Dylan Rocher, Philippe Quintais, Marc Tierno... Ils ont accepté de parler d’un sujet tabou au Mondial La Marseillaise à pétanque : les "payeurs", autrement appelés “sponsors” ou “partenaires”. Comprendre : ceux qui paient pour jouer dans une triplette de professionnels.
Tout le monde en parle, mais personne ne le fait ouvertement. Le long des terrains à La Marseille à pétanque, il n’est pas rare d’entendre les commentaires du public à propos d'un joueur : "Lui, c’est le payeur". Autrement dit, celui qui a payé pour faire partie d’une triplette où figurent deux grands noms de la pétanque. S’ensuivent des conversations à voix basse, entre fascination et critique, spéculation et réalité.
“C’est 1000 euros plus intérêts : avec le restaurant, le bar, les joueurs ne paient rien", glisse un amateur, qui regarde un match du premier tour, où joue une équipe importante. "Tu es fou, le reprend un ami, c’est plutôt 5 000 ou 10 000 euros !"
Payeurs, sponsors ou partenaires ?
Le journaliste qui interroge sur le sujet reçoit, au mieux un rire gêné, au pire, un silence. Il faut dire que le terme "payeur" semble péjoratif. Les pros préfèrent parler de "sponsor" ou de "partenaire".
Philippe Quintais, quatorze fois champions du monde, est de ceux-là. "Il y a des gens qui dépensent beaucoup d'argent au casino, d'autres qui dépensent beaucoup d'argent au tiercé... Et il y a ceux qui aiment jouer à la pétanque et qui, pour pouvoir jouer à un haut niveau, financent des grands joueurs."
Lui, n’est pas partisan de cette pratique dans les compétitions faites "pour les champions, pour les élites", mais pour le reste des championnats, la pratique ne lui pose pas de problème.
Nous, on a la chance, de temps en temps, de jouer avec des gens pour leur anniversaire, pour un départ en retraite. Pour eux c'est très flatteur, ça leur fait plaisir. Mais c'est mal compris par le public.
Philippe Quintais, champion de pétanqueà France 3 Provence-Alpes
Lui aussi habitué des médailles, Dylan Rocher, quatre fois vainqueur du Mondial, trois fois champion du monde et sept fois champion de France, comprend la pratique, même s’il ne souhaite pas l’adopter.
"Je pense même que c'est une chance pour les ‘partenaires’, assure-t-il. Parce que dans les autres sports, on ne peut pas le faire. J'aimerais jouer un match de tennis avec Federer ou Nadal. Eh bien, même en donnant 1000 000 euros, je ne pense pas que ce soit possible."
"S'ils peuvent gagner un petit billet en plus, c'est encore mieux"
En filigrane, c’est l’économie de la pétanque professionnelle qui est en jeu. “Quand des joueurs ont 30 ou 40 ans de pétanque à leur actif, qu’ils jouent à un haut niveau, je comprends qu'ils puissent essayer de jouer avec quelqu'un qui leur défraie au moins les frais de route, d'hôtel et de restauration, explique Dylan Rocher. Ils partent quatre ou cinq jours sans voir leur famille. Ils veulent que ça leur coûte un minimum ou rien du tout. S'ils peuvent gagner un petit billet en plus, c'est encore mieux."
Sur une compétition comme La Marseillaise, les vainqueurs gagnent 6 000 euros à se partager à trois, à l’issue de quatre jours de compétitions. Les finalistes, 3 000 euros. L’inscription au tournoi coûte 8 à 9 euros. Mais avec les frais annexes (déplacement, logement, etc.) la plupart des 12 000 joueurs sont déficitaires.
Il faut se poser la bonne question, pourquoi les champions jouent avec des ‘partenaires’ ? Parce qu’il n’y a rien à gagner dans la pétanque, dans les compétitions.
Dylan Rocherà France 3 Provence-Alpes
Rocher et Quintais travaillent en parallèle de leur carrière de bouliste professionnel. Le premier est en poste à la communauté d’agglomération de Valence-Romans, le second a une entreprise de textile. Philippe Quintais, comme Dylan Rocher, affiche un maillot siglé de sponsors plus officiels. C’est, selon Quintais, insuffisant pour participer à toutes les compétions.
"Il faut savoir, qu'on n’a aucune assurance, développe le joueur de 56 ans. Si demain, on a un accident de voiture ou si on se casse le bras, on n’a rien qui va nous permettre de vivre, donc il faut absolument avoir quelque chose à côté."
Payé, mais combien ?
Les montants évoqués par les spectateurs à propos des "payeurs" sont, selon lui, très exagérés. S’il est "embêté" par la question de l'argent -"c’est comme si je vous demandais votre salaire"-, il accepte de répondre : "Généralement, ça tourne aux alentours de 1 000 euros pour les quatre jours. Et le sponsor ne prend pas ses gains personnels du concours."
Les "payeurs" sont souvent décriés par les amateurs. C’est à eux qu’ils font porter la responsabilité d’une mauvaise partie ou d’un échec en compétition. Ils ne seraient pas au niveau de leurs partenaires de triplette.
Pierre Guille, président délégué du Mondial, balaie cette idée reçue. "En réalité, il y a deux types de 'payeurs' à la pétanque. Il y a le payeur joueur, quelqu'un qui paie un pro pour jouer avec. En général, on le met à un poste de pointeur, avec de très grands joueurs. Et il y a le 'payeur' qui paie une équipe pour jouer... et qui ne joue pas.”
"Au moins vous savez que vous ne perdez pas d’argent"
Garant de la qualité de la compétition, lui, n’a pas "vraiment d’avis" sur la question. Alors que les noms de ceux qui paient, ou sont payés, se transmettent à bas bruit entre initiés, lui, en parle ouvertement. “Il y a des ‘payeurs’ qui sont de bons joueurs et on en a connu qui sont même arrivés jusqu'en finale du Mondial. Je pense à Monsieur Godard, qui est producteur de foie gras dans le Sud-Ouest, et qui en parle ouvertement."
Certains joueurs se sont révélés aux côtés des plus grands. "Je pense à Marc Tierno, qui est un très bon joueur, mais qui au début était plus ou moins ‘payeur’.”
Pour assurer la qualité de ses parties, Philippe Quintais ne joue qu’avec des amis. “Il y a quelques ‘sponsors’ qui ne font pas partie de mes amis. Ce n’est pas une question d'argent. Je ne jouerai pas avec eux, parce qu’ils ne sont pas dans ma mentalité. Quand je joue avec des amis, qui ont la chance d'avoir de l'argent, cela permet de passer de bons week-ends. Au moins vous savez que vous ne perdez pas d’argent."
Marc Tierno, évoqué par Pierre Guille, a justement joué la Marseillaise aux côtés de Quintais et Suchaud, en 2022. Il s’illustre cette année avec Joseph “Tyson” Molinas et Sébastien Rousseau au cours de parties très suivi. Molinas vient de Lyon pour disputer le Mondial. Rousseau, d’Indre-et-Loire, avec les frais que cela engendre. Tierno est Marseillais. Il ne se présente pas ouvertement comme "payeur" ou "ancien payeur". Mais il accepte d’évoquer ce qu’il nomme les "sponsors" : "Ça permet de faire venir de grands joueurs à la Marseillaise."