Un traitement à la chloroquine et maintenant un dépistage de toutes les personnes "fébriles" : la méthode du Pr. Raoult, patron de l'IHU de Marseille alimente le débat. Sur Internet les pétitions circulent, des personnalités encouragent, tandis que d'autres dénoncent un scandale sanitaire.

Dans un communiqué daté du dimanche 22 mars, six professeurs de médecine, infectiologues réputés de l'Institut Hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection de Marseille, dirigé par le Pr Didier Raoult, indiquent vouloir faire "bénéficier à [leurs] patients de la meilleure prise en charge pour le diagnostic et le traitement d'une maladie".

L'IHU assure le dépistage de toutes les personnes "fébriles" qui s'y présentent, une démarche à l'encontre des consignes nationales, qui préconisent de réserver les tests à certaines populations (fragiles, âgées, femmes enceintes, etc.)

En outre, les médecins signataires du communiqué de l'IHU, dont le Pr. Raoult, annoncent que tous les patients atteints du Covid-19, "dont un grand nombre peu symptomatiques ont des lésions pulmonaires au scanner".

Elles sont traitées par l'association d'hydroxychloroquine, un dérivé de la chloroquine, une molécule utilisée contre le paludisme et d'azithromycine. "Dans les cas de pneumonie sévère, un antibiotique à large spectre est également associé", ajoutent les médecins.

Là encore, la démarche du professeur Raoult est critiquée par plusieurs médecins qui l'accusent de ne pas respecter les protocoles, alors que des études sur plusieurs molécules sont en cours pour mesurer leur efficacité sur le SARS-CoV-2 (Covid-19).

"Les résultats de l’équipe de Marseille sont intéressants, on les regarde. Ils sont extrêmement préliminaires et ne répondent pas aux critères classiques de l’évaluation d’un médicament", avait indiqué le Pr. Delfraissy, président du Conseil scientifique, le 18 mars dernier, précisant qu'une étude des effets de la chloroquine serait ajoutée aux études en cours, sous l'égide de l'OMS.

Le soutien des personnalités politiques au Pr. Raoult

Martine Vassal, présidente de la métropole Aix-Marseille-Provence et du département des Bouches-du-Rhône, testée positive au Covid-19 et hospitalisée à l'IHU, a indiqué sur les réseaux sociaux qu'elle soutenait le professeur Raoult et son initiative d'étendre le traitement à la chloroquine.

"Nous sommes dans une situation de médecine de guerre et n’avons pas le temps d’attendre face à la pandémie", précise-t-elle dans un tweet.  La députée LR des Bouches-du-Rhône Valérie Boyer, elle aussi testée positive au Covid-19, indique avoir confiance au professeur Raoult et ne veut pas s'arrêter aux effets secondaires de la chloroquine. Dans les Alpes-Maritimes, le maire de Nice, Christian Estrosi (LR), lui-même contaminé par le coronavirus et traité par la chloroquine, a également déclaré le 22 mars sur Radio J qu'il a "envie qu'on fasse confiance" à Didier Raoult.

"L'hôpital de Nice aujourd'hui a été approvisionné avec Sanofi, en chloroquine, comme d'autres établissements hospitaliers de notre pays (...) il y a des protocoles et à partir du moment où le médecin hospitalier se tourne vers les familles en demandant si elles sont d'accord, et bien tant mieux", a souligné Christian Estrosi. Les maires de Cannes et Antibes se sont également positionnés sur la question, réclamant une "équité" dans l'application d'un traitement à la chloroquine. 

Le patron des sénateurs Les Républicains, Bruno Retailleau, a exhorté dimanche le gouvernement à ne pas "prendre de retard" sur le traitement du coronavirus en généralisant dès maintenant l'utilisation de la chloroquine.

"La chloroquine, pourquoi ne l'utilise-t-on pas?", s'est interrogé sur France Inter l'élu de Vendée. "Elle a un avantage, elle n'est pas chère. Est-ce que c'est parce que les grands labos aimeraient se faire de l'argent sur le dos de nos concitoyens?", a-t-il poursuivi.

Bruno Retailleau a plaidé pour "qu'on n'attende pas ce que les milieux académiques peuvent attendre, c'est-à-dire des règles standards, académiques, de la recherche de risques".

"Peut-être faut-il simplement le prescrire en milieu hospitalier. Mais on élargit tout de suite la prescription. Et il faut que le directeur général de la Santé dise à tous les hôpitaux de France: allez-y ! De toutes façons qu'est ce qu'on risque ? Les gens meurent", a-t-il insisté.

"On a eu suffisamment de retard sur les masques, les tests, le confinement, pour qu'on n'en prenne pas sur le traitement", a-t-il encore observé.

Aucune donnée suffisamment validée scientifiquement

Samedi, le ministre de la Santé Olivier Véran avait indiqué avoir demandé à ce que l'étude menée par le professeur Raoult "puisse être reproduite à plus large échelle dans d'autres centres hospitaliers, par d'autres équipes indépendants".
           
Un complément nécessaire car "jamais aucun pays au monde n'a accordé une autorisation de traitement sur la base d'une étude comme celle-ci", a-t-il fait valoir.

