Le plan de lutte contre le narcotrafic présenté par les deux ministres aux affaires ce vendredi matin à Marseille a une ambition nationale, mais dans la cité phocéenne gangrenée au quotidien par la drogue, les gangs criminels et la violence, on attendait plus de mesures pour la spécificité marseillaise qu'on ne peut plus ignorer.
Bruno Retailleau et Didier Migaud, ministres de l'Intérieur et de la Justice, ont tenu le duo à Marseille. Arrivés ensemble depuis la mairie où ils avaient rencontré d'abord Benoît Payan, ce vendredi matin, les deux hommes se sont ensuite retrouvés pour une conférence de presse de plus d'une heure afin de détailler le plan de lutte contre le narcotrafic qu'ils comptent déployer sur le territoire rapidement pour agir contre ce qu'ils ont nommé "la pieuvre tentaculaire" qui s'étend depuis "souvent Marseille". L'après-midi, l'agenda était séparé, l'un étant attendu dans les quartiers nord, l'autre à la prison des Baumettes, entre autres.
Quoi retenir pour Marseille alors que cette visite est annoncée depuis des semaines, après l'affaire du chauffeur de VTC tué d'une balle en pleine tête, des jeunes tueurs à gage adolescents qui se multiplient, des marseillais impliqués dans des fusillades meurtrières ailleurs en France, comme à Poitiers ou en Ardèche la semaine dernière, touchant toujours plus de victimes collatérales. France 3 Provence-Alpes a demandé à des élus, policiers, magistrats et membres de collectifs engagés dans la cité phocéenne ce qu'ils retiennent de ce plan national de lutte contre le narcotrafic.
"Il y en a marre du showcase" à Marseille
Un brin agacé et remonté comme un coucou, Amine Kessaci de sensibilité écologiste, ancien président de l'association Conscience en lien avec les jeunes de quartiers nord de Marseille, ne mâche pas ses mots quelques heures après la fin de cette conférence de presse. "Franchement, je vais vous dire j'aurais préféré qu'ils restent à Paris et qu'ils proposent de vraies choses pour Marseille et nos quartiers. Plutôt que ça. On a déjà eu Macron 6 ou 7 fois. Vous savez quoi ? Pour moi, monsieur Retailleau fait partie des équipes qui ont arrêté la police de proximité." Et Amine Kessaci, ancien candidat aux européennes et législatives 2024, croit en cette police près des gens et des problèmes. "On voit bien le résultat, on a depuis laissé faire et on voit ce qui arrive quand on laisse faire, sans donner aucune perspective."
Marseille a besoin de concret, de justice sociale en redessinant les transports et la carte scolaire.
Amine Kessaci, écologiste, ancien candidat aux Législatives 2024France 3 Provence Alpes
Les propositions qu'il aurait aimées entendre ? Le retour de cette police de proximité bien sûr, mais aussi un débat sur la légalisation du cannabis. "Depuis longtemps, je défends cette idée. Il faut au moins en parler."
Une proposition qu'il partage avec le député LFI Sébastien Delogu, lui aussi des quartiers nord de Marseille : "Il va falloir mettre la question de la légalisation du cannabis en France sur la table. Cela fait 30 ans que nous faisons face à la même situation", s'exclame-t-il sur X (ex-Twitter) sans faire plus de commentaires sur la visite des ministres à Marseille, préférant même parler ce vendredi matin avec des salariés d'ID logistique en grève. On ne saura pas s'il compte répondre favorablement à l'invitation à "l'unité nationale" sur les bancs de l'Assemblée implorée par le ministre de l'Intérieur dans sa conférence de presse. Le député Delogu est tout simplement injoignable au téléphone ce vendredi .
"Je ne veux pas qu’on stigmatise ces familles et qu’on les sanctionne"
Marie-Arlette Carlotti, sénatrice PS des Bouches-du-Rhône n'a pu qu'apprécier que ce plan de lutte contre le narcotrafic reprenne point par point les propositions de la commission d’enquête parlementaire. "Il y a des mesures immédiates comme un plan anticorruption. C’était un point d’interrogation dans notre rapport, personne n’avouait qu’il y avait de la corruption dans ce pays. Ou la création d’un parquet anticriminalité, la modification des cours d’assises. Également sur le statut de repentis, sur lequel Dupont Moretti ne nous répondait pas. Ce sont des choses très intéressantes. Il faut raccourcir ce temps entre les annonces et la loi."
