"Ma mère me manque", une fratrie orpheline et brisée témoigne au procès de la rue d'Aubagne

Le tribunal correctionel de Marseille a évoqué ce mardi le sort de Ouloume Said Hassani. Cette mère de cinq enfants est morte dans l'effondrement de son immeuble le 5 novembre 2018. Laissant derrière elle une famille brisée, encore marquée par le drame, six ans après...

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Imane Said Hassani sort de sa sacoche une petite pochette noire. À l'intérieur, une carte de bus, un titre de séjour et une carte de vitale, "sortis du tas de gravats". Tout ce qu'il lui reste de sa mère après sa disparition dans l'effondrement du 65, rue d'Aubagne, avec sept de ses voisins et voisines, le 5 novembre 2018.

Ce mardi 19 novembre, la journée d'audience a été entièrement consacrée à la description de l'appartement dans lequel vivait Ouloume, 53 ans à l'époque. Une mère de famille Comorienne, résidant à Marseille, dans la rue d'Aubagne depuis décembre 2014. Décrite comme une femme active, qui multipliait les petits boulots. Elle apprenait le français et communiquait par signes avec ses voisins et amis.

Une longue semaine d'angoisse

Le 5 novembre 2018, vers 9h, Ouloume revient juste de l'école primaire Chabanon, où elle a déposé son fil El-Amine, scolarisé en classe de CM2. Sur le pas de la porte, une voisine l'attend. Elles ont rendez-vous pour entamer des démarches de demande de logement social. Quelques mois plus tôt, Ouloume a signalé l'insalubrité de l'appartement de 25 m2 qu'elle partage avec deux de ses fils au pôle départemental de lutte contre l'habitat indigne. Mais la précarité de sa situation ne lui permet pas de trouver un logement digne et de déménager.

Ouloume fait patienter sa voisine. Elle doit remonter chez elle récupérer cette petite pochette noire dans laquelle se trouvent ses papiers. Elle ne ressortira pas. A 9h07, l'immeuble s'effondre. Commence alors une longue semaine d'angoisse pour ses enfants. 

Imane avait quitté l'appartement à 4h20 pour aller à son travail dans la zone industrielle des Mille à Aix-en-Provence. Prévenu de la catastrophe, il rentre aussitôt à Marseille. Deux autres enfants de Ouloume vivent en France. Abdou à Paris et Oulidati à Reims. Ils sautent dans le premier TGV.

Alors que les secours fouillent les gravas à la recherche de victimes, les frères et sœurs sont hébergés chez des amis à Noailles, à deux pas de la rue d'Aubagne. La télé est branchée sur les chaînes d'info allumée en permanence. "On ne dormait pas. Dès qu'on apprenait qu'un corps était retrouvé, on se précipitait sur les lieux pour tenter de voir si c'était un corps d'homme ou de femme."

Jusqu'au 9 novembre. Vers 21h, Imane reçoit un coup de fil de la police lui apprenant le décès de sa mère. "On était perdu. On était traumatisé, mais on ne voulait pas le montrer à notre petit frère. Il souffrait énormément."

Un douloureux anniversaire

Depuis, El-Amine, le petit frère, est devenu un adolescent. Ce 19 novembre, alors qu'il arrive au tribunal, El-Amine fête ses 15 ans. "Le 19 novembre, c'est aussi la date où on a pris l'avion pour enterrer ma mère aux Comores", rappelle Imane. Le 19 novembre marque aussi désormais la date à laquelle El-Amine a trouvé le courage de s'avancer jusqu'à la barre pour dire quelques mots au tribunal. "Ma mère me manque. C'est bizarre de vivre sans elle", réussit-il à dire. Les larmes roulent sur ses yeux. Son grand frère Abdou les essuie doucement avec un mouchoir en papier.

Sa famille et son institutrice décrivent à tour de rôle la vie brisée de El-Amine. "Ça a été une violence inimaginable. Il est parti le matin avec son cartable et le soir, il n’avait plus rien. Ni vêtement, ni photo, plus rien" rappelle Chloé Herzkowicz, institutrice de l'école maternelle que fréquentait El-Amine et restée proche de la famille. 

