Les personnels soignants mobilisés dans les services de réanimation pour tenter de sauver les malades de Covid-19 sont soumis à une énorme pression. Pour les aider faire face, l'Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille a mis en place une cellule d'écoute téléphonique 7 jours/7.
Julie est infirmière en réanimation à l'hôpital de la Timone à Marseille. Elle a du métier, pourtant ce qu'elle vit ne ressemble en rien à ce qu'elle a déjà vécu dans ce service où elle travaille depuis 16 ans.
Pour soulager les réa d'autres hôpitaux, son service a affecté 16 lits aux malades Covid-19. Ils ne désemplissent pas.
Il faut prendre de nouvelles habitudes de travail
"Ce n'est pas la surcharge de travail qui est le plus difficile à supporter, raconte-elle, ce qui est pénible c'est de devoir faire attention à ne pas se contaminer, à bien s'habiller, mettre sa tenue, son masque, ses lunettes".Les soignants ont dû prendre de nouvelles habitudes de travail particulièrement contraignantes.
"On doit regrouper les soins au maximum pour ne pas entrer plusieurs fois dans la chambre, les médecins doivent aussi faire les soins infirmiers quand ils entrent faire leur visite parce qu'on n'entre pas forcément avec eux pour économiqer les tenues", explique Julie.
Le plus gros stress pour Julie vient de cette interrogation : "est-ce qu'on va avoir assez de matériel pour se protéger ?"
"On a eu des vols de masques, des vols de blouses, s'insurge l'infirmière, tout est fermé à clé, on nous sort au fur et à mesure le matériel dont on a besoin, on a mis des caméra de vidéo-surveillance en réanimation".
La peur de la contamination
Cette peur constante liée au manque de matériel engendre une autre peur, celle d'attraper le virus."On est en contact avec des malades qui sont positifs, quand on rentre à la maison est-ce qu'on ne risque pas de contaminer nos proches ?
"Là, je viens d'apprendre qu'une dame de l'entretien en réanimation a été testée positive après avoir fait trois tests qui étaient négatifs. Moi, j'ai travaillé avec elle ce week-end. En réa, on met notre masque, mais en salle de pause quand on mange on l'enlève.
Dans la salle de repos, c'est notre moment de détente, on souffle et peut-être qu'on est moins vigilants".
"Ça, on n'en a pas l'habitude, c'est des stress qu'on a du mal à gérer", reconnaît Julie.
Et puis il y a les malades. La soignante souffre terriblement de cette distance que le Covid impose entre eux.
"Quand ils commencent à se réveiller, qu'on les extube, ils vont mieux au niveau physique, mais ils sont très anxieux."
regrette Julie.Malheureusement on ne peut pas passer du temps près d'eux et leur prendre la main
Etre là pour les patients privés de leurs proches
"Pendant 8 ou 10 jours, ils ont été coupés de tout parce qu'ils ont été endormis, ils ont besoin qu'on leur explique ce qu'il se passe, et ça, on le fait parfois à travers une porte, parce qu'il faut éviter au maximum d'entrer en contact avec eux"."C'est très difficile de ne pas pouvoir les accompagner, surtout qu'il n'y a plus de famille qui vient rendre visite. Ils sont coupés de leurs proches, ils n'ont que nous comme repères."
" C'est très compliqué parce qu'ils étaient en détresse respiratoire et l'anxiété peut générer des troubles respiratoires et après ils ne sont pas bien, c'est un cercle vicieux, ... tout ça pèse sur nous."
Le risque de syndrôme post-traumatique
"Je dors beaucoup moins bien, note Julie, on cogite beaucoup. On a du mal à faire redescendre la pression et même si on est fatigués, on a du mal à trouver le sommeil".Alors que le pic de l'épidémie n'est pas encore atteint à Marseille, Julie appréhende déjà l'après-crise, pour elle et ses collègues.
"La pression va se relâcher, et l'épuisement va se faire sentir surtout si on a comme dans le Grand Est beaucoup de patients et beaucoup de décés. Ça risque d'être compliqué psychologiquement pour reprendre son travail et sa vie de tous les jours".
L'Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille qui a dénombré 60 soignants positifs (infirmiers, médecins ou internes), a bien conscience des risques encourus par ses personnels pendant et après la crise.
"C'est ce qu'on voit en Chine et ils ont 2 mois d'avance sur nous. Il y a 30 % des soignants qui présentent des signes de Syndrome Post-Traumatisme, des signes dépressifs, des problèmes d'insomnies, tout ça en décalé détaille le docteur Marion Dubois, psychiatre coordonnateur Paca de la Cellule d’Urgence Médico-Psychologique.#CORONAVIRUS ???? Voici résumé en une infographie le dispositif #Covid19 de la Cellule d'Urgence Médico-Psychologique (CUMP) 13 ?#santé #chu #samu #aphm #soutien #soignants #patients #deuil #marseille pic.twitter.com/GtP6VMn7xq
— AP-HM - Hôpitaux Universitaires de Marseille (@aphm_actu) April 6, 2020
"Pour l'instant ils sont encore dans le feu de l'action, mais quand la pression retombe, c'est là que les problèmes psychologiques apparaissent et c'est là qu'on devra intervenir aussi le plus vite possible" ajoute-elle. Cela peut être beaucoup d'anxiété, des cauchemars, de l'irritabilité, des attaques de panique en journée, de l'hypervigilance..."
"Cette souffrance est bien connue chez les soignants et les secouristes, on appelle cela le syndrome vicariant" précise Valérie Guyon, psychologue coordonnateur CUMP.
La hotline mis en place dès le 16 mars n'a reçu que peu d'appels. "Ce n'est pas dans la culture du soignant, un peu "Super Héros, d'aller dire qu'il a lui-même des difficultés", explique le docteur Dubois. L'équipe de la cellule de soutien va donc à la rencontre des personnels dans leurs services.
Libérer la parole et les émotions refoulées
"On va dans leur salle de pause, on essaie d'aller discuter avec eux, de prendre un café, les faire parler de ce qu'il se passe et leur faire exprimer leur ressenti et leurs émotions, explique le Dr Dubois, ce qui peut vraiment aider chez des soignants qui n'ont pas l'habitude de dire comment ils vont et qui renferment tout".Pour faire face aux situations de traumatisme, de burn-out ou d'épuisement, des thérapies spécifiques brèves seront d'ores et déjà imaginées pour une prise en charge individuelle.
Céline Nguyen-Lamouri, infirmière coordonateur CUMP 13 souligne que la hotline aura sans doute un plus grand rôle à jouer en post-crise. "Là, ça fait trois semaines et ils sont toujours dans le rush, mais on ne sait pas ce que ça va donner dans quelques semaines".
Alors que le pic n'est toujours pas atteint et qu'une stabilisation de l'épidémie n'est pas envisagée avant une dizaine de jours, dans les services, la prévention passe aussi par des rituels forts qui favorisent la "pensée positive" face au virus.
"Quand les patients sortent de service, ils ont une haie d'honneur, ils sont applaudis par l'ensemble de l'équipe, raconte Céline Nguyen-Lamouri, c'est très fédérateur". Célèbrer ces victoires sur le Covid les aide à avancer chaque jour un peu plus vers le bout du tunnel.