"Je ne me suis pas méfié" : le combat de restaurateurs contre leurs assureurs qui veulent exclure le risque Covid

Les restaurateurs n'en peuvent plus. La situation financière est tendue avec la fermeture et les charges qui continuent de tomber. En face, leurs assureurs ne jouent pas le jeu, pire, ils cassent les contrats pour enlever la clause de prise en charge en cas d'épidémie. 

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"J’ai trois contrats d’assurance distincts mais avec la même compagnie par le biais d'un agent général d'assurance. Je travaille avec lui depuis des années, j’avais confiance en lui. Il m’a trahi." Laurent* est à la tête de trois restaurants dans le centre-ville de Marseille. Et comme Georges*, lui aussi restaurateur, il doit faire face à deux soucis majeurs : la fermeture de leurs établissements liée au Covid-19 et leur combat contre leur assureur.

>> VIDEO. "Au moment de fermer, j'ai pleuré" : quatre restaurateurs confient leur détresse face au confinement

Comme leurs confrères en France, depuis le premier confinement, leur situation financière est critique. "Au 31 octobre, j'ai subi une perte annuelle de 170 000 euros de mon chiffre d'affaires. Rien que sur le Vieux-Port à Marseille, depuis le début de la crise, sept restaurants sont déjà en liquidation judiciaire", confie Georges, 52 ans, qui a repris un établissement considéré comme une institution en ville.

Une clause pandémie polémique 

En attendant une possible réouverture le 15 janvier, Georges et Laurent, qui ont souscrit à la même assurance, font face au même écueil.

 

"Elle refuse de m'indemniser alors que c'était prévu dans mon contrat."

Georges*, restaurateur à Marseille


Une situation partagée par de nombreux restaurateurs qui ont souscrit avant la crise, une assurance avec une clause de prise en charge en cas de pandémie. Une clause que les assurances pensaient n'avoir jamais à couvrir. Mais 2020 est passée par là.

"C'est une extension de la garantie pour perte d’exploitation suite à une fermeture administrative pour maladie contagieuse, intoxication ou épidémie", explique Maître Jean-Pierre Tertian, avocat marseillais spécialisé dans les litiges entre restaurateurs et assurances. Mais certains assureurs comme Axa ont fait figurer une autre clause : la garantie ne fonctionne pas si un autre restaurant est concerné dans le même département. "Une clause d'exclusion discutable", selon l'avocat

"J'avais confiance"


L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) estime que 93% des restaurateurs assurés ne sont pas couverts par la clause de pandémie, précise Le Monde. Seuls 3%, le seraient de façon certaine et 4% d'entre eux restent dans une zone libre d'interprétation et donnent lieu à des procédures devant la justice. 

 


Les tribunaux de commerce de Tarascon, Rennes et Marseille ont estimé récemment que cette exclusion n’est pas applicable car elle dénature la clause et donnent raison aux plaignants. Georges et Laurent sont d’autant plus surpris que leur agent général d’assurance, représentant Axa, n’a pas été "clair et honnête dès le départ", explique Laurent.

"C’est d’autant plus grave qu’il représente une grosse société et va mettre ses intérêts avant ceux de son assuré, c'est à dire moi", peste Laurent. Après plusieurs années de collaboration, "ma relation avec l'agent général était très bonne et un climat de confiance s’était installé", explique Georges. "Il m’avait été présenté par l’Umih 13 et en était l’assureur, j’avais des bons rapports, et j’avais confiance", ajoute Laurent.

Une proposition d'avenant au contrat

"Mon contrat arrive à son terme fin décembre, je pensais que le renouvellement n'était qu'une formalité", confie perplexe George. Sa compagnie d'assurance a envoyé sur place, dans son établissement, un agent. "Elle est venue me proposer de signer un avenant à mon contrat. Sur le coup, je n'ai pas trop fait attention, et puis en redemandant précisément j'ai compris qu'il y avait un problème", détaille ce restaurateur.
 

"Cet avenant prévoie la suppression de la clause d'indemnisation pour perte d'exploitation liée à une épidémie. Je ne savais même pas que cela faisait partie de mon contrat. J'ai refusé de signer, l'assureur a décidé de résilier mon contrat."

Georges, restaurateur à Marseille



"Le 14 mars, on ferme à l'occasion du premier confinement, détaille de son côté Laurent. J’ai pas trop regardé mes contrats et comme jusqu’à présent mon agent général a toujours répondu présent je ne me suis pas méfié."

