À l’approche des fêtes, les repas s’organisent en famille, mais pour les enfants placés à l’Aide sociale à l’enfance, la période s’annonce difficile. L’ASE de Beauvais a organisé une journée festive avant l’heure pour rompre l’isolement de ces enfants.
Dans la cour de l’immense bâtisse qui accueille le centre maternel de Beauvais, des tentes et des stands de jeux sont installés pour la journée de Noël. Une cinquantaine d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes, entourés de leurs éducateurs, se retrouvent autour d’un repas.
Un Noël pour tous les enfants placés
Au menu : une tartiflette géante. Les tables ont été dressées avec des nappes en papier aux couleurs de la fête. Déjà, de petits groupes se sont formés. Au fond de la grande tente chauffée, des jeunes mamans et leurs bébés discutent. Toutes sont hébergées ici, dans le centre maternel, géré par l’Aide social à l’enfance du département. Elles ont entre 16 et 25 ans et ont été accueillies dès que leur bébé a atteint 6 mois.
Ici, on nous accompagne pour être mère. C’est parfois compliqué la collectivité mais on apprend à se connaître.
Ludivine*, 16 ans, placée au centre maternel
Certaines étaient déjà prises en charge par le Département avant leur grossesse. Ludivine*, 16 ans, maman d’un petit garçon de 8 mois, est accueillie dans le centre depuis quelques mois. C’est la première fois qu’elle passe Noël au centre. "Ma mère ne pouvait pas me garder avec mon bébé alors j’ai été en famille d’accueil et quand mon fils a eu 6 mois, je suis rentrée au centre maternel. Ici, on nous accompagne pour être mère. C’est parfois compliqué la collectivité, mais on apprend à se connaître. Et cette fête est sympa. Mon fils est content."
Ça me permet de rencontrer mes anciens éducateurs et de revoir d’autres jeunes qui sont partis dans d’autres foyers.
Amandine*, 15 ans, placée à l'ASE depuis deux ans
Pour l’occasion, le centre départemental de l’enfance et de la famille de l’Oise (CDEF) a réuni les pensionnaires et les éducateurs de toutes ses unités de Beauvais. La maison des tout-petits (de 0 à 3 ans, la maison des petits (de 3 ans à 8 ans), le centre maternel (des mamans de 13 ans à 25 ans et leur bébé) et le centre d’accueil d’urgence (des enfants et adolescents). Une grande mixité pour favoriser les échanges et les retrouvailles. "J’ai fait un autre foyer à Milly-sur-Thérain et aujourd’hui, ça me permet de rencontrer mes anciens éducateurs et de revoir d’autres jeunes qui sont partis dans d’autres foyers. C’est convivial", explique Amandine*, jeune lycéenne de 15 ans, placée depuis deux ans à l’ASE. Elle nous raconte qu’elle a été abandonnée par sa mère et que son père, hospitalisé régulièrement, ne peut pas la prendre en charge. "J’aurais préféré être chez mon père à Noël. C’est important de fêter en famille." Malgré la situation, cette jeune fille souriante garde sa bonne humeur.
À ses côtés, son ami Max*, 15 ans lui aussi, est tout aussi joyeux. Ils rient, se parlent de leurs expériences au foyer et profitent du moment. "Je ne fête pas Noël d’habitude parce que je suis musulman, mais là, on peut tisser des liens avec les éducateurs et d’autres jeunes. J’ai fait beaucoup de foyers avec mon placement alors, je connais beaucoup de monde ici." Il nous confie qu’il a été placé à sa demande. Ses parents étaient souvent absents. Aîné d’une fratrie de six enfants, il prenait en charge ses cinq petites sœurs. "Je ne suis pas avec elle, mais je suis avec d’autres jeunes et ça me fait du bien", tempère Baptiste.
Des fêtes au goût amer
Pêche à la ligne et jeux d’adresse pour les plus jeunes, atelier maquillage et goûter pour tous, les équipes éducatives des maisons du CDEF de Beauvais ont voulu marquer le coup pour cette période festive. "Nous essayons de redonner du plaisir à tous, de marquer ce moment familial qui compte beaucoup pour les enfants qu’on accueille. Ils n’ont pas tous déjà vécu cette fête", explique Hamida Touil, directrice du CDEF de l’Oise.
Un peu plus loin, caché derrière une statue, un enfant refuse de participer à la fête. Lorsque nous l’approchons, il recule, mais accepte finalement de se confier. Il a 12 ans et il est placé au centre d’accueil d’urgence de Beauvais depuis trois mois. Nous n’en saurons pas plus sur son parcours, mais sa tristesse est palpable. "J’aimerais beaucoup fêter Noël avec ma mère. J’aurais tellement aimé être en famille, profiter du temps avec eux, avec ma sœur. Et puis, je ne sais pas combien de temps je vais rester au centre. J’ai une audience au mois de mai, mais je sais que je vais rester ici."
Cette fête est un moyen de leur montrer qu’ils ne sont pas seuls.
Jessica Rodrigues, éducatrice spécialisée à la Maison d’accueil de l’enfance de Beauvais
Sur chaque stand, éducateurs, cuisinières, agents administratifs, responsables d’unité, organisent les jeux et entourent les enfants. Des jeunes qu’ils connaissent bien. Des parcours émaillés d’abandon, de ruptures et de maltraitance.
Au stand maquillage, Néo*, tout sourire, est peinturluré de vert. Il a demandé à l’éducatrice de lui dessiner un sapin de Noël avec les boules et l’étoile. Il nous confie que Noël est un moment particulier. "Ça me rend heureux. Je m’amuse. C’est mieux ici parce qu’il y a du monde."
Noé*, 11 ans, a été placé dans le centre d’accueil d’urgence de Beauvais il y a quatre mois. D’après son éducatrice, il récupère peu à peu et le travail avec lui avance bien. Le comportement s’améliore. Entre les lignes, nous comprenons l’attachement qu’elle ressent pour les enfants qu’elle accompagne et sa volonté de les entourer. "C’est une période difficile pour eux parce qu’ils ne fêteront pas tous Noël en famille. Cette fête est un moyen de leur montrer qu’ils ne sont pas seuls. Souvent, quand ils sont en milieu ordinaire [à l’école, avec d’autres enfants non placés], ils pensent être seuls à être placés. Ici, ils se rendent compte qu’il y a des enfants de tout âge, de 0 à 18 ans. C’est bien de fêter ça tous ensemble quel que soit l’âge avec l’ensemble de l’équipe éducative et leur montrer que c’est leur journée", souligne Jessica Rodrigues, éducatrice spécialisée à la Maison d’accueil de l’enfance de Beauvais.
C’est aussi un moment festif pour les salariés de ces différentes structures de l’ASE, loin des soucis quotidiens. "Cette journée permet aux équipes de se détendre, de rire. Ils se rencontrent, et voient qu’ils ne sont pas seuls face aux difficultés. Parce qu’ils vivent des moments difficiles avec ces enfants qui ne sont pas toujours simples, qui expriment leur souffrance, parfois avec des dégradations, des actes de violence. Il faut penser à ça aussi, les soutenir", insiste Hamida Touil.
Les 24 et 25 décembre, chaque unité fêtera à nouveau Noël dans sa "maison". Parmi tous ces enfants, certains auront la chance de passer Noël en famille. Mais la plupart, resteront dans leur centre d’accueil, entourés de leurs éducateurs.
*Les prénoms ont été modifiés pour le respect de l’anonymat.