En revanche, la sénatrice s'interroge sur un point : les propos du ministre de l'Intérieur sur les jeunes délinquants. "Couper les aides sociales ? Moi, j'ai rencontré des familles, des mères célibataires dont le gosse de 15 ans a été retrouvé brulé, et qui, par contre, a une fille qui réussit le concours de police. Ces familles peuvent être dépassées par les évènements. Je ne veux pas qu’on stigmatise ces familles et qu’on les sanctionne."
Et quand on lui demande si pour Marseille 95 policiers et 25 pour la PJ, c’est suffisant ? "On prend, c’est mieux que rien", affirme-t-elle.
Si ce texte qui va dans le bon sens n’est pas voté par l’ensemble des députés, je ne comprendrai plus rien. Le Parquet anticriminalité, c'est plutôt une bonne idée, la cour d’assise spéciale avec des magistrats professionnels évitera les pressions.
Rudy Manna, syndicat de police AllianceFrance 3 Provence-Alpes
"On n'a pas besoin de cette violence d'État "
Pour Hassen Hammou, du collectif "Trop jeune pour mourir", "on doit s'attaquer aux vrais problèmes sans agenda politique."
"On a un ministre de l'Intérieur qui continue à nous raconter la vie. Il est dans son rêve à lui, pas notre réalité", s'emporte Hassen Hammou. "Il n'y a rien de nouveau dans ce qu'ils ont dit. Et j'ai trouvé qu'il y avait une violence inouïe dans ses mots pour les gens qui ont besoin qu'on les aide à sortir de la spirale, les jeunes enrôlés comme les familles violentées. Franchement, ils sont partis et nous, nous sommes toujours là", déclare-t-il pour faire référence à la Une polémique du journal La Provence lors de la visite d'Emmanuel Macron dans la cité Castelllane, au printemps dernier.
Parfois, un joli titre de journal et une belle image valent mille discours. La visite des deux ministres à #Marseille phrase choc, promesse déjà vue… Bilan d’une journée ratée pour nos quartiers. pic.twitter.com/RvoW5FvB47
— Hassen Hammou (@HammouHassen) November 8, 2024
"C'est le bilan d'une journée ratée pour nos quartiers", conclue-t-il.
"Pas mal, mais il ne faut pas se faire d'illusion", conclue l'ancien procureur de Marseille
France 3 Provence-Alpes a aussi contacté l'ancien procureur de Marseille, Jacques Dallest. Magistrat honoraire, il a été juge d'instruction, procureur de la République et procureur général. Son regard sur ce plan de lutte contre le narcotrafic ? "Pas mal, mais comme toutes mesures, est-ce qu’elles suffiront, il ne faut pas se faire d’illusion. Aucun pays dans le monde n’a réussi à éradiquer le trafic de drogue."
Le vrai sujet, c'est le volet consommation et on ne sait pas l’appréhender. Il y a des millions de consommateurs. La consommation récréative notamment, c'est un gros sujet de santé publique. Comment lutter contre ça?
Jacques Dallest, ancien procureur de MarseilleFrance 3 Provence Alpes
L'ancien magistrat du parquet relève notamment la problématique d'une clientèle abondante, livrée à domicile. "Pas simple d’arriver à combattre ce phénomène. Et qui touche tous les milieux, toutes les classes sociales."
"Je crains qu’on ait encore ce problème pendant de longues années. C'est un sujet universel. Les peines sont déjà très élevées. Que faire de plus ? On ne peut pas avoir l’ambition de faire cesser un phénomène qui nous dépasse. Il faut avoir l'humilité de l’admettre", ajoute Jacques Dallest.
En 2023, 49 morts liés au narcotrafic avaient été recensés à Marseille, dont sept mineurs, un record. La plupart de ces meurtres avaient eu lieu sur fond de guerre opposant les gangs DZ Mafia et Yoda pour le contrôle des points de vente de drogues.
Depuis le début de l'année 2024, 17 narchomicides ont été décomptés dans la ville. Cette guerre des gangs implique des adolescents de plus en plus jeunes.