conviction. Ils se battent pour sauver un savoir-faire et un produit d’exception : la laine mérinos d’Arles.

"Une laine comme ça on n’en trouve qu’ici avec le Mérinos d’Arles, elle est extraordinaire", s’exclame Michaël.

Michaël Dal Grande passe sa vie dans les avions (sauf durant la pandémie bien sûr). Des produits fabuleux il en voit souvent. Il traque le poil de yack au Tibet, l’alpaga en Amérique-du-Sud, la laine de cachemire en Chine (elle provient d’une chèvre) ou le poil de chameau blanc en Mongolie.

Et pourtant, la laine Mérinos lui fait toujours autant d’effet. Il arrache quelques poils d’une toison. Il les regarde.

"Ces moutons produisent environ deux kilos de laine par an, une toison légère et très fine comprise entre 20 et 21 microns. Elle est extrêmement bouclée ce qui est unique au monde. Cela donne une laine résistance, qui tient chaud et qui n’est pas lourde. Un produit parfait pour les vêtements techniques. C’est ma matière préférée."

5 jours, 2.000 brebis, 6 tonnes de laine

Depuis près de six ans, Lionel et Michael travaillent ensemble à faire reconnaître ce produit naturel. Ils ont monté une filière qui va de la tonte à la fabrication de vêtements. Une filière qui en est encore à ses balbutiements mais qui promet beaucoup.

Lorsque c’est le premier jour de tonte les deux hommes se retrouvent pour regarder ensemble la production de l’année. Une sorte de tradition !

"Ca me rappelle lorsque nous étions petits, s’exclame Lionel. On rentrait de l’école et on venait courir sur le batadou. On adorait ça. On s’asseyait sur les balles. On se faisait gronder par mon grand-père, mon oncle et mon père !! J’adorais ce moment de l’année."

Aujourd’hui plus personne ne court sur le batadou. L’instant est grave. Lionel espère tirer six tonnes de laine de ses 2.000 brebis. Il faudra cinq jours pour toutes les tondre.

"Lorsque le tondeur a un bon coup de tondeuse : la toison est entière. Il nous suffit ensuite de séparer les zones souillées par l’animal, celles qui sont en contact avec le sol par exemple, des autres zones. On appelle cela les écarts. Ils seront plus durs à nettoyer. On va s’en servir, par exemple, pour faire des casquettes ou des chaussettes."

A côté de Lionel, Lucie Grancher. Elle est trieuse. Un métier que la jeune femme, longtemps bergère, a choisi pour l’amour de la matière.

"Vous rentrez dans la bergerie le jour de tonte et c’est magnifique. On dirait que nous sommes sur les nuages. Des milliers de petits brins de cette laine s’envolent!"

La jeune femme en a encore les yeux tout écarquillés. Mais le temps presse. Toutes les deux minutes il faut se précipiter pour ramasser l’une des toisons coupées par les tondeurs, avant qu’elle ne s’abime sur le sol. Un travail qui ne supporte pas le bavardage

"Mais venez voir cette matière. Comme c’est beau !". De nouveau, Lucie Grancher s’extasie.

"Sur cette laine on lit toute l’histoire du mouton. Voyez celle-ci, sans doute la bête a subi un traumatisme, la fibre se casse au même endroit sur toute la toison. L’animal a peut-être rencontré un loup. C’est comme nous pour les cheveux. On peut y lire notre santé. En tout cas cette toison a une couleur extraordinaire. Elle est très propre et on aura une grande rentabilité au lavage."

Car évidement toutes les toisons doivent être lavées avant de pouvoir être transformées en laine.

De la cour d'Espagne à la bergerie nationale de Rambouillet

Et si cette laine existe on le doit un peu à Louis XVI. La matière lui aurait presque fait perdre la tête ! Le mouton Mérinos n’est pas originaire d’Arles. Il vient d’Espagne.

Tout commence en 1786 lorsque Louis XVI demande à nos voisins ibériques la possibilité d’importer un troupeau de Mérinos.

Demande osée, puisqu’à l’époque l’exportation de cette race était interdite et même punie par la peine de mort. Mais la cour d’Espagne accepte.

Les premiers animaux arrivent et sont installés à la bergerie nationale de Rambouillet. C’est un immense succès. D’autres bergeries de ce type sont créées.

L’une d’elles voit le jour à Arles. C’est là que les moutons Mérinos vont être croisés avec les moutons d’Arles.

Une nouvelle race née : les mérinos d’Arles. Plus petits, plus trapus, plus résistants à la chaleur et surtout produisant plus de viande. C’est donc la race élevée aujourd’hui par Lionel Escoffier.

Un lent déclin made in China

Une race qui a bien failli disparaître. Car soyons honnête la laine, depuis l’apparition du synthétique dans les années 1970, n’a plus la côte. Elle a même été considérée longtemps comme un sous-produit.

Les éleveurs la vendaient alors à des prix dérisoires aux importateurs chinois. Et le scandale continue encore aujourd’hui.

"Les chinois l’achètent à un prix dégueulasse, dénonce Michaël Dal Grande, un prix qui ne paye même pas la tonte. Et en plus là-bas, en Chine, peu importe la qualité, tout est mélangé, presque saccagé pour faire une laine bon marché. C’est vraiment du gâchis."

Michaël paye la laine à trois euros le kilo, au lieu des 20 centimes chinois.

Des vêtements pour les sports de plein air

Depuis 2014, vingt-cinq éleveurs dont Lionel Escoffier tentent de redonner ses chances à la laine du mérinos d’Arles. Cela fait 25.000 brebis dont la toison fait l’objet de toutes les attentions.

"On avait envie que notre laine ait un débouché. Alors avec Michaël on a créé une gamme complète de vêtements techniques. En plus aujourd’hui les gens aiment savoir d’où viennent les objets. Avec nous, ils sont servis", explique Lionel Escoffier.

Avec cette laine on fabrique des pulls, des chaussettes, des tricots de peau. Des vêtements pour pratiquer des sports de plein air. Et ça tombe bien car cela correspond à la demande.

Bien sur le prix n’est pas le même que des habits achetés en grande surface et provenant justement de Chine. 24 euros la paire de chaussette tout de même.

"Oui mais le produit est tellement différent. Cette paire de chaussette vous pourrez la garder toute votre vie. Elle ne va jamais rétrécir, vos pieds ne transpireront pas. C’est la même chose pour les pulls", argumente Michaël Dal Grande.

Et comme décidément ici on voit grand les vêtements en laine de mérinos seront vendus dans les boutiques du GR 69. Un sentier de grande randonnée qui vient de voir le jour.

Près de 500 kms entre Arles et l’Italie. Un sentier sur les routes de la transhumance. Un sentier qui met à l’honneur les produits locaux et le savoir-faire.

Dans la bergerie de Lionel Escoffier, le niveau sonore descend peu à peu. Dehors le soleil se couche. Lucie récupère une dernière toison. Elle est noire. C’est le signal du départ.

"On tond toujours les moutons noirs en dernier. Leur laine est traitée à part." Les tondeurs rangent leur matériel. Demain, une autre journée débutera sur la batadou.

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