TEMOIGNAGE. "Je n'ai plus peur de mourir, je suis déjà morte", une vie à Marseille dans une cité aux mains des gangs

Fatima vit depuis six ans dans une copropriété dégradée des quartiers nord de Marseille. Elle raconte son quotidien, rythmé par la peur et les violents affrontements entre gangs de trafiquants de drogue.

"Je n'ai plus peur de mourir. Parce que je suis déjà morte, même si mon corps n'est pas encore froid."

Si Fatima* souhaite témoigner, malgré la peur des représailles, c'est pour sortir ses enfants de l'enfer dans lequel vit sa famille. Un quotidien transformé en enfer par la présence de réseaux de trafiquants de drogue. "Je me suis battu avec eux, mon fils a été agressé", rapporte Fatima.

La famille s'est installée au Mail, tout en haut du bâtiment A, en 2016. "Je vivais à Marseille, à la Busserine depuis plus de 20 ans. Mais j'ai accouché d'un enfant grand prématuré, notre appartement était devenu trop petit."

Au début son nouvel environnement lui plaît. Mais peu à peu, l'insalubrité gagne le logement de la famille. "Le bâtiment est laissé à l'abandon", déplore Fatima.

"Il y a les rats, les cafards, les seringues… Les deux ascenseurs de la tour ne marchent plus. Pour rentrer chez nous, on prend les escaliers. On a des courbatures. Parfois les enfants ne vont pas à l'école. Les personnes âgées ou handicapées ne peuvent pas sortir."

Des enfants attirés par le réseau

Fatima, ses huit enfants et sa mère qu'elle héberge subissent également la présence de trafiquants de drogue dans le bâtiment. "Quelle éducation pour nos enfants ? Ils boivent, ils fument dans les escaliers..."

La mère de famille s'inquiète surtout de l'attraction du réseau sur les plus jeunes. "Ils proposent aux enfants d'aller leur chercher des boissons pour dix euros. Alors à 10 ans, 11 ans ou 14 ans, ils se mettent à vendre [de la drogue NDLR]." 

Selon elle, la situation s'est aggravée l'été dernier, avec l'arrivée de bandes rivales. "Ils se battent à coup de couteaux devant les enfants", rapporte Fatima. Elle dit ne plus être libre de ses mouvements. "Il faut une autorisation pour faire venir un médecin ou une infirmière, parfois, ils nous bloquent."

"Il décident de nos vies, se désespère Fatima. On dit que la France est un état de droit. Mais où est le droit ici ?"

Parfois dans l'immeuble, l'électricité et le gaz sont coupés. Des sabotages que Fatima attribue "aux réseaux". "Je suis restée trois mois sans téléphone. Ils décident même quand on peut regarder la télé", constate la mère de famille.

"On risque de mourir brûlé"

La nuit du 4 au 5 juin dernier, un appartement est incendié au troisième étage. "On y a échappé de peu, souffle Fatima. Les bouteilles de gaz auraient pu exploser."

Selon les associations du quartier, cette technique est parfois utilisée par les trafiquants pour pousser les habitants au départ et récupérer les appartements pour leurs affaires.

"On risque de mourir brûlé chez nous, et personne ne fait rien",  se désespère Fatima. "Depuis, les enfants dorment chez leur belle-mère. Ils ont menacé de mettre de l'essence et de brûler tout le bâtiment. Il faut nous aider maintenant. On ne veut pas que le gouvernement vienne quand ce sera trop tard, avec leurs beaux costumes."

Selon les associations du quartier, l'incendie d'un immeuble squatté dans une cité voisine, en juillet 2021, a été le point de départ de la montée de la violence à la cité du Mail.

Ce jour là, trois hommes décèdent dans l'incendie de leur logement, dans la cité des Flammants. La mairie de Marseille décide d'interdire l'accès au bâtiment. Des centaines de personnes, principalement issues de la communauté nigériane, se retrouvent à la rue.

Des violences similaires au Parc Kallisté

Parmi eux, des membres de gangs qui font régner la terreur dans la communauté. Ces gangs se seraient donc déplacés vers la cité du Mail, où ils seraient en concurrence avec les réseaux de trafiquants de drogue déjà installés. "Et nous, les habitants, on est au milieu", se désole Fatima.

Cette situation fait écho aux événements qui ont conduit à l'évacuation du bâtiment G du parc Kallisté, une autre cité des quartiers nord de Marseille. Une série d'incidents violents a poussé les autorités à reloger les habitants. Là encore, la présence de gangs issus de la communauté nigériane étaient incriminés.

A la cité du Mail, Fatima ne souhaite qu'une chose. Partir. "Je paie 1.100 euros de loyer, mais ce n'est pas un logement, c'est une tombe. On vit pire que des animaux. Je cherche n'importe quoi, même un studio, mais je ne trouve rien."

Elle craint que témoigner face à des journalistes ne lui cause des ennuis. Elle nous confie avoir surveillé ses arrières avant de nous rejoindre, de peur de tomber dans "un piège". Elle a également laissé une lettre à ses enfants, "au cas où il m'arrive quelque chose."

Malgré la peur, des habitants du bâtiment se sont constitués en association. Ils ont prévu de manifester le samedi 11 juin devant l'hôtel de ville de Marseille sur le Vieux-Port. Un appel au secours, dans l'espoir d'être enfin entendus.

*Le prénom a été changé.

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