Ils sont de plus en plus jeunes, de plus en plus déterminés. Pourquoi fuient-ils le milieu familial ? Quels dangers courent-ils ? Enquête à Marseille, Toulon et Nice dans "Fugues en mode mineurs", à voir ici.
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Léa a tout juste 15 ans quand elle décide de fuguer avec son amie Anna. Sans papiers d’identité, sans permis, les jeunes filles vont parcourir en voiture des milliers de kilomètres, traverser quatre pays pour se retrouver, après un périple de 12 jours, dans un petit village du sud de l’Italie.
"Quand on est parties, on s’est dit : on est folles, on fait n’importe quoi, on va finir par avoir un accident, on va mourir carrément… Mais on s’est dit que dans tous les cas, on n’avait rien à perdre".
Besoin urgent de liberté, envie de fuir les études, les parents, les amis, la société, pour casser la routine, briser les certitudes du quotidien et surtout prendre des risques… Léa témoigne dans ce documentaire de Nadège Hubert et Claude Ardid.
Fuir vite, tout de suite
Thomas, 18 ans, a lui aussi largué les amarres durant l’adolescence. Rétif à toute autorité parentale, il a fugué des dizaines de fois, par tous les moyens : à pied, à vélo, en voiturette électrique et même en tondeuse à gazon…
Aujourd’hui apaisé, il évoque sans filtre, en compagnie de sa mère, ces cavales passées. Dont une en voiture, sur un coup de tête, un coup de sang. En conflit avec son père, une remarque déclenche tout.
Il se souvient : "à ce moment-là, on est tellement énervé qu’on a envie en même temps de fuir et de faire chier. J’ai pris l’autoroute, je ne savais pas où j’allais, je roulais, je roulais, je roulais... Je me suis dit, t’as pas le permis, tu dois réussir ton truc, donc je restais concentré sur la route. J’avais peur aussi, parce que j’étais loin de la maison… T’as quand même cette petite conscience qui te dit "mais qu’est-ce que tu fais ?".
Des fugues qui vont crescendo. "On se disait toujours, ça va être quoi la prochaine ?" souffle sa mère. "On essayait d’anticiper, de parer, mais il en inventait toujours des nouvelles".
Loin des règles imposées
Des parents séparés, une fratrie nombreuse, de multiples accrochages familiaux… A 14 ans, Sarah multiplie elle aussi les fugues. Elle ne part pas très loin et revient vite. Ces fuites, elle les vit comme des moments de liberté, loin des règles, des horaires imposés par les adultes.
"Tu perds un peu de lucidité quand tu fugues, tu sais pas trop où tu vas, tu sais pas trop pourquoi…" analyse-t-elle aujourd’hui. "Je pense que j’en exigeais trop, de la part de la société et de la part de mes parents. J’attendais d’eux qu’ils me laissent faire ma life. Moi quand je rentrais le soir, j’avais envie de dire "ciao, je sors, je reviens à telle heure" et qu’ils ne me disent absolument rien. J’étais frustrée de ce manque de... possibilités."
L’attente insoutenable
Des enfants qui disparaissent du jour au lendemain… Ces fugues font exploser tous les codes familiaux en quelques minutes. Pour les parents, c’est la peur, le désarroi, l’attente insoutenable.
Elisa témoigne ainsi de ce qu’elle a vécu lors de la première fugue de son fils Kevin, à 12 ans. L’appel à la gendarmerie, les heures à attendre, à chercher, à penser au pire jusqu’au retour de l’enfant… Puis vient le moment des explications pour tenter de réapprendre à vivre ensemble.
La fugue, c’est un discours comportemental.
Pourquoi des adolescents se rebellent-ils au point de fuir le milieu familial ? Nadège Hubert et Claude Ardid ont interrogé Boris Cyrulnik. Le neuropsychiatre donne des clés pour mieux comprendre le sens de la fugue dans nos sociétés modernes.
"L’adolescence, c’est une période sensible d’une aventure humaine. Tout nous touche et on répond à tout, avec excès" rappelle-t-il. "L’une des fonctions de l’adolescence, c’est le rituel d’accueil, c’est-à-dire se mettre en danger. Et là, ils se mettent à l’épreuve, mais de manière pas contrôlée".
Un rite de passage parfois nécessaire, donc. Mais extrêmement risqué. La police, la justice, les éducateurs, qui gèrent des situations dramatiques, le savent bien.
Une course contre la montre
L’an dernier, 52 000 jeunes ont fugué en France. Beaucoup affluent à Marseille, attirés par le soleil, la mer, la fête, les émissions de téléréalité… Entre les ados qui viennent des quatre coins du pays et ceux de la ville, la police en dénombre plus de 2000 par an. Un triste record national.
Où se cachent-ils et surtout comment les retrouver ? Tous les commissariats de quartier sont concernés, mais c’est aussi l’affaire des enquêteurs de l’Unité de protection des familles, l’ex-brigade des mineurs. Chaque fois qu’un adolescent disparaît, c’est une course contre la montre qui s’engage.
"Si la disparition est qualifiée d’inquiétante, il n’y a pas de limite à notre action" explique le Commandant Marc Rolland. "Tous les moyens disponibles peuvent être mis en œuvre, jusqu’à l’engagement d’hélicoptères, de chiens de recherche, de moyens maritimes… On ne court pas de risques quand on parle d’enfants."
Prostitution et ultraviolence
Inconscients de leur vulnérabilité, les jeunes fugueurs peuvent se mettre en très grand danger. Tentatives de suicide, accidents, mauvaises rencontres, mais aussi le risque bien réel de tomber dans l’engrenage de la prostitution ou de l’exploitation par des réseaux de trafic de stupéfiants.
Juge pour enfants dans la cité phocéenne, Laurence Bellon connaît bien la question et livre dans le film un témoignage glaçant. "Il y a des violences que je n’ai jamais vues ailleurs. La particularité de Marseille, c’est que l’environnement sociologique - notamment la force d’attraction des quartiers nord, les trafics et la violence intrinsèque de ces quartiers - rend les fugues très dangereuses. Quand les fugueurs pensent récupérer un peu d’argent avec du trafic, ils ne se rendent pas compte qu'ils mettent le doigt dans l’engrenage."
A l’instar des enquêteurs de l’Unité de protection des familles, la juge est régulièrement confrontée à des situations terrifiantes, des situations où la vie de l'enfant est en jeu.
Lutter pour retrouver et sauver les jeunes fugueurs, se battre pour qu’ils aient un avenir malgré le temps qu'ils mettront à trouver leur place, c'est tout l'enjeu.
Pour Léa, Thomas et Sarah, l’histoire s’est bien terminée. Pour d’autres, le dénouement est plus douloureux. Il arrive aussi que l’on ne retrouve aucune trace des fugueurs. Des centaines de jeunes filles et garçons disparaissent ainsi chaque année en France...
"Fugues en mode mineurs"
Un film de 52’ écrit et réalisé par Nadège Hubert et Claude Ardid.
Une coproduction France 3 Provence-Alpes-Côte d’Azur / Troisième Œil Productions.
Diffusion jeudi 19 janvier 2023 à 23h30 sur France 3 Provence-Alpes-Côte d’Azur.