Un réseau d'armes fabriquées avec une impression en trois dimensions (3D) a été démantelé à Marseille à la suite d'une tentative d'assassinat en 2023. Un phénomène encore limité, mais qui inquiète.
Des armes fantômes, "ghost guns", c'est comme cela qu'on les appelle aux Etats-Unis où elles sont apparues dans les années 2010. Les armes 3D circulent aujourd'hui dans le monde entier, elles ont déjà été utilisées dans des affaires criminelles, comme à Marseille en juin 2023. Le procureur de la République Nicolas Bessone doit détailler ce lundi 5 février, le démantèlement d’un réseau de fabrication et de ventes d’armes fabriquée à l'aide d'impression en 3D. Comment ça fonctionne ? Quel est l'ampleur du phénomène ? France 3 Provence-Alpes répond à quatre questions sur ces nouvelles armes à feu en plastique.
Comment ça marche ?
Les armes fabriquées avec une imprimante 3 D sont en plastique ABS ou PLA, des polymères. Il faut d'abord fabriquer toutes les pièces, plus d'une dizaine, individuellement et les assembler ensuite manuellement. Avec des modes d'emploi disponibles sur internet et une bobine plastique, le processus prend quelques heures. Et demande une certaine pratique.
"Produire une arme complète en 3D reste un défi comparé aux armes conventionnelles en terme de qualité", selon Europol. Les armes 3D ont deux inconvénients majeurs. Le tir manque de précision et les matériaux se dégradent à l'usage, pouvant se déformer ou se casser. "L'évolution rapide de la technologie peut toutefois en faire une menace plus importante dans un avenir proche", selon l'Office européen de police.
Pour contrer la prolifération de ces armes artisanales, le fabricant français Dagoma a sécurisé ses imprimantes 3D avec un logiciel pare-feu pour le cas où un utilisateur essaie d'importer un fichier d'arme. "Il reçoit pour réponse : Désolé, ça ne respecte pas les conditions générales d'utilisation de nos produits et l'imprimante refuse alors d'importer le fichier. Enfin et surtout, on l'a mis à disposition en open-source, c'est-à-dire gratuitement, pour que d'autres fabricants puissent se joindre à la cause", a expliqué le co-fondateur de la société, Matthieu Régnier au Parisien. Dagoma a par ailleurs diffusé des plans erronés, rendant impossible le montage d'une arme. Ils ont été téléchargés 13 000 fois.
Quel type d'armes sont fabriquées en 3D ?
La première arme fabriquée en 3D est l'œuvre d'un libertarien américain, Cody Wilson. En 2013, l'étudiant conçoit le premier pistolet à un coup, le "Liberator". Tout en plastique, à l'exception du percuteur (et des balles), en métal. Fervent défenseur de l'idéologie pro-armes, le jeune militant anarchiste autoproclamé rend ses plans accessibles à tous sur internet pour une fabrication "à la maison". Le fichier est téléchargé 100 000 fois en deux jours.
Mais l'arme s'avère défaillante et dangereuse autant pour le tireur que pour la victime. "Il explosait la plupart du temps et il fallait beaucoup de pratiques pour fabriquer des exemplaires qui ne sautent pas dans la main", explique Nicolas Florquin, chercheur à Small Arms Survey.
Dix ans plus tard, avec les imprimantes 3D de dernière génération et les programmes qui circulent sur le Darknet, des armes beaucoup plus élaborées sont réalisables. En 2020, un collectif underground européen, qui distribue des plans d'armes 3D en ligne, met au point un semi-automatique, le FGC9, qui tire en rafales des balles 9 mm. Le pistolet mitrailleur est fait à 80% en plastique, le reste des pièces est en métal, ce qui le rend plus résistant. L'usinage est complexe et demande un bon niveau technique.
Pour produire cette arme, il faut environ 40 heures. Le coût de production est estimé à environ 1000 euros l'unité, avec l'imprimante 3D et le reste du matériel. La production en série peut descendre à une centaine d'euros.
Les armes fabriquées avec des impressions 3D ne sont jamais en 100% plastique. "A ce stade, nous n’avons pas vu les pièces très précises qui doivent être résistantes", comme le canon ou la détente, "être modélisées en 3D", a affirmé à l'AFP William Hippert, chef du service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée en France. Ces armes restent donc pour l'heure toujours détectables aux portiques de sécurité, tout comme les munitions.
Quelle est l'ampleur du phénomène ?
En septembre dernier, un pistolet mitrailleur FGC 9 a été découvert dans une cité du Val-de-Marne. C'est ce modèle qui aurait été utilisé à Marseille dans une tentative d'assassinat près du Vieux-Port dans la nuit du 10 au 11 juin 2023, à révélé franceinfo. "C'est une première à Marseille, une des premières fois en France, mais on sait que ça circule", constate Eddy Sid, représentant du syndicat SGP Police FO à Marseille.
Pour le syndicaliste, ce phénomène est "inquiétant", c'est la preuve "que ces matériaux sont beaucoup plus abordables qu'avant et ça montre la démocratisation de l'utilisation Darkweb".
En Europe, le phénomène reste "marginal en termes de saisies", note Nicolas Florquin, chercheur au Small Arms Survey, spécialiste des flux d'armes illicites. Il n'y a pas statistiques officielles, mais "on note une augmentation du nombre de saisies rapportées par les médias, entre 40 et 60 cas".
Selon lui, les groupes criminels fabriquent de plus en plus ce type d'armes "intraçables" pour ne pas avoir recours au trafic international ou transfrontalier. Et si l'utilisation et le tir de ces armes restent encore "très limités" dans les affaires criminelles, ils s'accentueront à l'avenir, au fur et à mesure que ces armes seront plus fiables et disponibles.
Les saisies d'armes se multiplient. De la Finlande à l'Australie, en passant par l'Islande, la Grande-Bretagne et l'Espagne. En France aussi. Dans notre pays, la législation sur les armes à feu s'applique aux armes 3D. La fabrication, la vente, ou la simple possession de ce type d'armes est punie de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 75.000 euros.
Ces armes sont-elles intraçables ?
Sans numéro de série, ces armes à feu sont quasiment intraçables et rendent le travail de la police très difficile pour monter jusqu'aux auteurs de tirs. De quoi séduire les gangs criminels. Jusqu'à présent, on avait très peu de cas d'utilisation, souligne Nicolas Florquin. Mais ce qui inquiète le plus le chercheur, c'est que le système de contrôle des armes n'est pas adapté "et doit être repensé" pour lutter contre ces armes, qui restent quasi intraçables. Cela "donne aux criminels la capacité d'avoir des armes sans avoir recours aux trafics et marché noir", ce qui réduit les chances de les attraper.
Tout le travail d'investigation est beaucoup plus compliqué également avec ces armes, sans marquage. "Ça laisse des traces sur les scènes de crimes, mais ce sont des polymères", des avancées sont en cours pour permettre le traçage des imprimantes utilisées à partir de ces "déchets de plastiques", indique Nicolas Florquin. De nouveaux défis à relever par les forces de police et d'investigation pour lutter contre un phénomène amené à prendre de l'ampleur dans les années à venir.