Coronavirus : au large de Marseille, sur l'île du Frioul, une vie d'îlien confiné

Au 19ème siècle, sur l'une des îles de l'archipel du Frioul, au large de Marseille, l’hôpital Caroline accueillait les voyageurs en quarantaine. Aujourd’hui, confinés par l'épidémie de coronavirus qui sévit sur le continent, c'est la centaine de résidents qui tente de s'en protéger.

Le Frioul… quatre petits îles situées à un peu moins de 3 km au large de Marseille. L'archipel est une destination plébiscitée par les touristes, à toutes époques de l'année… presque.  

"Là on le vit en live", témoigne Isabelle. Cette enseignante fait partie des résidentes du Frioul qui vivent ainsi la période de confinement imposée, à quelques encablures de Marseille.

Un peu plus d'habitants que d'ordinaire, "même des Parisiens"

D'ordinaire, Isabelle partage sa vie entre un appartement dans le 7e arrondissement de la cité phocéenne et la douceur de vivre de l'archipel. Mais les mesures de confinement l'ont poussé à choisir l'île.  

"Nous sommes environ 150, explique-t-elle. Le confinement a fait augmenter un peu la population, car des gens, même des Parisiens, ont choisi de vivre leur confinement sur l’île".

Ils sont ainsi trois ou quatre familles, à avoir décidé de se mettre au vert au Frioul. Dans un appartement, ou même sur un bateau, parmi les quelque 600 anneaux que compte le port.  

"On le voit bien, il y a un peu plus de jeunes et d’enfants, les gens sont venus en famille, d'habitude on n'observe cela que pendant les vacances".

Être confiné sur un voilier

Sandrine et sa fille de sept ans sont descendues de Paris, lundi 15 mars, la veille du confinement du pays. Elles habitent dans un voilier au port du Frioul.

Depuis de nombreuses années, elles ont pour habitude de passer leurs vacances ici, loin du tumulte de la capitale.

En cette période particulière, Sandrine a décidé d’avancer son séjour. "Je suis mieux sur un bateau que dans un appartement", confie-t-elle en précisant avoir quitté un appartement "un peu sombre" à Paris pour un voilier de 9,30 m. 

A peine dix mètres pour vivre, une seule cabine pour deux, mais un cadre de vie unique : "Il faut aimer le bateau, c’est un mode de vie tout à fait particulier qui ne convient pas à tout le monde. Il y en a qui ne supporte pas", en convient-elle.

Vivre sur un bateau, c’est changer de temporalité : "Tout prend du temps. Faire une lessive, c’est à la main, ça vous prend la moitié de la matinée, faire à manger ça prend du temps parce qu’il n’y a qu’un seul feu. Ce n'est pas du tout la même vie que dans un appartement"

Comme elle, quelques personnes ont rejoint leur bateau pour vivre leur confinement au Frioul. Il y a également plusieurs personnes habitant à l’année sur leur bateau, et ceux qui résident au port du Frioul.

Une autre forme de stress

Depuis qu’elle a rejoint le Frioul avec sa fille, Sandrine fait très attention aux mesures de confinement pour ne pas éventuellement contaminer les autres ou se faire contaminer. Elle s’autorise toutefois des "petites sorties" sur l’île "pour faire trois pas dans la nature".

Si l’ambiance est plus tranquille qu’à Paris, il existe d’autres sources d’inquiétude : le ravitaillement à la supérette : "Il manque des produits frais""Il y a des pommes, des bananes des tomates et des pommes de terre… et voilà", témoigne-t-elle.

Samedi 21 mars, exceptionnellement, Sandrine a pu acheter du lait et des oeufs :"Jusqu’à aujourd’hui pour les protéines, il n’y avait rien du tout". 

Sandrine, qui ne fait aucun aller-retour à Marseille, "fait avec" et voit le positif : "Ça s’améliore. Tous les jours il y a un petit peu plus. Donc on fait avec ce qu’il y a".  

Tony, le gérant de la supérette, nourrit l'île à bout de bras

Le confinement, les habitants du Frioul le vivent à l’année, naturellement. "Il n’y a pas de commerces ouverts à l’année au Frioul".

Seul changement, la supérette. Le commerce alimentaire de l'île qui ouvre généralement entre les vacances de Pâques et La Toussaint "a ouvert mi-mars exceptionnellement, le matin. Ce qui nous permet de nous réapprovisionner en denrées de base".

Quand Emmanuel Macron a annoncé le début du confinement mardi 16 mars, Anthony Fabre, dit "Tony", et son épouse n'ont pas hésité à avancer l'ouverture de leur supérette, la seule au Frioul, de quinze jours.

"On ne va pas laisser les gens dans la panade. La population est assez âgée, ils ont tous peur de descendre sur Marseille". 

