Depuis le début de l'année 2022 et la rentrée scolaire sous protocole sanitaire, c'est la ruée dans les pharmacies pour se faire tester contre le Covid-19. À Marseille, les nerfs des clients sont à vif et les pharmaciens à bout.
"On ne fait plus de tests". Nous sommes lundi, il est 15h20. Derrière la vitre en plexiglas, la pharmacienne me regarde, l'air désolé, débordée, fatiguée. C'est déjà la troisième pharmacie de mon quartier, les Cinq avenues à Marseille dont je pousse la porte. Et toujours le même refrain. Plus d'autotests et tests antigéniques terminés.
Alertée par des migraines et une petite gêne à la poitrine, j'ai décidé de me faire tester avant de rendre visite à ma grand-mère. On est trois fois vaccinées toutes les deux, mais les chiffres de l'épidémie montrent bien que ce n'est pas suffisant pour esquiver le virus. Et notamment Omicron.
On n'accepte plus les gens pour les tests. Derrière la dame, c'est fini.
Une pharmacienne
"Il vous reste des autotests ?". Je tente le tout pour le tout. "Oui, ça il nous en reste". La pharmacienne est en train d'écrire sur une feuille de papier, elle répond à son collègue en même temps. "Non, on n'accepte plus les gens pour les tests. Derrière la dame c'est fini".
"J'ai de la chance dans mon malheur", me glisse la quadragénaire devant moi dans la queue, la dernière qui pourra se faire tester aujourd'hui. "J'ai eu chaud". La pharmacienne accroche le papier en évidence à l'entrée de l'officine. "PLUS DE TESTS COVID".
Malgré la file d'attente qu'elle doit gérer, les tickets qui s'amoncellent sur son comptoir, elle m'explique le fonctionnement de l'autotest avec précision. Tout en gardant un œil sur une personne âgée prise d'une quinte de toux, assise en attente d'un conseil sur une tisane à la mélisse pour sa trachéite.
"Pourquoi elle ne reste pas chez elle ! Il faut qu'elle aille voir le médecin, attention éloignez-vous". La femme devant moi dans la queue s'énerve en entendant la dame âgée tousser. Elle m'explique qu'un de ses amis vaccinés est en réanimation, "intubé de tous les côtés". C'est pour ça qu'elle vient se faire tester.
Je repars avec mon autotest. Des personnes continuent d'arriver à la pharmacie et se font refouler. Certaines s'énervent. "Ils nous disent de nous faire tester, mais si c'est pour faire le tour de la ville ce n'est pas possible".
Depuis le début de l'année 2022, avec l'explosion des contaminations par le variant Omicron, c'est la ruée sur les tests dans les pharmacies. Du 31 décembre au 6 janvier, 9,5 millions de tests ont été réalisés en France, soit une augmentation de 25% par rapport à la dernière semaine de décembre.
Selon Santé publique France, la seule journée du 7 janvier, 1 million 357.971 Français ont été dépistés dont 136.312 en Paca et 60.000 dans les Bouches-du-Rhône. Plus d'un test sur quatre a concerné un enfant.
On ne peut pas tester une classe entière à 19h car il y a un cas positif.
Le cri d'alarme d'une pharmacienne
Et pour cause. Le protocole scolaire instauré par le gouvernement imposait jusqu'au 10 janvier trois tests antigéniques ou PCR aux enfants si un cas de Covid était détecté dans leur classe à J, J+2 et J+4. Des instructions qui ont provoqué une saturation dans les pharmacies. Comme dans le 12e arrondissement, avenue des Caillols à Marseille.
"J'ai dû supplier la pharmacienne à 19h30 de faire un test à mon fils pour qu'il retourne en classe le lendemain", témoigne une maman, qui n'a pas eu le choix un jeudi soir suite au mail de l'école. "Une pharmacienne se faisait insulter par une cliente".
