Joseph Schütz, 101 ans aujourd’hui, est poursuivi par le parquet allemand de Neuruppin pour sa complicité dans le meurtre de 3518 personnes. Il a été garde SS du camp de concentration de Sachsenhausen. Il est jugé en ce moment en Allemagne pour complicité de crimes.
En ce jeudi 27 janvier 2022, journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l'Holocauste, Pascal Luongo avocat de la partie civile et de la famille marseillaise Commentale raconte les points clés de ce procès inédit.
Rose-Marie Commentale a perdu son père dans le camp de concentration de Sachsenhausen, en 1944.
Poursuivi par la France et l’Allemagne
Les Allemands ont étendu depuis quelque temps leur notion de complicité au regard des crimes nazis. Thomas Walter, avocat et ancien juge allemand qui participe à ce procès, a permis d’étendre la jurisprudence sur la complicité.
Un simple acte d’assistance ou aide à la commission d’une infraction suffit à condamner la personne pour complicité aujourd’hui.
Joseph Schütz a gardé des personnes dans le camp de Sachsenhausen. Il a travaillé dans le camp pendant des années.
Il ne pouvait pas se rendre compte globalement du régime d’extermination mis en place par le régime nazi. Mais il était témoin des actes barbares pratiqués sous sa garde. Ce sont pour ces raisons qu’il est poursuivi en Allemagne.
Un travail minutieux du parquet allemand de Neuruppin
Le parquet allemand écrit dans son acte d’accusation que le camp de Sachsenhausen était un camp d’extermination industrialisé.
Ce camp d’extermination ouvre en 1936. Plusieurs systèmes de mises à mort y étaient testés. Dès 1941, les Allemands essayent les chambres à gaz pour tuer des prisonniers russes par exemple.
L'organisation du camp était faite pour exterminer les déportés par le travail. Sans nourriture et dans le froid, les SS faisaient marcher les déportés 40 km par jour avec des chaussures neuves et des sacs remplis de pierres.
Pascal Luongo s’est rendu en Allemagne lors de l’ouverture du procès en octobre dernier. Il y retournera en février pour évoquer sa cliente Rose-Marie Commentale qui sera entendue par visioconférence en raison de son âge et de son état de santé.
Son père Francesco Commentale a été arrêté pendant la rafle du Vieux-Port le 24 janvier 1943 et envoyé au camp de Sachsenhausen.
"On a entendu de nombreuses parties civiles qui ont évoqué leurs expériences et témoignages. Les personnes viennent d’Europe entière, de Hollande, de France ou d’Israël".
"Un gros travail d’historien a été entendu lors de ce procès. L’historien est venu raconter le 3e Reich, et l’histoire du camp de Sachsenhausen. Cela a pris énormément de temps".
Le procès débute au mois d'octobre 2021. La justice allemande a demandé une expertise médicale pour voir si Joseph Schütz pouvait supporter son procès.
L’expert mandaté exige que le procès ait lieu deux jours par semaine (jeudi et vendredi) et seulement deux heures par jour. Les audiences s’étendent donc sur le temps et continuent jusqu'au mois de mars 2022.
Un accusé mutique pour le moment
Joseph Schütz est un immigré, arrivé de Lituanie. Il travaille avec les SS dans le camp, ce qui lui ouvrira des portes. Notamment celle de la nationalité allemande.
L’ancien garde ne souhaite pas répondre aux questions posées lors de ce procès.
"Un mutisme assez dérangeant et stratégique", affirme Me Luongo.
"80 ans après, on a envie d’entendre des explications. Le temps qui a passé aurait pu permettre de se regarder en face et regarder l’Histoire en face. Et de faire un bilan historique et judiciaire de cette période", argumente l'avocat.
"Ils ont des preuves contre Joseph Schütz, de son passage au camp, et à quel moment il était présent. Il a même changé de service", détaille Me Luongo, alors qu'"il nie aussi sa participation, sa présence même au camp Sachsenhausen".
"On aurait pu imaginer un accusé qui puisse dire qu’il était là, voilà ce que j’ai fait et je n’ai pas porté atteinte à telle ou telle partie civile. Je ne me sens pas responsable. Il aurait pu avoir cette attitude-là. Et juridiquement envisager sa culpabilité pour sa participation parce qu’il ne pouvait pas ne pas savoir".
Une condamnation pour apaiser les souffrances des familles
"Ce mutisme provoque quelque chose. Une barrière entre les sentiments, et les volontés de reconnaissance des victimes. Cette barrière-là doit être rompu par un jugement de condamnation", développe Pascal Luongo.