Elle héberge quelque temps le petit garçon après le drame. "Il menaçait de se suicider, de se jeter sous les rails du métro. Il a dit qu’il voulait rejoindre sa mère."

Ses crises d'angoisse et accès de colère l'empêchent de suivre une scolarité normale. El-Amine a besoin d'encadrement, ce qui conduit son orientation en classe Segpa, un enseignement réservé aux enfants en difficulté scolaire. "Intellectuellement, il avait les moyens de suivre un enseignement classique. Pour moi, la segpa, c'est une perte de chance pour lui. Ça lui a fermé des portes." estime Chloé Herszkowicz.

L'amour d'une mère

Sur le plan familial, la responsabilité d'El-Amine est confiée à Imane, qui a alors 27 ans, et est déjà père de deux enfants. "El-Amine est devenu ma priorité". Il s'occupe des démarches pour le suivi psychologique de l'enfant, suit sa scolarité... Mais, explique son frère, "c’était l’amour d’une mère qui lui manquait. Moi, je ne pouvais pas lui donner cet amour."

Les difficultés de El-Amine persistent au fil des années. Cet été, face à ses crises à répétition, la famille décide de confier El-Amine à Oulidati, sa sœur aînée, qui réside toujours à Reims. "J'ai moi-même un enfant. Je me suis dit, je peux gérer. J’ai vraiment essayé. Mais il n’est plus comme avant, El-Amine…".

Ce déracinement ne convient pas à l'adolescent. Il sèche les cours. Puis à l'approche du procès, il fugue. "C'est le signe qu'il voulait absolument être présent aujourd'hui", analyse le président du tribunal, Pascal Gand.

"J'aurais voulu qu'elle rencontre son petit-fils"

Au fil des auditions des enfants de Ouloume, apparaît une fratrie impuissante face à la douleur du benjamin. Une famille "éclatée" souligne le président, où chacun gère son deuil comme il ou elle le peut. Au moment où sa mère décède, Oulidati apprend qu'elle est enceinte de son premier enfant. " Ça a été très difficile. J'aurais voulu qu'elle rencontre son petit-fils."

Abdou lui, est resté à l'écart de ses frères pendant ces six années. "On a perdu notre chère maman. Ça a été un choc pour moi. Je n’ai pas été présent. Merci Imane d’avoir tenu cette affaire." Imane, désormais père de quatre enfants dont un bébé de quelques semaines, a toujours la charge de son petit frère.

"Quand on vous interroge, vous ne parlez que de votre frère, l'interroge le président. Et vous ? Avez-vous entamé un travail psychologique ?", interroge Pascal Gand. "Je n'ai pas eu le temps honnêtement. Mais j'en sens le besoin, reconnaît Imane. Je n’arrive toujours pas à imaginer ce qui s’est passé. Moi et El-Amine, on aurait pu faire partie des victimes."

De son côté, El-Amine a été pris en charge dans un centre médico-psycho-pédagogiques (CMPP) à Marseille jusqu'en septembre 2022, avant d'interrompre le suivi. Il envisage de le reprendre. Il tente de se reconstruire autour de ses deux passions, le foot et la cuisine. "Plus tard, j'aimerais ouvrir un restaurant."

Marseille, capitale du logement indigne

Sur le banc des prévenus, une autre famille écoute les auditions des enfants de Ouloume. Un couple et leur fils, propriétaires de l'appartement par le biais d'une Sci. Alain Ardilly dit ne pas avoir connaissance de l'état de délabrement dans lequel se trouvait le 65 de la rue d'Aubagne. "On a fait des travaux, on a fait ce qu’il fallait…” L'état de l'immeuble, dont l'effondrement était inévitable selon les experts, ne lui faisait "pas peur".

À côté d'eux, également prévenus, des membres du syndic Liautard chargé de la gestion de l'immeuble et Julien Ruas, ancien adjoint au maire à la sécurité. Droit face au tribunal, Imane s'adresse à eux. "Ils ont détruit des familles. Ils ont fait mal à beaucoup de gens. On espère que le verdict sera à la hauteur." Et il conclut : "ce n'est pas normal que la deuxième ville de France soit devenue la capitale de l’habitat indigne".

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