Dimanche 9 janvier, une pharmacienne toulousaine a lancé un cri d'alerte sur Instagram, décrivant son quotidien face aux pleurs des enfants. "Aujourd'hui rien ne va plus. (...) On ne peut pas tester une classe entière à 19h car il y a un cas positif ".
"Je suis devenue celle qui fait pleurer les enfants pour les tester coûte que coûte. Les enfants pleurent, se débattent, hurlent à la mort, sont maintenus de force par leur parent, eux aussi, à bout".
Son message a été relayé près de 500.000 fois en 24 heures. Un témoignage qui est le reflet de l'état physique et mental des pharmaciens en France, et notamment en Paca.
"Lundi, ça a été le summum de la frénésie des tests", raconte le Dr Stéphane Pichon, président de l'ordre des pharmaciens Paca-Corse. Dans sa pharmacie du 12e, "des dizaines et des dizaines" d'enfants sont venus pour un test lundi. Des enfants qui "se débattaient, qui pleuraient, qui hurlaient". "La situation était déjà tendue, là on était dans l'hyper tendu".
Stéphane Pichon alerte depuis l'instauration du protocole de test dans les écoles : "Un système irréalisable".
"On est en flux tendu. En période hivernale, on a déjà beaucoup de patients souffrant de pathologies de l’hiver. Aujourd'hui, le pharmacien comme n’importe quelle activité liée à la santé n’arrive pas à trouver de personnels supplémentaires".
Avec le même nombre de personnel, les pharmaciens doivent réalisent les tests, en nette augmentation en ce début d'année. "Au début ça allait, mais là, avec 150 personnes à tester dans la journée, ça devient du très, très lourd".
"On n’a plus le temps de faire nos commandes de médicaments. L'intensité de travail est assez importante et nos employés cumulent une grosse tension nerveuse. Or il faut garder la même vigilance dans la dispensation des ordonnances."
On demande seulement moins d'agressivité. On fait le mieux possible.
Stéphane Pichon, président de l'ordre des pharmaciens Paca-Corse
Il y a peu de temps, une pharmacienne de la région s'est fait frapper par un client. "La fatigue, on l'accepte, explique le Dr Pichon. Mais aujourd'hui, on est face à une pression permanente des gens qui veulent être testés rapidement. Les gens sont stressés, et parfois agressifs".
"On est le refuge sanitaire pour les gens. Le plus accessible. C’est notre mission et personne ne rechigne à cela. On demande seulement moins d'agressivité. On fait le mieux possible".
Invité du 20h de France 2 lundi soir, le Premier ministre Jean Castex a annoncé une "simplification" du protocole sanitaire dans les écoles. Les autotests peuvent désormais suffire et sont rendus gratuits. 11 millions vont être livrés dans les pharmacies cette semaine.
Un soulagement pour Stéphane Pichon. "Enfin, les politiques ont entendu le mot des pragmatiques". Ce mardi, la situation s'est "un peu calmée" dans sa pharmacie, bien que de nombreuses personnes soient venues à l'ouverture pour se faire tester avant d'aller travailler.
Face à cette ruée dans les pharmacies et centres de dépistage, le gouvernement a annoncé dimanche le déploiement d'un "plan de renforcement" de la politique de tests. Cela passe notamment par l'ouverture de "plusieurs centaines" de centres de dépistage, et notamment près des centres de vaccination.
Autre mesure, "permettre aux pharmaciens de créer leurs centres de dépistage", a détaillé le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal. "On va leur donner la possibilité de recruter eux-mêmes temporairement des professionnels de santé qui viendront travailler dans leur propre petit centre de dépistage pour qu'il y ait plus de dépistages faits dans les pharmacies".
"On va garantir aux 6.000 pharmacies qui ne font pas de tests antigéniques et d'autotests qu'on indemnisera les stocks qu'elles auraient commandés et qu'elles ne vendraient pas", a-t-il assuré.