Nouveau rebondissement dans l'affaire Hedi : la publication par Mediapart d'enregistrements de vidéosurveillance met en cause la version des policiers. Le site d'investigation a réalisé une enquête en marge de l'enquête. La journaliste Pascale Pascariello s'explique.
Mediapart publie des images de vidéosurveillance enregistrées dans la nuit du 1er au 2 juillet à proximité du cours Lieutaud à Marseille, montrant le tir de LBD sur le jeune Hedi, qui a dû être amputé d'une partie du crâne. De nouveaux éléments qui remettent en question la version des policiers dans cette affaire.
Les journalistes du site Mediapart se sont procuré des images, jusqu'ici jamais rendues publiques et ont eu accès à des éléments de l'enquête : au travers de cette vidéo et son décryptage, ils ont réalisé durant trois semaines un travail d'investigation minutieux. Pascale Pascariello et Martin Bessin nous ont confié leur méthode de travail, dans le respect du secret des sources.
La consultation des documents
Les enquêteurs de l'Inspection générale de la Police nationale (IGPN) avaient déjà analysé ces vidéos, ce qui avait permis d'identifier clairement les policiers mis en cause, notamment par leur tenue vestimentaire ou leur équipement. Des éléments auxquels les journalistes ont pu avoir accès comme source d'information. Tout comme ils ont pu consulter les rapports d'audition.
Autre source d'information : les fiches TSUA (Traitement relatif au suivi de l'usage des armes) du policier auteur du tir. Pascale Pascariello explique que les fonctionnaires de police ont pour obligation de signaler le recours au LBD (Lanceur de balle de défense) auprès de leur hiérarchie et de préciser les circonstances de l'utilisation de ces armes. "Ils doivent également mentionner s'il y a eu des blessés, car ils ont le devoir de leur porter secours, or ici le policier mis en cause a déclaré 10 tirs avant 22 heures, et ce, très tardivement, près de sept jours après les faits, au moment où l'IGPN demande l'accès aux fiches de déclaration des tirs. Mais celui de 1h56 du matin, il ne le déclare pas."
Le décryptage des images
En s'appuyant sur l'identification de l'IGPN et les différents documents consultés, un long travail de décryptage commence alors pour les deux journalistes qui vont superposer les éléments de l'enquête avec les éléments visuels apportés par les images.
En ralentissant les images, en les grossissant, les journalistes arrivent "à reconstituer le mouvement des policiers et à identifier le tireur avec son t-shirt blanc, en position de tir au LBD" raconte la journaliste, "et ce malgré les zones d'ombre".
Des expertises sur le terrain
Les deux journalistes ont dû se rendre sur les lieux pour conduire, à leur manière, une sorte d'expertise balistique.
Ils ont ainsi utilisé des données temporelles révélées par les images :" entre le moment où le policier tire, à 1 h 56 et 12 secondes et celui où Hedi tombe,1h56 et 14 secondes, il s'écoule deux secondes. Dans ce laps de temps, où se trouve le tireur ?" Les journalistes sont allés chercher une réponse par approximation : "grâce aux éléments d'identification de la rue, de la courbe opérée par Hedi dans sa course, de sa position au moment où il reçoit la balle dans le dos, on a pu faire une estimation de la distance à laquelle se trouvait le tireur, c'est-à-dire entre 5 et 8,15 mètres d'Hedi lorsqu'il luit tire dessus".
La reconstitution de la scène
La scène est reconstituée à l'aide de deux caméras, l'une appartenant aux services municipaux et l'autre installée dans un lieu de culte, toutes deux centrées sur les faits, permettant de "refaire le film" des événements. Il est alors décidé de ne pas diffuser les images sur lesquelles on voit clairement le visage des policiers.
Grâce au travail de montage du réalisateur Martin Bessin, à partir des différents angles de prise de vue, on peut suivre l'arrivée de Hedi et ses camarades et celle des policiers avant les faits. Pour Pascale Pascariello, il est important " de montrer l'ensemble dans la vidéo publiée, avec les circonstances qui précédent. Une fois le visionnage terminé, on a essayé de rendre ces images les plus intelligibles possible, d'expliquer pourquoi Hedi apparaît comme une ombre en raison de la mauvaise qualité des images."
La fin du travail consistera à annoter les séquences, pour rendre la vidéo lisible et compréhensible pour le plus grand nombre. "On a essayé de faire vrai travail d'enquêteur et d'explication de la manière la plus rigoureuse qu'il soit", conclut la journaliste, "c'est une nouvelle façon de travailler sur la question des violences policières quand il a des vidéos l’appui".