"Victime d’un père qui a génocidé toute ma famille": le combat contre l’inceste d'une étudiante en droit

Fondatrice de l'association Carl, Steffy Alexandrian a vu sa vie dévastée par l’inceste. Victime de son père "pédocriminel condamné par la justice", qu'elle désigne comme responsable du suicide de sa mère et de son petit frère de 12 ans, la jeune femme veut devenir avocate et se revendique influenceuse de la protection de l'enfance.

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"Mon père a quitté ma chambre après avoir remonté ma culotte en me disant : '"Je suis désolé ma chérie, je t'aime". La vidéo face caméra de la jeune femme de 24 ans publiée sur le média Melty en 2021 déclenche une émotion qui résonne encore sur les réseaux sociaux.

Depuis Steffy Alexandrian a choisi l'hyper communication pour rendre audible l'inaudible. Son histoire glaçante s'est jouée en silence derrière le paravent de la bourgeoisie locale. La jeune femme de 26 ans originaire de La Ciotat a été victime dans son enfance d’un père incestueux, "un monstre" qu'elle accuse d'avoir "génocidé quasiment" toute sa famille, après le suicide de sa maman puis de son petit frère de 12 ans le 29 juin 2021. Une date qui a marqué le début de son engagement et son apparition sur les réseaux sociaux, où elle tient un journal de bord de sa souffrance.

Alors que le procureur de Marseille annonce la création d'un pôle spécialisé en matière de violences intrafamiliales du tribunal judiciaire de Marseille, la présidente de l'association Carl revient sur son combat, ses attentes et ses espoirs.

France 3 Provence-Alpes : pourquoi avoir choisi de livrer votre intimité sans filtre sur les réseaux sociaux ?  

Steffy Alexandrian : dans ma sphère sociale, j'étais isolée et tenue au silence. Quand de tels drames vous touchent, vous faites avec les moyens du bord. Vous n'êtes pas président, pas ministre, pas pistonné, vous n'avez pas accès à la grande presse écrite. La vidéo sur Melty a fait du temps d'écoute et des vues, des inconnus ont participé aux frais d'obsèques de mon petit frère, que je ne pouvais assumer seule. Dans la foulée, j'ai créé l'association Carl pour venir en aide aux victimes. J’utilise les réseaux sociaux pour faire passer le message opportun et nécessaire dans mon combat, je pense que c'est le meilleur moyen de toucher un large public.

Vous utilisez les codes des réseaux sociaux créant un contraste entre la forme et le fond, pourquoi brouiller les pistes ?

Pour en finir avec les idées reçues : quand on regarde une victime, il y a toujours un petit côté "pathos", "cas social" et c'est tellement réducteur. Une victime a une vie à accomplir malgré sa souffrance, pas besoin de lui coller une étiquette sur le front. Je ne joue aucune carte. Pour créer une proximité, il suffit d'être authentique : je peux pleurer, être enjouée, maquillée ou en pyjama et c’est important pour les victimes, pour libérer la parole et faire passer le message. Oui, je suis "trash" j'évoque le deuil, parce qu'on est tous concernés par la protection des enfants.

Avec plus de 167 000 abonnés sur Instagram, on peut dire de vous que vous êtes une influenceuse de la protection de l'enfance ?

Je suis devenue influenceuse de fait, parce que les gens adhèrent à mon discours, mais la cause de la protection de l'enfant mériterait au moins un million d'abonnés. C'est sûr que c'est plus compliqué de fédérer sur le sujet qu'avec des vidéos légères et des blagues à deux balles... mais l'idée, c'est d'éduquer les gens et de faire du lobbying.

Dans ce combat pour la protection de l'enfance, je n'ai pas le choix, je dois avoir pour objectif d’influencer, d’impacter, de créer un contre-pouvoir pour me faire entendre au sommet de l'État.

Steffy Alexandrian, militante contre les violences intrafamiliales

à France 3 Provence-Alpes

Mais attention, les réseaux sociaux, c'est une jungle. Il faut être prêt à affronter la bêtise et la haine. La notoriété, je ne l'ai jamais cherchée, j'aurais préféré conserver mon anonymat, mais on a vraiment besoin de soutien et 167 000 abonnés, c'est loin d'être suffisant, donc je me dis qu'il faut continuer.

Pourquoi avoir choisi des études de droit ?

Je rêve d'être avocate depuis que j'ai obtenu mon bac à 16 ans, mais j'ai été maman très jeune, trop jeune, et bien que ma fille soit ce que j'ai accompli de plus beau, mon projet a été retardé. Et puis j'ai dû travailler aussi pour assumer mon petit frère dont j'ai eu la garde après le suicide de ma mère. J'ai repris mes études en novembre dernier, grâce à une levée de fonds sur les réseaux sociaux et à l'aide financière de personnes qui ont cru en moi. J'ai fait ce choix, parce que je me suis dit que la plus belle chose à réaliser après le tragique décès de Carl serait de croire en mon rêve et de prêter serment en sa mémoire.

Qu'attendez-vous du pôle spécialisé en matière de violences intrafamiliales créé au tribunal de Marseille? 

Que le Parquet se renseigne et se saisisse de la plainte de Carl pour des faits d'inceste en date de l'été 2020. Plainte restée lettre morte à ce jour. Pourtant, mon petit frère menaçait de se donner la mort. Le décès de Carl n'empêche pas les poursuites à l'encontre de mon père. La justice a été défaillante, je souhaite que les magistrats prennent leur responsabilité dans son suicide. J'ai assumé la mienne, comme eux, je ne l'ai pas vu arriver. Je pensais qu'il tiendrait le coup le temps que la justice oblige mon père à répondre du mal qu'il lui avait fait.

Être exposée médiatiquement, cela veut dire que toute ma vie, on me verra comme la fille qui a été violée par son père, il faut vivre avec ça.

Steffy Alexandrian, influenceuse pour la protection de l'enfance

à France 3 Provence-Alpes

Il faut des moyens pour protéger nos enfants et humaniser la justice. Quant aux pédocriminels, que fait mon père, ce grand malade, condamné pour les faits qu'il a commis sur moi enfant, aujourd'hui avec la garde de mon demi-frère et de sa belle-fille ?

Un documentaire pour Arte et un livre en cours, un podcast en projet, en même temps que vos études de droit et votre vie de maman… Rien ne vous arrête ? 

Je n'ai plus peur de rien. J’ai enterré ma mère, mon frère de 12 ans, mais aussi mon autre frère, Tim, handicapé... Je me fiche qu’un politique me rie au nez parce que mon propos n'est pas en "costard cravate", je n'ai que faire des conventions au vu du sujet et des enjeux. Quand vous avez subi tout ça, soit votre vie n'a plus de sens, soit elle a un sens tout particulier.

 

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