A la suite de l'attaque mortelle du fourgon pénitentiaire dans l'Eure, le blocage des prisons a modifié le quotidien des détenus. Au point de soulever la question de leurs droits.
Pas de nourriture, pas de médicaments, pas de promenades… Dans les témoignages qui sont parvenus à France 3 Provence-Alpes, des détenus d'une prison de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur dénoncent des "droits bafoués" et des conditions de vie devenues "insupportables". Des conditions engendrées par le blocage massif de l'institution pénitentiaire après l'attaque du fourgon dans l'Eure qui a causé la mort de deux agents. L'intersyndicale a appelé les surveillants de prison à maintenir les blocages ce vendredi 17 mai.
"Aujourd'hui, comme depuis trois jours, pas de parloir, pas de promenades, pas de livraison de cantine, pas de livraison de médicaments. On est au courant de rien, ni nous, ni nos familles", témoigne un détenu.
En 20 ans de prison, je n'ai jamais vu ça. Si quelqu'un ouvre sa bouche, il se fait plier par les surveillants.
Un détenu en PacaFrance 3 Provence-Alpes
Des témoignages comme celui-ci, l'Observatoire international des prisons (OIP) en a reçu "énormément" depuis le début des blocages. "Le climat est très, très tendu. Des détenus qui se retrouvent enfermés à trois dans une cellule de 9 m², toutes les activités suspendues, les cours, les parloirs avec les familles et les avocats. La situation est critique, notamment lorsqu'il y a un risque suicidaire notifié pour certains détenus", explique Odile Macchi, responsable du pôle enquête de l'OIP, qui souligne que le taux de suicides en prison est déjà huit fois plus élevés qu'à l'extérieur.
Des détenus privés de leurs traitements, y compris vitaux
A Nice, selon les données de l'OIP, les médecins et infirmières n'ont pas pu rentrer. Aux Baumettes, "plusieurs personnes diabétiques n'ont pu prendre leur insuline en injection", rapporte Odile Macchi. "Hier, nous avons reçu le coup de fil d'un détendu resté deux jours sans traitement pour le cœur. 'J'ai peur de mourir', nous a-t-il confié".
"Des gens n'ont pas eu de repas", poursuit Odile Macchi. Et de lister les situations relevées dans la région : "A Luynes à Aix-en-Provence, pas de parloir, famille ou avocat, pas de personnel médical, pas de promenade, pas de greffe… Et dans beaucoup d'endroits, y compris à Luynes, les poubelles n'ont pas été ramassées dans les cellules".
La tension commence à monter. Pouvoir sortir de la cellule, c'est pourtant fondamental.
Odile Macchi, responsable du pôle enquête de l'OIPFrance 3 Provence-Alpes
À Salon-de-Provence, une extraction médicale pour un examen important, un diagnostic de cancer, a été annulée. "Quand on sait les délais pour obtenir un rendez-vous à l'hôpital. Cela crée une situation qui présente des risques sanitaires importants".
Du côté des services pénitentiaires PACA Corse, la Direction interrégionale assure que "le service minimum est assuré dans l'ensemble des établissements". Ce "service minimum" comprend officiellement "les repas, la délivrance de médicaments et la cantine pour le tabac", confirme la direction à France 3 Côte d'Azur.
Vers une violation de la convention européenne des droits de l'Homme ?
"J'avais une audition la 15 mai, je n'ai pas été extrait au tribunal, j'ai n'ai pas eu de visio, peut-on lire dans le témoignage reçu à France 3 Provence-Alpes. Après, je comprends que les surveillants fassent grève, c'est normal. Mais une heure de promenade, c'est un droit."
Un droit inscrit dans le code pénitentiaire, article R-321-5, mais aussi R235-4, entrés en vigueur le 1ᵉʳ mai 2022. France 3 Provence-Alpes s'en est assuré auprès d'un avocat au barreau de Marseille, Me Cyril Ammar. L'un de ses détenus se trouve actuellement à la maison d'arrêt de Luynes, il ne peut pas le visiter. "Tous les détenus ont le droit à au moins une heure de promenade à l'air libre par jour, c'est un droit relatif à l'hygiène des détenus. Aujourd'hui, c'est un véritable préjudice".
