Après deux nouveaux épisodes de pollution de l’Huveaune par des eaux usées à la suite d’orages en septembre, le préfet de région a mis en demeure les acteurs concernés de faire cesser ces rejets à la mer et de remettre le fleuve en état.
L'Huveaune n'a rien d'un fleuve tranquille. Dès qu'un orage s'abat sur Marseille, le cours d'eau se gonfle des eaux de pluie et des eaux d'égouts qu'il déverse directement dans la mer. Ce n'est pas sans raison que dans les années 70, les surfeurs locaux ont surnommé son embouchure sur les plages du Prado, "Epluchures Beach". Et depuis 50 ans, rien n'a vraiment changé.
Cet été encore, à plusieurs reprises, le drapeau violet a flotté sur les plages du sud de Marseille pour cause de pollution bactérienne après de fortes pluies. De mémoire de Marseillais, l'Huveaune a toujours été pollué.
Dans un arrêté publié le 22 septembre, la préfecture a décidé de mettre le holà. Constatant un dysfonctionnement du système d’assainissement conduisant au rejet d’eaux usées brutes issues du déversoir d’orage des Escourtines, elle a mis en demeure la métropole Aix-Marseille, la société publique Eaux des collines et le Service d’assainissement Marseille Métropole (Seramm) de stopper ces déversements.
Les eaux usées coulent jusqu'aux plages
Le petit fleuve côtier de l'Huveaune prend sa source dans le massif de la Sainte-Baume et se déverse près de 50 km plus bas dans la Méditerranée, à l’est de Marseille. Au XIXe siècle, déjà, ses eaux polluées s'écoulaient sur la ville, répandant avec elles, choléra, variole ou fièvre typhoïde. C'est ce qui décida la municipalité a créé en 1887 un réseau unitaire de collecte des eaux pluviales et des eaux usées, permettant de les déverser par les mêmes tuyaux dans les calanques.
Depuis, Marseille s'est dotée d'une station d'épuration dans les années 80 et en 2018, d'un grand bassin de rétention sous le stade Ganay, où sont stockées les eaux de ruissellement quand un orage survient.
"Depuis sa mise en service, 3 millions de m3 d’eaux usées non traitées n’ont pas été déversées dans la mer, l’équivalent de 1 200 piscines olympiques non rejetées dans la Méditerranée. Le bassin a été rempli plus de 100 fois et a permis d’éviter près de 40 déversements d’eaux usées brutes vers la mer", explique sur son site le service d’assainissement de Marseille Métropole (Seramm), filiale de Suez qui gère le réseau d’assainissement de Marseille et de 16 communes qui l’entourent.
Mais quand des trombes d'eau font gonfler l'Huveaune et que son débit dépasse 30 m³/seconde, le cours d’eau rejoint son lit naturel, charriant les eaux pluviales et les eaux usées jusqu'aux plages du Prado, provoquant leur fermeture.
Toujours des décharges sauvages
Autre pollution majeure qui touche l'Huveaune, ce sont les décharges sauvages. Un problème là encore ancien. Depuis de nombreuses années, les riverains dénoncent les dépôts de pneus, gravats et autres déchets par des entreprises peu scrupuleuses. Même si la situation s'est améliorée, "il y en a toujours", note Jean-Claude Fields, président du CIQ de Saint Menet,"dernièrement, il y avait encore des tas de pneus jetés dans l'Huveaune". Le chemin des Moutons, qui longe l'Huveaune, dans le 11e arrondissement, est un site de choix. "Les gens viennent là, ils sont à l'abri des regards, on ne les gêne pas, ils arrivent avec leurs camions et ils versent".
"Il faut voir à qui ça profite et pourquoi ils le font, renchérit Richard Hardouin, président de France Nature Environnement des Bouches-du-Rhône, la mise en décharge, ça coûte, abandonner des déchets en zone naturelle, c'est gratuit. La seule chose, c'est de ne pas se faire attraper."
"Ça a toujours existé", souligne-t-il. Les associations de défense de l'environnement mènent régulièrement des opérations coup de poing de nettoyage pour sensibiliser l'opinion. Mais pour Richard Hardouin, il faut prendre le problème à la source, "il faut verbaliser" les pollueurs. Et cela passe, selon lui par le renforcement de la présence de la police municipale sur les sites pollués.
Une concentration élevée de polluants éternels
Une menace invisible et beaucoup plus durable pèse sur l'Huveaune. Le fleuve marseillais apparaît sur la carte des "polluants éternels" dressée en février dernier par 17 médias dont Le Monde, pour visualiser l’ampleur de la contamination de l’Europe par les substances per et polyfluoroalkylées (PFAS).
Les traces détectées dans les eaux de l'Huveaune renvoient au passé industriel de Marseille sans qu'on puisse savoir qui est en cause. Ces substances de synthèse ultratoxiques (plus de 4500 composants au total) ont été utilisées pendant des décennies à partir des années 50 dans une multitude de produits industriels et de tous les jours, comme les revêtements antiadhésifs des poêles, les produits isolants ou imperméables. "A l'époque, on ne savait pas que c'était des polluants éternels, on les a utilisés au quotidien sans en connaître la dangerosité et surtout le caractère éternel, donc on en a partout", explique l'adjointe au maire en charge de l'environnement, Christine Juste (EELV).
Selon cette carte, les eaux de surface de l'Huveaune ont montré une concentration en PFAS de 92,5 ng/l, or les experts ont fixé à 100ng/l, le niveau jugé dangereux. Cancers, perturbations du système endocrinien, hausse du taux de cholestérol.... Les PFAS auraient des effets sur la santé, même à faible dose. Et aujourd'hui, il n'existe pas de solution pour les éliminer. En début d'année, le ministère de la transition écologique a présenté son plan d'action contre l'exposition à ces "polluants éternels", dans l’attente de leur interdiction à l’échelle européenne.