"Les mots d’un accusé envers sa victime sont très importants. Et ne pas les avoir, c’est très frustrant pour les parties civiles. J’espère qu’il s’exprimera lorsque ma cliente Mme Commentale parlera à son tour".
Pour Fernand Riberi, petit-fils du déporté Francesco Commentale, c’est le procès de la dernière chance.
"J’ai envie de savoir quel a été le sort de mon grand-père qui est décédé officiellement le 30 juin 1944. Je veux savoir les raisons de sa déportation et comment il est mort : exécuté ou de maladie. J’attends des réponses concrètes comme le lieu où il a été enseveli pour que l’on puisse simplement se recueillir ".
La grand-mère de Fernand Riberi est revenue de ces camps de la mort. Elle a élevé ses six enfants seule après la guerre.
"Je veux mettre à l’honneur ce grand-père que je n’ai pas connu. Il a été trop longtemps oublié de l’Histoire et de notre famille. On n’osait pas en parler entre nous".
Fernand Riberi espère après le procès avoir accès aux archives allemandes pour comprendre le drame familial.
Un procès mené par les autorités allemandes à la hauteur de l’évènement
La justice allemande a trouvé une salle d’audience près du domicile de l’accusé pour lui éviter les trajets.
"Un procès contre un ancien nazi c’est un moment très solennel. L’organisation allemande est très pointilleuse. Ce procès permet d’évoquer l’histoire des Marseillais lors de la rafle du Vieux-Port. Et cet homme est en réalité un complice du crime contre l’humanité commis en France", explique Pascal Luongo.
Et cela ne fait aucun doute pour l'avocat : "Une personne raflée le 24 janvier 1943 à Marseille, déportée à Sachsenhausen et morte là-bas. Le garde de camp Joseph Schütz, du camp de concentration est un complice".
Deux procédures, deux histoires communes
Une enquête en France pour crime contre l’Humanité est ouverte par le parquet de Paris à la suite des poursuites engagées en Allemagne et l'ouverture du procès de Joseph Schütz pour complicité de meurtre.
"C’est comme ça que j’ai pris la mesure de l'affaire. Je me suis dit : on tient quelqu’un!" raconte Pascal Luongo.
"J’ai sollicité le parquet de Paris pour que l’on prenne la mesure de ce procès et envisager de poursuivre le gardien. Il y a eu une demande d’entraide européenne entre les parquets français et allemand".
"Pour participer au procès il fallait une partie civile au moins, afin d’évoquer le destin de ces marseillais au cours de ce procès d’assises. Donc de mêler les destins marseillais et allemands et dans toute l’Europe pour rappeler la mesure de ces crimes contre l’humanité".
Un procès pour comprendre avec ce dernier SS en vie.
Les derniers survivants témoignent aujourd’hui et certainement pour une dernière fois. Pour Me Luongo, l’Allemagne à “une volonté sérieuse d’aller au bout de l’histoire et d’obtenir une condamnation de cet homme."
Pascal Luongo souhaite que les termes “d’extermination industrialisée” soient inscrits dans la mémoire collective.
Il souhaite comprendre ainsi que les familles qu’il défend : "Pourquoi l’Allemagne une nation aussi grande a pu arriver à ce niveau de barbarie.”
"Comment une société démocratique est arrivée à mettre au point un système d’extermination industrialisée des êtres-humains ? Nous avons encore la chance d’avoir un exemple vivant, il faut en profiter".
Pour Antoine Mignemi, président du Collectif Saint-Jean 1943 et victime survivante, il attend une reconnaissance du crime.
"On veut connaitre la vérité. Comprendre le chemin des déportés qui étaient au centre de rétention de Fréjus, Compiègne, et dans ce camp allemand de Sachsenhausen. Nous voulons savoir si ce gardien a vu des personnes du quartier Saint-Jean du Vieux-Port de Marseille".
"Nous savons que Mr Francesco Commentale était dans ce camp d’extermination et nous voulons que ce soit certifié et reconnu".
"Nous aimerions que sur la stèle déjà en place près de l’hôtel Continental à Marseille figure deux dates : le 23 et le 24 janvier 1943 date des rafles et l’évacuation du quartier Saint-Jean. C’était une rafle raciste. Il y avait des Arméniens, des Sénégalais, des Italiens. Il faut que ce soit écrit".
Antoine Mignemi ne souhaite pas une condamnation pour envoyer en prison l’ancien garde SS Schütz.
Mais simplement lui faire admettre qu’il y a eu des Marseillais qui sont passés dans ce fameux camp de Sachsenhausen. Et que certains n'en sont jamais revenus.