ENTRETIEN "C'est une réaction normale à une situation anormale", pour cette psychologue, l'écoanxiété n'est pas une pathologie

En France huit personnes sur dix seraient touchées par l'écoanxiété selon une récente étude. C'est le thème d'une des conférences du festival La relève, consacré à la santé mentale ce week-end à Marseille.

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C'est "la peur chronique d'un environnement dégradé" selon l'association américaine de psychologie. À mesure que les données scientifiques sur l'ampleur du changement climatique se font plus inquiétantes, une part de plus en plus importante de la population dit ressentir de l'écoanxiété.

Lucie Bonhomme est psychologue pour adultes au sein de l'Assistance publique des hôpitaux de Marseille (AP-HM). Elle donnera ce dimanche une conférence dans le cadre du festival "La relève" organisé par l'Esper pro, une association de médiatrices et médiateurs en santé mentale. Elle a à cœur de mettre en évidence le lien entre écoanxiété et action collective.

Qu'est ce qui vous a amenée à vous intéresser à l'écoanxiété ?

Le terme écoanxiété date de la fin des années 1990. Il est attribué à une psychiatre Belgo-canadienne, Véronique Lepaige. Mais il a vraiment émergé dans les années 2015 en Australie d'abord, puis aux États-Unis. Sa reconnaissance par l'association américaine de psychologie a été un vrai cap, et à partir de là, il y a eu des études épidémiologiques.

J'ai commencé à m'y intéresser il y a 2 ou 3 ans, à titre personnel. J'ai constaté cette problématique dans des groupes militants auxquels je participais. J'ai eu envie de transmettre des outils de prévention et de soin à ces personnes que je côtoyais.

Dans mon activité à l'hôpital, je n'ai pas encore pris en charge de patient écoanxieux. Mais mes collègues qui travaillent en libéral, dans des cabinets en ville, y sont confrontées.

Comment définir l'écoanxiété ?

D'abord, ce n'est pas une pathologie. C'est une réaction normale à une situation anormale, le changement climatique. Le monde qui s'annonce sera surement plus difficile et plus violent que celui que l'on connait.

C'est une vraie souffrance qui mérite d'être accompagnée. Cela peut être une simple inquiétude. On peut aussi voir des manifestations d'angoisse, des troubles du sommeil ou de l'alimentation, des palpitations, des angoisses de mort. L'écoanxiété peut devenir invalidante.

Elle est fortement déterminée par le lien aux autres. Les personnes ne sont pas seulement éco anxieuses pour leur propre environnement, mais aussi à l’ensemble de la population, au vivant, aux générations futures.

Cet état peut être aggravé par la confrontation au déni d'autres personnes du changement climatique, qui provoque un grand sentiment de solitude. Les plus jeunes notamment peuvent On peut aussi ressentir de la colère ou un sentiment de trahison face à l'inaction politique des générations précédentes.

Y-a-t-il des personnes plus susceptibles d'être touchées ?

Une étude de la psychiatre Caroline Hickman, publiée en 2021 dans la revue scientifique Lancet et menée sur 10 000 jeunes de dix pays du nord et du sud, a montré que les jeunes générations sont particulièrement touchées.

Mais pas seulement. Les personnes très informées sur les conséquences du changement climatique, comme les chercheurs ou les militants ou encore des travailleurs du secteur agricole sont également sensibles.

En France, le Conseil économique environnemental, sociétal et économique (Cese) estime que l'écoanxiété touche huit Français sur dix. On est sur des effets importants, ce n'est ni un effet de mode, ni un truc de bobos.

Comment réagir quand on est soi-même touché ? 

On peut être dans le déni ou le fatalisme. Mais pour les plus jeunes qui ont la vie devant eux, ce n’est pas possible. Il faut entrer dans l'action et ça commence souvent par l'engagement individuel, comme les éco-gestes, qui déculpabilisent. Mais très vite, il y a une envie d’aller plus loin. 

On peut agir en intégrant des groupes militants ou politiques, mener des actions collectives au sein des entreprises où l'on travaille par exemple. L'important, c'est de trouver le lien aux autres.

Les personnes vont compenser leur écoanxiété avec des moments de joie, un sentiment d’appartenance et de compréhension. S’entendre avec des personnes qui ont les mêmes préoccupations, c'est assez réconfortant.

Comment les soignants peuvent prendre en charge l'écoanxiété ?

C’est un positionnement difficile pour les psychologues. C’est une problématique où on est dans le même bain d’angoisse que les patients. J'ai une collègue qui dit que ce sont les rares séances où elle ressort plus mal que le patient qu'elle reçoit. Parce que ces personnes nous transmettent aussi beaucoup d'informations angoissantes.

On peut proposer de faire du yoga et de la méditation. Mais jusqu'où on adapte les personnes à une situation toxique ? Cette émotion d'écoanxiété, c'est un signal d'alarme. Il ne faut pas rendre la situation supportable, il faut sortir les patients de la sidération pour agir.

La réponse à la montée d'écoanxiété ne pourra jamais n'être qu'individuelle. Elle devra principalement être collective et sociétale.

>> La conférence "Ecoanxiété : accompagner les difficultés individuelles sans dépolitiser le débat" de Lucie Bonhomme aura lieu dimanche 26 mai à 16h, aux Docks des Sud à marseille, dans le cadre du Festival La relève, organisé par ESPER PRO

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