"Je suis ça d'extrêmement près. Mais aujourd'hui je n'ai aucune donnée suffisamment validée scientifiquement, médicalement, pour tendre à une recommandation", a ajouté Olivier Véran, qui espère des résultats d'ici 15 jours.

Si les résultats étaient concluants, "tout est prêt" et "nous pourrions aller vers une voie thérapeutique", a encore précisé le ministre de la Santé.

"Mais l'histoire des maladies virales est peuplée de fausses bonnes nouvelles, peuplée de déceptions, de prises de risques inconsidérées aussi", a encore averti Olivier Véran.

Des pétitions pour une dépistage massif et le traitement à la chloroquine

Depuis la médiatisation du professeur Didier Raoult et de son initiative de dépister toutes les personnes "fébriles" et de traiter les malades avec un protocole à base de chloroquine, plusieurs pétitions en ligne réclament un dépistage massif et le traitement de l'infectiologue de l'IHU de Marseille.

À 14h, ce lundi, l'une d'entre elle, intitulée "Covic-19 : écoutons le Dr Didier Raoult ! Dépistage et traitement à la chloroquine", rassemblait pas moins de 180.058 signatures.

Dans cette pétition adressée au président de la République, Emmanuel Macron, l'auteur, Grégory Maître, reproche à la France d'avoir choisi la même stratégie que l'Italie (confinement drastique et peu de dépistage). Selon lui et les signataires, "Cette méthode est tout simplement celle qu'on appliquait au moyen-âge".

D'autres pétitions en ligne appelant à étendre le dépistage et le traitement à la chloroquine rassemblaient plus de 20.000 signatures.

L'utilisation de la chloroquine à l'étranger

En Belgique, le docteur Philippe Devos, président de l’Absym, l’Association belge des syndicats médicaux, chef des soins intensifs au CHC de Liège, lui-même testé positif au coronavirus a lancé un appel à son gouvernement pour l'utilisation de la chloroquine.

Il rejoint l'avis du spécialiste des maladies infectieuses marseillais. "On recommande maintenant de donner l’hydroxychloroquine pour tous les patients hospitalisés, pas uniquement pour les patients en soins intensifs", a-t-il indiqué, précisant qu'il n'y avait pas assez de ce médicament en Belgique pour traiter toute la population.

Aurore Ancion, médecin-urgentiste au CHU de Liège, confirme l'utilisation de l’hydroxychloroquine : "il est actuellement réservé pour les patients qui sont hospitalisés", indique-t-elle sur RTL Info, précisant que c'est encore trop tôt pour en mesurer les effets bénéfiques. 

Aux Etats-Unis, Donald Trump s’est montré optimiste pour cet anti-paludéen et souhaite rendre ce médicament immédiatement disponible.

Conséquence, les laboratoires Sanofi, Mylan ou encore Bayer ont augmenté ou relancé la production de ce médicament pour faire face à une éventuelle pénurie.

Des médecins dénoncent de faux espoirs de guerison

Face à l'engouement populaire et de certaines personnalités politiques, d'autres médecins se montrent beaucoup plus prudents avec la chloroquine et le dépistage à grande échelle.

Interrogée dans le journal de 13h, ce lundi, le docteur Karine Lacombe, cheffe de service des maladies infectieuses de l'hôpital Saint-Antoine, à Paris, se dit "ecoeurée" par la situation marseillaise.

"Sur la base d'un essai contestable sur le plan scientifique et qui ne montre absolument rien, on expose les gens à un faux espoir de guérison", a-t-elle affirmé, rappelant qu'il s'agit d'une maladie qui, dans 80% des cas, au bout de quelques jours guérie spontanément.

Elle ajoute que "ce qui se passe à Marseille est absolument scandaleux. Utiliser un médicament hors utilisation de mise sur le marché (pour traiter le Covid-19) en exposant les patients à des complications, c'est en-dehors de toutes démarches éthiques", même si elle reconnaît que ce médicament peut avoir potentiellement une activité in-vitro.

La cheffe de service des maladies infectieuses de l'hôpital Saint-Antoine se dit peinée que "des scientifiques de renom comme ses collègues marseillais se soient engagés dans une action de ce type". Hier soir, un autre spécialiste parisien des maladies infectieuses se montrait prudent avec l'utilisation de la chloroquine, dans le traitement du Covid-19.

"Un médecin peut prescrire, en son âme et conscience, un médicament hors autorisation de mise sur le marché", indiquait-il, "et puis il y a la recherche. L’hydroxychloroquine est une hypothèse qui fait l'objet de recherches, parmi d'autres".

Le professeur se montre encore plus prudent lorsqu'il s'agit des effets de ce médicament, précisant que les études ont été menées sur 24 malades, sans groupe contrôle, sans données cliniques. "Il faut être prudent et faire preuve d'humilité, dans cette maladie qu'on ne connaît pas", a-t-il conclu.

En revanche, la stratégie du confinement le plus strict semble faire consensus, le docteur Karine Lacombe appelle à un durcissement des mesures pour limiter la propagation du virus.

En France, deux médecins sont décédés du Covid-19 et plusieurs centaines de soignants sont aujourd'hui positifs au coronavirus.
 
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