En France, les femmes exerçant le métier de scaphandrier se comptent sur les doigts d'une main. La marseillaise Géraldine Parodi est l'une d'entre elles. Plongeuse archéologue à ses débuts, elle intervient aujourd'hui sur des chantiers subaquatiques en profondeur. Rencontre.
Sous l'armure, la femme. Longs cheveux bruns et regard vert d'eau, on pourrait penser que Géraldine Parodi est une fleur fragile prise au cœur de son scaphandre. Mais elle n'aimerait pas que l'on dise cela d'elle. A 39 ans, elle avance solide comme un roc et fait de ses multiples passions une marque de fabrique : la mer, les animaux, l'archéologie, l'Egypte ancienne, l'écologie, l'avenir de la planète, et bien d'autres. Car c'est avant tout une passionnée qui se raconte. La « plongeuse au pied lourd » parle vite car le temps est compté et il y a tant de belles choses à partager.
"J'étais la 4ème femme qualifiée en France"
"J'étais la 4ème femme qualifiée en France quand j'ai passé mes classes… très peu résistent, car c'est un métier contraignant physiquement."
Sans se plaindre, Géraldine déballe son quotidien : un outillage de BTP qu'il faut porter, des tuyaux hydrauliques à tirer et surtout un équipement très lourd sur le dos. « En temps normal, je fais 58 kg, une fois équipée je passe à 82, au plus léger. Le but du scaphandrier « pied-lourd » c'est de tenir au fond, donc il faut se lester. Il faut amener de l'électricité sous l'eau, pour découper, souder, il faut être stable ». Pas de doute le métier est hostile pour la gente féminine: « Le gilet Divex qui sert à accrocher les plombs nous écrase la poitrine et puis le risque d'ostéoporose est accentué par les bulles d'azote. Notre morphologie nous rend plus vulnérables, alors il faut compenser par une hygiène de vie parfaite.»
Classe II Mention A
Pas question de verser dans le romantisme : "Le scaphandrier ne plonge pas dans le bleu, mais dans l'eau saumâtre, immergé plusieurs heures dans l'eau glacée, parfois dans le noir complet suivant la profondeur".
Les travaux sous-marins exposent les plongeurs profonds à la narcose, à la noyade et à de nombreux accidents de décompression, de soudure ou de découpage. Pas facile quand on est « classe II mention A » de vivre une grossesse sereine et encore moins d'être mère. « En tant que maman, il faut intégrer cette prise de risque, d'autant que mon mari est lui aussi scaphandrier. Souvent nous pensons à notre fille de 10 ans, dont les deux parents font un métier qui peut les emporter».
Du sang italien coule dans les veines de Géraldine Parodi et ce sont les valeurs du clan qu'elle retrouve au sein du giron professionnel. « Dans notre entreprise familiale de travaux subaquatiques hyperbares, basée à Martigues, nous sommes une petite équipe, mais défendons la sécurité avant tout et veillons les uns sur les autres.»
Changement de style
Gérante de cette société, elle porte fièrement plusieurs casquettes et change de style au fil de l'eau : "Sur un chantier, je suis scaphandrier. J'enfile ma combinaison ni coiffée, ni maquillée. Quand je remonte en surface, mon tailleur m'attend toujours quelque part dans la camionnette pendu au milieu des narguilés pour partir en réunion convaincre les clients de notre crédibilité. Ensuite, je rentre à l'atelier où je me mets à l'aise en survêtement." Et elle ajoute en riant : "enfin, quand j'arrive à la maison le soir, je redeviens la mama poule italienne !"
A cet agenda serré, il faut ajouter une pratique sportive intensive. "Depuis que je suis toute petite, je dors entre deux et quatre heures par nuit." Voilà qui lui permet peut-être de dégager du temps pour son action associative.
Spero Mare : une mer d'espoir
Sa rencontre fortuite avec Estelle Lefebure à Marseille ressemble à un coup de foudre incongru. "C'est un top modèle qui a défilé pour de grands couturiers et moi, la première fois que j'ai discuté avec elle, je crois qu'il me restait, dans les ongles, du cambouis de la plongée de la veille !" s'exclame-t-elle amusée. Leur engagement commun en faveur de l'écologie les a rapprochées pour donner naissance à un projet de préservation des fonds marins. Spero Mare voit le jour en 2019. "Moi qui ai une fille et qui plonge tous les jours dans la pollution, je ne pouvais pas rester sans agir. Je m'immerge dans des couches des sédiments gorgées de métaux lourds, dans des bassins de produits chimiques, dans des rejets d'usines là où il n'y a plus de poissons ! Le fond de l'eau est une véritable poubelle."
Alors, son action passe par la pédagogie auprès des enfants avec la tournée des écoles. "On voit les scaphandriers comme des destructeurs qui coulent du béton au fond de l'eau, mais contrairement à ce que l'on imagine, on étudie toujours comment réduire l'impact environnemental des travaux sous-marins. Nous revendiquons une éthique et la passion du milieu qui est le nôtre."
Louve solitaire
Au sujet de ses rares vacances, Géraldine évoque amoureusement la maison de famille dans les Laurentides au Québec. Son refuge «déconnecté» en pleine la nature, près des réserves amérindiennes du lac Tapani.
Elle évoque aussi sa vie durant 10 ans avec Marley, un loup tchécoslovaque recueilli bébé : "Je me suis reconnue dans les traits de cet animal solitaire, mais appartenant à un clan. J'aime mon métier de scaphandrier pour ça, solitaire dans l'eau même si je me repose sur l'équipe en surface. Et puis j'ai besoin de me retrouver seule dans le silence."
Le silence. C'est aussi celui des rendez-vous dans les profondeurs de l'histoire. Elle se souvient des fouilles de Tiboulen de Maïre sur une épave romaine reposant par 54 m de fond. Ses débuts en archéologie sous-marine au GRASM, le bonheur de découvrir et de tenir des "morceaux d'histoires" dans ses mains, car dit-elle "Il faut toujours se souvenir d'où l'on vient… du passé… je ne suis pas une fille du futur, je sais à peine me servir d'un ordinateur, mais je ne quitte jamais mon crayon et mon bloc-notes".
Amoureuse éperdue de la mer, la "scaph" semble déterminée à noircir inlassablement ses carnets à l'encre de ses aventures profondes.