"Si on annule les promenades, alors qu'il existe une surpopulation carcérale, qu'on note des conditions d'hygiènes déplorables comme les conditions de détention, on va tout droit vers une violation de la convention européenne des droits de l'Homme", souligne l'avocat.
Ce mouvement est justifié dans son principe, mais il cause un préjudice immense envers tous les détenus.
Me Cyril AmmarFrance 3 Provence-Alpes
Cyril Ammar rappelle que la France a été condamnée, en janvier 2020, pour violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme. Une condamnation "en raison des traitements inhumains et dégradants imposés à trois personnes détenues", à la maison d'arrêt de Fresnes.
"On peut évidemment comprendre la mobilisation des agents pénitentiaires après ce drame, précise l'avocat marseillais. Toute la justice souffre d’un manque de moyens considérable, on le montre encore une fois".
Crainte d'un renforcement du réflexe sécuritaire
"Ce qu'il s'est passé dans l'Eure est un problème lié à un certain type de criminalité, réagit Odile Macchi de l'OIP. Je comprends le ras-le-bol du personnel, le manque de personnel. Ce qui est embêtant, c'est que ça risque de donner lieu à un renforcement du réflexe sécuritaire. Augmenter les menottes, le niveau d'escorte… Ça ne se justifie absolument pas pour l'immense majorité des détenus".
Pour l'OIP, ce blocage va entraîner des mesures prises "dans la précipitation". Mercredi 15 mai, la députée Renaissance Caroline Abadie a en effet annoncé à l'Assemblée nationale, le lancement d’une "mission flash" relative aux transfèrements et extractions pénitentiaires. "Faire cela dans l'urgence, c'est un problème. Cela a des conséquences terribles sur des détenus", soutient Odile Macchi.
Un sentiment partagé par Me Ammar : "L'extension de la visioconférence, qui est en question, est problématique. On se retrouve avec un détenu qui ne voit pas son juge. On va peut-être réduire encore un peu plus les droits des détenus. La véritable problématique, c'est le manque de moyens".
Un rapport accablant sur la situation des prisons en France
Hasard du calendrier, jeudi 16 mai, a paru le rapport annuel de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Dominique Simonnot. Un rapport qu'a pu se procurer l'AFP qui dresse un tableau accablant de la situation dans les prisons en France : "Aggravation dramatique de la surpopulation carcérale", "profonde crise démographique de la psychiatrie", "carcéralisation croissante de la rétention administrative des étrangers", "atteintes aux droits persistantes en garde à vue" et "structures toujours précaires" des centres éducatifs fermés… Le rapport est sans appel.
"Avec 77 450 détenus pour 61 570 places au 1ᵉʳ avril et un taux d'occupation moyen des maisons d'arrêt à 150,4 % (avec des pics à 250 %), la France atteint chaque mois de nouveaux records d'incarcérations", note le rapport.
La CGLPL préconise "la mise en place, dans la loi, d'une régulation carcérale".
"Pas plus de prisonniers que de places. Est-ce anormal ? Pourquoi l'Allemagne a-t-elle réussi là où la France rate tout ?", s'interroge la contrôleure.
Outre la situation pour les détenus, le rapport dépeint les conditions de travail dégradées du personnel pénitentiaire. "Dans la plupart des prisons contrôlées" par la CGLPL, "les effectifs sont en nombre cruellement insuffisant. Plusieurs établissements s'accoutument à un fonctionnement très détérioré qui finit par devenir la norme. Les professionnels sont épuisés, marqués par leur impuissance professionnelle".
"Les problèmes sont multiples, de résumer Me Ammar. La prison, c'est une cocotte-minute. Entre les conditions de détention, le manque de moyens, la vétusté… Dès qu'il y a une étincelle, tout explose. L'étincelle aujourd'hui, c'est l'attaque du fourgon. Et derrière, tout vole en éclat".