Après avoir averti le CIQ (Comité d'intérêt de quartier), le couple résident à l'année a dû réachalander le magasin situé sur l'île de Ratonneau. Ils se sont alors heurtés à de nombreux problèmes. 

Anthony travaille depuis des années avec un grossiste aux Pennes-Mirabeau : Metro. En temps normal, les fournisseurs livrent sur place au Frioul une fois par semaine. Depuis le confinement, "ils sont tous partis en chômage technique"

Un jour sur deux, le commerçant de 50 ans doit désormais prendre la navette de 7 heures du matin, récupérer sa Berlingo au parking à Marseille, faire 20 kilomètres pour se rendre à l'entrepôt, charger toute la marchandise.

Puis retour au port, chargement dans la navette, déchargement au Frioul et transporter tout cela en tirant un lourd charriot sur 100 mètres... pour enfin tout mettre en rayon. 

Une matinée entière pour pouvoir nourrir les quelque 100 résidents. "Le bonheur. Je dors bien le soir", ironise-t-il. 

"On pourrait faciliter les choses et monter le véhicule sur le bateau… Mais à 80 euros le passage, ça ferait cher la baguette", se désole-t-il sans perdre son humour.

Anthony tente de discuter via l’élu présent sur place, Christian Couton, avec la métropole pour que lui et l’infirmier du Frioul puissent pouvoir passer gratuitement.

"Ils pourraient quand même nous faire une dispense !", estime Anthony, sans se faire d'illusion : "Ils pourraient… mais c’est du conditionnel".

Pénurie de charcuterie et produits laitiers

Autre problème, certaines denrées viennent à manquer. L’entrepot ouvrant à 7 heures, heure à laquelle la première navette quitte le Frioul, Anthony arrive après tout le monde aux Pennes-Mirabeau.

De plus, il ne trouve plus certains produits : "Je manque d’oeufs, de lait, de charcuterie, de fromage. Tout le reste je l’ai". Pas de pénurie de pâtes ni de papiers toilettes, c’est déjà ça. 

"On est en train de voir avec la direction pour travailler par internet, avec des commandes, qu’ils mettent de côté… c’est un peu le bazar", confie-t-il.

Alcool à brûler pour désinfecter

En attendant, Anthony et son épouse s'efforcent d'aider leurs voisins dans la bonne humeur"Les habitants sont soulagés, ils nous disent merci d’avoir écourté nos congés". Et n'oublient pas de respecteur les mesures d'hygiène, quitte à y laisser leur peau.

Comme on ne trouve pas de gel hydroalcoolique, on désinfecte tout à l’alcool à brûler et on se nettoie les mains à l’alcool à brûler. On commence à avoir les mains qui vont tomber mais bon..

Le gérant de la supérette a installé un grand plan de travail de cuisine d’1 mètre 30 entre la caisse et les clients. Il a également placé un panneau en plexiglass pour éviter les projections.

Certains disent que l'on est privilégié ici

Anthony est conscient que sa situation sur les îles du Frioul est moins stressante en temps de confinement. Mais l’isolement à un prix. "Cela fait une semaine qu’on n’a pas de courriers. On n’a pas été prévenu, déplore-t-il. Le président du CIQ a remué ciel et terre, on va peut être avoir un facteur pour lundi (23 mars, ndlr)"

Pas de ramassage des poubelles non plus samedi 21 mars. Là encore, les habitants n’ont pas été mis au courant. "Personne ne nous dit rien. Au Frioul, on nous oublie tout le temps. Tout le temps. Les gens en ont marre. C’est pourtant le 7e arrondissement de Marseille…"

Traversées réservées aux résidents

A l’heure où Isabelle nous répond (vendredi 20 mars), elle a encore le droit d’aller sur le continent, en empruntant le service de vedettes qui relie le Vieux-Port de Marseille aux îles.

Seuls les résidents peuvent encore circuler via les navettes. "Mais jusqu’à quand ?", s’interroge Isabelle, qui souligne que même les bateaux de particuliers n’ont désormais plus droit de naviguer.

La solidarité s’amplifie

"Nous nous rendons sur le continent le moins souvent possible, pour la pharmacie, les courses ou les rendez-vous médicaux. Et si quelqu'un fait le déplacement, il fait les courses des voisins. Nous sommes très raisonnables", témoigne Isabelle.

Finalement, très peu de résidents font les allers-retours. Pour l'instant, le coronavirus semble avoir épargné l'île et ses habitants. Le médecin ne se déplace plus. Il ne consulte que par visio.

La caserne des marins-pompiers fonctionne elle toujours. S’il y avait un cas grave, le malade serait pris en charge par hélicoptère, "mais comme d’habitude finalement". Une vie d'îlien, reste une vie d'îlien…

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