Bonbonnes de protoxyde d'azote dans la rue, sur les plages, dans la mer, ce gaz hilarant est devenu un vrai fléau. Depuis la crise sanitaire, le nombre de consommateurs a considérablement augmenté, entrainant aussi une hausse des conséquences graves sur la santé des jeunes. Décryptage.
Protoxyde d’azote. Vous avez certainement entendu parler de lui pour effectuer une chantilly ou autres préparations culinaires. Pourtant, certains jeunes ont un usage récréatif de ce gaz hilarant. Un produit totalement accessible et légal en France. S’il a un effet euphorique immédiat et offre une distorsion des perceptions, il a aussi de graves conséquences sur la santé.
Un phénomène qui a pris de l’ampleur avec la crise sanitaire. Vincent Schneider, neurologue au CHU de Dijon, explique que "avant, ce gaz était consommé dans un contexte récréatif et par intermittence. Avec le confinement et la facilité d’accès, il y a eu une grosse hausse de consommation et un changement du type de consommation. Désormais, elle se fait seul et davantage quotidienne. Comme une vraie addiction comme alcool et cannabis, explique le professionnel. Avec cette modification des méthodes de consommation, on a vu des cas de toxicité au protoxyde d’azote arrivés en plus grand nombre. C’était rare, maintenant, ça ne l’est plus", développe le praticien, qui a vu son nombre de patients consulter suite à une prise de protoxyde d'azote.
Une consommation en hausse
Les jeunes qui font un usage détourné de ce gaz hilarant gonflent des ballons avec et inhale le "proto". Ainsi, il provoque des réactions euphorisantes telles que des rires incontrôlés, une sensation d’ébriété, des distorsions auditives ou visuelles. Son usage est souvent banalisé par les jeunes, car les effets disparaissent aussi rapidement qu’ils n’apparaissent. Pour vous donner une idée, il est aussi utilisé à l’hôpital avec une indication en anesthésie.
Ce phénomène est en hausse et inquiète les professionnels. Joëlle Micaleff est Professeure en pharmacologie à Aix-Marseille université et à l’APHM. Elle est aussi directrice du centre d’addictovigilance Paca et Corse. "Le protoxyde d’azote est le troisième produit psychoactif le plus consommé par les adolescents, ce qui n’était pas le cas avant 2019, souligne l’experte. Si la consommation existait déjà avant, elle n’était pas dans ces proportions et avec l’ampleur que l’on connait aujourd’hui."
Un produit très accessible
Ce qui explique ceci est l’accessibilité du produit et sa modique somme. C’est d’ailleurs ce dont témoigne Charline, alors étudiante en médecine au moment de sa consommation. "On nous disait que ce n’était pas de la drogue parce que c’est pour faire de la chantilly. Et tu peux t’en procurer facilement, ce n’est pas illégal. Je ne serais jamais allée chercher des joints, jamais. Mais ça, c’était trop facile d’accès et je n’avais pas l’impression de faire un truc dangereux", déclare-t-elle. Bien loin de se douter que la consommation de protoxyde d’azote peut avoir des conséquences sérieuses sur la santé des consommateurs.
Mais alors, pourquoi c’est aussi dangereux ? Vincent Schneider, neurologue au CHU de Dijon nous explique que le protoxyde d’azote perturbe le fonctionnement de la vitamine B12, qui est indispensable au bon fonctionnement des nerfs et de la moelle épinière. Ce qui entraîne un risque de myélopathies et de troubles neurologiques. "On observe des conséquences neurologiques très graves que l’on voit rarement chez des jeunes patients", ajoute Joelle Micaleff.
Des conséquences graves
Ces conséquences neurologiques, Jean-Luc Lopez Da Silva, en a été victime. À 27 ans, il prenait en moyenne deux trois bonbonnes par jour, allant même jusqu’à consommer des cartons entiers en été. Jusqu’au jour où. "Un soir, je vais me coucher avec une sensation bizarre sur la moitié de mon visage. Le lendemain, j’étais paralysé de la moitié du côté droit", se remémore le jeune homme. S’il attend 24h avant de se rendre aux urgences, il ne cache pas sa consommation de ballons aux professionnels de santé, se doutant qu’ils en étaient la cause.
Ils existent d’autres atteintes neurologiques, comme des troubles locomoteurs et sensitifs. "L’usage détourné de protoxyde d’azote présente également des risques tels qu’une asphyxie par manque d’oxygène, des brulures par le froid du gaz, des vertiges et une désorientation, ainsi qu’une potentielle perte de connaissance pouvant entrainer des chutes", développe la directrice du centre d’addictovigilance. Avant de continuer : "il est important de rajouter qu’il y a des complications telles que des AVC, des phlébites veineuses cérébrales, et le protoxyde d’azote pourrait avoir des effets sur la fertilité."
La prévention avant tout
Tous sont d’accord pour dire que la prévention et la sensibilisation devraient être à la base pour maîtriser ce fléau. Car comme le souligne le neurologue Vincent Schneider, le seul traitement contre les conséquences, est l'arrêt de la consommation, souvent avec une hospitalisation. "Il faut prevenir les risques pour éviter que la consommation ne se mette en place", souligne-t-il.
Jean-Luc Lopez Da Silva est formel, s’il avait su les conséquences, il ne l’aurait pas fait. "On nous le dit, mais on le voit, donc on n’y croit pas", explique-t-il. C’est pour cette raison qu’il a souhaité se montrer, le visage paralysé, sur les réseaux sociaux. "Au début, je voulais me cacher. Mais je me suis dit qu’il fallait faire de la prévention. J’habite dans un quartier, où les jeunes, je les vois au quotidien faire des ballons, même en voiture. Ils ne savent pas que c’est dangereux", insiste-t-il. À la suite de ces vidéos de prévention, il a reçu de nombreux témoignages de personnes qui ont eu des conséquences du proto sur leur santé. "C’est là que j’ai su que c’était vrai, mais que les gens se cachent une fois qu’ils ont des séquelles."
"Il faut que la réponse sanitaire soit en adéquation"
Pour Joelle Micaleff, "il est indispensable de montrer que c’est un produit dangereux. Mais ça doit être associé à campagne de sensibilisation et d’information". Ce manque de prise de décision inquiète la directrice. "L’ampleur m’inquiète parce qu’on ne fait rien, ou pas assez. Il faut qu’on se mobilise ensemble, car la technique de marketing est redoutable, avec une facilité d’acheter telles, qu’il faut que la réponse sanitaire soit en adéquation. On ne peut dire qu’on ne sait pas, parce que maintenant, on sait", insiste-t-elle.
Par le "pas assez", elle fait référence à la loi du 1ᵉʳ juin 2021, tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d'azote, en prévoyant notamment l’interdiction de vendre ou d'offrir du protoxyde d’azote aux mineurs. Car c’est en sachant les dangers que Charline a stoppé net sa consommation : "Flemme d’avoir un trouble neuro pour 30 secondes de rigolade".