Victime de violences verbales et physiques et répétées, le docteur Saïd Ouichou a été contraint de fermer son cabinet. Pour lui, une grande partie des agressions sont liées au système de santé qui périclite.
"On est effondrés." Ce mardi matin, le docteur Saïd Ouichou et ses confrères sont tombés sur les résultats du rapport de l'Observatoire de la sécurité des médecins. Le constat est accablant : les violences envers les médecins ont augmenté de 23 % entre 2021 et 2022, soit une augmentation de plus d'un quart en un an. En 2022, 1 244 incidents ont été déclarés par des médecins, un nombre jamais atteint ces vingt dernières années. En 2021, il y avait eu 1 009 déclarations de violences, a dévoilé France Inter. A titre de comparaison, 638 incidents ont été recensés en 2003. Deux fois moins qu'aujourd'hui.
Le Dr. Ouichou en a fait les frais à plusieurs reprises ces dernières années. Mais, en septembre dernier, "c'est l'agression de trop." Il manque de se faire frapper dans son cabinet. "Le patient tambourine à la porte en me demandant 'Donnez-moi mon ordonnance maintenant', avait-il alors raconté face à la caméra de France 3 Provence-Alpes. Je lui ai expliqué qu'il fallait quand même attendre. Je ne sais pas pourquoi, il s'est mis à crier. Son copain, dehors, voulait me frapper. Les patients se sont interposés. J'ai fini par arrêter la consultation et fermer mon cabinet, suite à cet incident."
A la suite de cet incident, le médecin a décidé de fermer son cabinet du 15e arrondissement de Marseille dans lequel il exerçait depuis quinze ans. Il travaille depuis dans une structure collective, toujours dans le 15e arrondissement. "C'est plus sécurisé, la porte est fermée, nous avons une ouverture à la demande, c'est un environnement agréable." Toutes les tensions n'ont cependant pas disparu.
Selon l'observatoire de la sécurité des médecins, 33 % des faits sont liés à un reproche relatif à une prise en charge, 20 % des faits sont liés à des refus de prescrire un médicament en particulier ou un arrêt de travail. Le reste des incidents concernent la falsification de document, d'ordonnance ou de certificat, une attente jugée excessive ou des vols.
"Le médecin est en première ligne"
Pour le docteur Ouichou, membre du collectif "Santé en danger", il y a deux types de patients violents. D'un côté ceux qui viennent demander des psychotropes, comme la prégabaline plus connue sous le nom Lyrica. "Ces derniers deviennent agressifs s'ils n'obtiennent pas l'ordonnance. Une consœur a été agressée récemment", explique-t-il. "Les seconds viennent légitimement demander d'être soignés mais n'obtiennent pas de réponse."
Les problèmes liés à la prégabaline seraient, selon le spécialiste, spécifiques aux quartiers défavorisés, théâtre de trafics de stupéfiants. Pour le deuxième cas de violences, tous les médecins seraient concernés, y compris le docteur Ouichou, dans son nouveau cabinet sécurisé.
"Il y a un fort mécontentement généralisé des patients face à un système de santé qui s'aggrave, poursuit le médecin. Certains sont refoulés des urgences. Le médecin est en première ligne et prend tout sur la figure."
"Certains patients n'ont plus de médecin traitant, ils se retrouvent dans un état de stress et d'anxiété extrême. Et c'est compréhensible." Mais les journées du docteur Ouichou n'ont que 24 heures. Il travaille déjà jusqu'à tard, y compris le week-end. "Je prends 40 patients par jour sans rendez-vous, je suis le médecin traitant de 2 000 personnes et j'en prends régulièrement des nouveaux face à la forte demande. Certains présentent de graves problèmes de santé, je ne peux pas leur dire 'Repartez mourir chez vous'..."
On ne voit pas d'issue. On ne voit pas comment on va s'en sortir.
Dr Saïd Ouichouà France 3 Provence-Alpes
35 infirmières agressées chaque jour à l'hôpital
Les médecins ne sont pas les seuls concernés par ces cas de violence. Lundi, une infirmière a été poignardée au CHU de Reims. Elle a succombé à ses blessures 24 heures plus tard. "35 infirmières sont agressées chaque jour à l'hôpital, que ce soit aux urgences, en psychiatrie ou en Ehpad", a alerté ce mardi sur France info Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers, qui regrette que l'hôpital ne soit plus un sanctuaire.
Pour le porte-parole du SNPI, cette violence s'explique par le manque de moyens attribués à l'hôpital. "Petit à petit, on asphyxie l'hôpital avec de moins en moins de moyens. La psychiatrie n'ayant plus les moyens d'assurer correctement les soins, on a beaucoup de patients en déshérence, c'est la même chose au niveau des urgences."
(avec AFP)