À seulement 22 ans, Kylian Visage, malvoyant depuis la perte brutale de sa vue en raison d’une maladie rare, s'apprête à relever un défi sportif audacieux : gravir le Mont-Blanc en juin 2025. Un projet porté par son désir de briser les barrières imposées par son handicap.
À 22 ans, Kylian Visage a perdu la vue en l’espace de trois semaines, à la suite d’une maladie génétique rare : la neuropathie optique héréditaire de Leber. Elle touche 1 personne sur 50 000. Mais plutôt que de se laisser abattre par ce handicap, Kylian a choisi de relever des défis audacieux. En juin 2025, il s’élancera avec sa petite équipe, composée de deux amis, Paul Pecondon et Enzo Mansuy, et d’un guide, à l’assaut du Mont-Blanc. Un projet qui témoigne de son désir de prouver que tout est possible, même dans l’adversité.
Un changement de perspective
Kylian ne s’est jamais laissé définir par sa cécité. "Quand j’ai perdu la vue, j’ai eu un choc, mais cela m’a aussi donné envie de me dépasser", raconte-t-il. Avant de devenir malvoyant, Kylian pratiquait plusieurs sports comme le tennis de table, le football et le vélo, mais ne se lançait pas pour autant de “défis sportifs extrêmes. L’audace qui s’est débloquée après ma perte de vision. J’ai compris que je pouvais faire des choses sans subir le regard des autres”, explique-t-il.
Une mentalité qui a évolué avec le temps : “D’abord, je n’ai pas tout de suite accepté la maladie, j’ai perdu la vue à 20 ans, ce n’était pas logique pour moi. Au final, j’ai compris qu’être aveugle n’était pas un frein, cela demande juste un peu d’adaptation”.
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La revanche de la vie
“La maladie s’est détectée d’un coup”, relate-t-il. Alors qu'il marche tranquillement dans une rue, sa vue commence à diminuer progressivement. Dans la panique, il se dirige vers l’opticien le plus proche qui le redirige vers un ophtalmologue, qui ne comprend pas les symptômes de Kylian, alors âgé de 19 ans. L’histoire se termine à l'hôpital, où il y reste “dix ou douze heures”. Il y fait plusieurs scanners, jusqu’à ce que les médecins lui annoncent qu’il allait perdre la vue de manière “définitive”. Alors avant que cela arrive, il prend son skate “comme d’habitude” et déambule partout dans la ville, “quitte à me prendre des poteaux”, sourit-il.
Avant de perdre totalement la vue, il s’obstine à trouver des stratagèmes comme le fait de retenir par cœur tous ses trajets : "je me promenais toujours dans la rue pour tenter de mémoriser tous les poteaux par exemple.”
J’ai vu avant de ne plus voir, c’était une claque, je n’étais pas préparé à cela.
Paul Visage - jeune sportif malvoyant
Il poursuit en évoquant l’impact psychologique de la maladie : "Quand je suis devenu aveugle, beaucoup de gens me disaient : ‘Moi, à ta place, j’aurais fait ceci, cela’. Mais ce n’est pas ce que je voulais entendre. J’avais envie d’agir, de prouver que je pouvais accomplir des choses. Cela m’a permis de ne pas sombrer dans le désespoir."
La perte de la vue a aussi changé sa vision de la vie. "Ça m'a permis d’accepter davantage l’aide des autres, d’être plus patient et plus gentil. Ce sont des qualités qui seront essentielles pour gravir le Mont-Blanc. À plus de 4000 mètres d’altitude, ce sont des qualités essentielles".
Une méthode sandwich qu'ils ont testé
Le projet de gravir le Mont-Blanc est né de manière un peu insolite. Au début de l’année 2023, Kylian a lancé une blague à un ami restaurateur en montagne, en lui disant qu’il aimerait faire l’ascension du Mont-Blanc. "Ça faisait longtemps que je n’étais pas allé le voir, je lui ai envoyé ce message pour rire, et il l’a pris au sérieux", se souvient-il. Petit à petit, le projet s’est concrétisé.
Lorsqu’il en parle à ses amis pour la première fois, il a “deux sons de cloches”. “Ceux qui avaient peur pour moi, ils me disaient ‘fais attention’, et ceux qui me soutenaient à fond, ‘trop chaud, force à vous’". Il en parle aussi à sa mère, qui le soutient.
Cependant, il ne s’agira pas d’une simple randonnée pour Kylian et ses amis. Tous sont des alpinistes novices, pour accomplir l'exploit l'entraînement est nécessaire. "On habite dans des endroits différents, alors on s’entraîne chacun de notre côté. Pour moi, je fais des séances de vélo d’appartement, mais pas seulement. On suit des stages d’alpinisme, et des randonnées en montagne dès que possible", explique Kylian.
Cela demande aussi d’établir quelques stratégies. “Pour savoir où mettre les pieds et éviter un accident”, Kylian pense à tout : “On a des bâtons de randonnée, soit je les prends comme canne d’aveugle, soit quelqu’un se met devant prend la canne et en la touchant derrière, je saurai si on monte, on descend, on se décale.” Son ami Paul ajoute “on est en mode sandwich. Et puis l'échange est essentiel, on se prévient entre nous, on a développé cette habitude, c’est aussi la manière que David Labarre nous a conseillé d’adopter”.
L'inspiration de David Labarre, alpiniste malvoyant
Kylian trouve une source d’inspiration majeure en la personne de David Labarre, un alpiniste malvoyant qui a réussi l’ascension du Mont-Blanc en 2019. "David Labarre est une belle inspiration. Il nous a dit que ce genre de défi est faisable, mais que ça demande de l’entraînement et quelques efforts supplémentaires quand on est malvoyant", confie Kylian. Il prévoit de le rencontrer, dans les Pyrénnées, entre décembre et janvier pour échanger sur son expérience, et pouvoir s'entraîner avec ce sportif de haut niveau.
L’exploit de David Labarre n’est pas sans rappeler le défi que s’apprête à relever Kylian : en 2019, ce dernier a atteint le sommet du Mont-Blanc (4806 m) avec son équipe, après avoir escaladé le Pic d’Aneto (3404 m) l’année précédente.
Un projet financé par la solidarité
Au-delà de l'entraînement, il s'agit d'un projet qui a un coût, qui repose sur la solidarité. Ainsi, Paul, ami proche de Kylian, ouvre la “Cagnotte des Proches”, une cagnotte en ligne pour financer l’entraînement, la location de matériel et le guide pour l’ascension. "Nous avons pour objectif de collecter 10 000 euros pour couvrir tous les frais. Si nous avons plus que nécessaire, le surplus sera reversé à une association pour les chiens guides d’aveugles de Bordeaux", précise-t-il.
Pour le moment, la cagnotte a déjà atteint 3500 euros, et le groupe espère pouvoir réserver le guide et l’ascension à temps pour juin 2025, une date choisie “pour les meilleures conditions d’escalade”.
Plus qu'un défi sportif : un message social
Kylian et ses deux amis, qu’il rencontre au lycée, comptent partager leur aventure sur les réseaux sociaux, notamment sur leur compte Instagram @a_laveuglette. "Les gens apprécient de suivre notre progression et voir que Kylian va s’en sortir", raconte Paul, un de ses amis proches.
Bien plus qu’un simple exploit sportif, "c’est un peu une revanche, une manière de montrer que l’on peut encore accomplir des choses, malgré les difficultés", conclut-il.
Un message social dans la lignée de la création de son parti politique, le "Parti Loin", avec pour devise : "Handicapés mais pas muets !".