Depuis la mort d'un chauffeur VTC tué par un jeune de 14 ans, le débat sur l'excuse de minorité refait surface. Pour les professionnels judiciaires, ce n'est pas la voie à emprunter. Ils demandent des moyens, pour privilégier l'éducation à la répression.
Depuis le mois d’avril et la mort de Shemseddine devant son collège à Viry-Châtillon (Essonne), l’excuse de minorité est au cœur des débats. Un débat relancé par la mort de Nassim Ramdane, tué par un jeune de 14 ans. Mercredi 8 octobre, Didier Migaud, nouveau ministre de la Justice, déclarait : "on peut s'interroger sur la possibilité d'écarter au cas par cas cette excuse" de minorité, devant les députés de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Bonne ou mauvaise idée ? Pour Nathalie Roche, juge d'instruction et déléguée du syndicat de la Magistrature de Marseille, ce n’est pas la piste qu’il faut emprunter.
"Il y a une vulnérabilité pour résister à l’appât du gain, à la pression de l’adulte"
Elle rappelle que l’excuse de minorité a été mise en place au sortir de la Seconde Guerre mondiale. "Les mineurs, c’est-à-dire les enfants, n’ont pas la même capacité de discernement ni la même vulnérabilité, donc les peines encourues sont divisées de moitié", détaille-t-elle, en précisant que cette mesure est liée par des traités internationaux. Elle illustre : si un adulte prend perpétuité, un mineur aura une peine de 30 ans de prison. "On reste sur des pénalités importantes, mais on limite le maximum de la peine encourue." Dans des cas exceptionnels, cette excuse peut être levée pour les mineurs entre 16 et 18 ans.
Pour Nathalie Roche, lever cette excuse de minorité pour le jeune de 14 ans, signifie "le condamner à la peine maximale qu’encoure un adulte", alors qu’elle explique qu’à cet âge, ce n’est pas le moment de la vie où l’on est le plus conscient. "Il y a une vulnérabilité pour résister à l’appât du gain, à la pression de l’adulte et de la bande. Ça a du sens de bénéficier de cette excuse."
"Les enfants sont les victimes de ces réseaux"
À la suite des évènements qui se sont produits à Marseille, Nicolas Bessone, procureur de la République, indiquait un "ultra-rajeunissement" des tueurs à gages. "Ce n’est pas une nouveauté", assène Nathalie Roche, qui affirme que les professionnels alertent depuis longtemps sur ce rajeunissement extrême.
Les organisations criminelles n’ont même plus la décence et l’éthique de ne pas employer des mineurs. Et ce sont les enfants, les victimes de ces réseaux.
Nathalie Roche, juge d'instructionFrance 3 Provence-Alpes
"Des mineurs qui sont plus manipulables, plus vulnérables, souvent en rupture familiale. Ce sont des proies faciles pour ces organisations", assure-t-elle avant d’insister sur le fait que ce ne sont pas ces mineurs, qui sont à la tête des réseaux, employant même la notion "d’enfants soldats". Si certes, ces jeunes commettent l’infraction, ce sont les organisations qui exploitent leur vulnérabilité. Une vulnérabilité qui doit être considérée. "Même s’il rentre en prison, il y aura toujours des dominants."
Pour la juge d’instruction, le vrai débat est social. "On ne peut pas réfléchir juste en termes de répression." Elle détaille qu’il est nécessaire de donner des moyens aux services de police et aux juges, pour démanteler les réseaux de manière efficace, ainsi que d’investir massivement pour que ces mineurs en déshérence ne soient plus la proie des organisations criminelles.
Un enfant de 14 ans en déshérence, il va évoluer. Il a un potentiel d’enseignement et de pédagogie qui est plus fort.
Nathalie Roche, juge d'instructionFrance 3 Provence-Alpes
Kevin Lefebvre Goirand, avocat au barreau de Marseille et président de l’UJA, rejoint Nathalie Roche. "Nous rappelons que le Principe fondamental reconnu par les lois de la République, impose que la justice pour les enfants soit orientée vers leur relèvement éducatif et moral, en prenant en compte leur âge et leur personnalité. Ce principe fondamental se heurte aujourd’hui à une logique qui tend à assimiler les mineurs aux majeurs, et à ignorer leur spécificité". Citant Victor Hugo qui disait de construire des écoles pour fermer des prisons, l'avocat dénonce "un manque cruel de moyens sur le volet éducatif et augmenter le répressif n’est pas la solution. Si on casse le thermomètre, on ne fait pas baisser la température."
L'éducation plutôt que la répression
Dans une interview accordée à La Provence, Coline Grindel, avocate pénaliste au barreau de Marseille qui défend le jeune accusé d’avoir tué Nassim Ramdane, précise qu’il a été placé dès l’âge de neuf ans dans un foyer, ses parents étant détenus pour des affaires liées au trafic de stupéfiants. S’il était sous la responsabilité de l’aide sociale à l’enfance, il devait être en centre éducatif fermé, à Avignon. Mais depuis le mois d’août, il était en "fugue".
On ne peut pas retirer des enfants à leurs parents, et les mettre en danger après, en les laissant. C’est un problème de société dont tout le monde doit s’emparer. Un môme placé, qu’est-ce qu’on a fait pour le protéger ?
Nathalie Roche, juge d'instructionFrance 3 Provence-Alpes
La juge d’instruction demande des moyens pour protéger les enfants.
Kevin Lefebvre Goirand tient des propos similaires. "L’abandon progressif de l’excuse de minorité et l’instauration d’une comparution immédiate dès 16 ans, tendent à banaliser une approche répressive et contribuent à stigmatiser les jeunes en difficulté, ainsi que leurs familles, qualifiées de “défaillantes” sans considération des manques flagrants des dispositifs de protection de l’enfance". Il déplore également l’absence de moyens alloués aux services publics de la jeunesse et de la protection de l’enfance, qui empêchent la mise en place d’une véritable politique de prévention et d’accompagnement des jeunes en difficulté.
Face à cette montée de la répression, Nathalie Roche s’inquiète du modèle judiciaire que l’on veut en France. "Si on prend l’exemple des Etats-Unis, où les peines sont automatiques, sans distinction entre majeurs et mineurs, le taux de délinquance est plus élevé que le nôtre. La répression augmente la violence. Je n’ai pas envie de ce modèle", illustre-t-elle, avant d’évoquer la perte de sens de son métier et un épuisement éthique. "On nous demande de vider les prisons, mais on demande une plus grande répression".