Le lundi matin, suivant le premier confinement, il décide toutefois de l'appeler pour discuter de la perte d’exploitation. "Il me répond que non, que mon contrat ne couvre pas cette fermeture, je suis dépité mais je crois mon assureur", se rappelle Laurent.

"Mon avocat décide d'assigner la compagnie d'assurance"


Plusieurs semaines se passent et Laurent finit par être contacté par une avocate qui lui explique qu’elle prépare un recours collectif. "Je lui envoie mon contrat et elle me dit il y a une faille, détaille-t-il. Elle m'explique que j'ai la fameuse clause et que je peux donc bénéficier de l’indemnisation."

"Je rappelle mon assureur mais il me noie le poisson en essayant de faire durer les choses, peste Laurent. Il m’assure qu’il va y avoir un geste fort des assurances. Mais moi, j’ai trois établissements, c’est 1 million d’euros qu’ils me doivent."

"J’entame la procédure et mon agent d'assurance me dit : 'Tu vas perdre ton temps, tu ne vas pas gagner, tu es le seul à avoir ce comportement.'"

Laurent, restaurateur à Marseille



Laurent décide alors d'envoyer un premier mail en mai sur la couverture de perte d’exploitation. Sans aucune réponse. "Pire, mon avocat se rend compte que l’agent général n’a pas fait la déclaration d’ouverture de sinistre, déplore Laurent. Mon avocat décide d'assigner la compagnie en septembre."

Si certains restaurateurs ont obtenu gains de cause, ces décisions n'ont pas fait jurisprudence, et ont surtout affolé le monde de l'assurance.

Une audience fixée en janvier

"Entre temps, Axa se retrouve condamnée à plusieurs reprises, assure Laurent. Mon agent général me recontacte et veut me voir en septembre, je pensais que c'était pour une conciliation, mais pas du tout, il veut me faire signer un avenant pour exclure la pandémie. Je refuse et il m’informe que mes contrats seront de fait résiliés à leurs dates anniversaire."

Axa France détaille par voie de communiqué que "le contrat standard exclut clairement l’indemnisation des pertes d’exploitation en cas de fermetures collectives d’établissements, comme cela a été le cas à l’occasion des mesures généralisées prises par le gouvernement afin de lutter contre la propagation de l’épidémie". Contacté par France 3, le groupe assure que "nous ne pouvons indemniser les assurés en cas de pandémie comme en cas de guerre."

"Ils essayent de gagner du temps, attendent que les sociétés mettent la clé sous la porte et qu’ils n’aient pas à les indemniser", déplore Laurent. "Moi j'ai changé de compagnie, mais je veux que mon assurance me rembourse ce qu'elle me doit rétro-activement à savoir 90 000 euros", lance Georges déterminé.
 

"Si tous les plaignants sont indemnisés, cela coûterait 2 milliards d'euros aux assureurs."

Maître Jean-Pierre Tertian, avocat de restaurateurs


"La cour d'appel d'Aix-en-Provence a fixé en janvier une audience pour un dossier de restaurateur et assurance, afin de prendre un arrêt de principe. Cet arrêt pourrait faire jurisprudence", explique le conseil.

Une détresse psychologique "énorme"

Cette situation conjuguée au manque de perspectives concernant une future réouverture affectent profondément Georges et Laurent.  "Je suis en arrêt maladie. Je suis en dépression, je vois un psychiatre et je prends des anti-dépresseurs, souffle le second qui a tout mis en œuvre pour la poursuite de son activité. J'ai mis en place la vente à emporter et les livraisons. Cela représente à peine 10% de mon chiffre d'affaire. J'ai investi dans un site internet en ligne pour promouvoir ma carte.  Et surtout j'ai acheté cinq scooters pour la livraison."  Laurent, lui aussi est sous-anti dépresseurs.
 

"Personne ne mesure le drame qui se joue, c’est toute la gastronomie française qu’on est en train de tuer." 

Laurent, restaurateur à Marseille


L'Umih tire aussi la sonnette d'alarme. La crise est telle pour les restaurateurs, qu'ils n'arrivent tout bonnement plus à joindre les deux bouts. Certains n'ont même plus de quoi subvenir à leurs besoins. L'enseigne de grossiste Métro a fait un geste en leur faveur. Elle distribue gracieusement des pâtes, du riz et des conserves à l'Umih. Ces derniers redistribuent aux restaurateurs les plus modestes ces produits.

"C'est très difficile pour eux de venir chercher ces denrées, détaille Frédéric Jeanjean, président de l'Umih des Bouches-du-Rhône. On est dans une détresse sociale et psychologique énorme."

*Les prénoms ont été modifiés

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