Covid 19 : "Hold-Up", ou comment un film aux théories complotistes est devenu viral

Depuis sa mise en ligne, le film "Hold-Up" qui défend la thèse d'une "manipulation mondiale" autour de l'épidémie de Covid 19 inonde les réseaux sociaux. La viralité folle de ce long-métrage pose de nombreuses questions. Philippe Aldrin, professeur à SciencesPo Aix, nous aide à y voir plus clair.

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Hold-Up se présente comme un documentaire de 2h43 sur les "mensonges" autour de l'épidémie de Covid 19 "dévoilant les erreurs commises par les plus hautes instances publiques et questionnant les fondements mêmes de nos libertés (...)".

"Il faut bien se figurer que la privation de nos droits, de nos libertés, de nos choix est un hold-up", écrit le producteur du film, Christophe Cossé, sur le site de la société de production Tprod. 
Depuis sa sortie, nombre de cellules de "fact-checking" de médias nationaux ont passé au crible les témoignages et affirmations diffusés dans le documentaire. Leur travail fastidieux a permis de mettre à jour plusieurs fausses informations ou approximations, listées ci-dessous par l'équipe de l'AFP Factuel :  Au-delà des considérations de fonds, ce documentaire est devenu l'une des principales tendances sur les réseaux sociaux depuis sa mise en ligne le 11 novembre. Une viralité foudroyante que certains spécialistes des médias ont cherché à expliquer. Pour cela, il faut d'abord revenir à la naissance du projet.

Un financement participatif

Au mois d'août, la production du documentaire, Tprod, a ouvert une page de participation dont l'objectif était d'atteindre 20.000 euros au 1er octobre. Au terme de la campagne de financement, près de 183.000 euros ont été versés par 5.232 contributeurs au total. Sur la plateforme Tipeee, près de 7.000 internautes ont permis de réunir plus de 135.000 euros, versés tous les mois. Preuve que bien avant sa sortie, Hold-Up était déjà largement partagé sur les réseaux sociaux. "On n'insistera jamais assez sur l'effet de levier ahurissant que permettent ces sites", commente sur Twitter Tristan Mendès France, maître de conférence associé à l'université Paris-Diderot, spécialisé en culture numérique.

Une fois sorti, le documentaire est très vite devenu viral sur les réseaux sociaux. "Une version fuitée sur Facebook a généré à elle-seule une potentielle exposition à plus de 3,4 millions de personnes", continue Tristan Mendès France.

"Hold-Up, c'est 500.000 engagements sur Facebook la semaine écoulée (hors contenus natifs)", expose Jean-Noël Buisson. 

Invité sur le plateau de C à vous vendredi 13 novembre, Tristan Mendès France a analysé le rôle fondamental des réseaux sociaux dans cette viralité : "Ils permettent à des productions marginales en ligne de dépasser le cercle naturel de leur audience qui devrait être quelques dizaines de milliers d'énervés en ligne et qui va donner une visibilité qui va au-delà de la réalité de ce que représente l'audience naturel de ce documentaire".

Une forme léchée

Sur Twitter vendredi 13 novembre, Jean-Noël Buisson, reponsable adjoint du département analyse au service d'information du gouvernement, donne ce qui pourrait être "la recette de la viralité du pseudo-documentaire".  Il évoque notamment la forme du long-métrage : "un contenu léché (..), qui prend les atours d'un travail journalistique, la contradiction en moins, le pathos en plus"

Tristan Mendès France d'abonder dans ce sens : "Le succès de ce film conspi s'explique aussi par le fait qu'il est particulièrement bien léché : images soignées, prises de vue slomo en drone, travail sur l'ambiance sonore et musicale, temps longs silencieux sur les visages, les regards. Gros appel à l'affect". Une qualité permise par le financement issu des plateformes de crowdfunding. 

C’est comme au cinéma.

Philippe Aldrin

Philippe Aldrin, professeur en Sociologie politique des rumeurs à Sciences Po Aix, décortique la réalisation du film Hold-Up basée sur des ressorts "assez classiques".

Laura Cadeau et Margaïd Quioc ont recueilli ses propos : "On va, dans le montage, créer, mettre en série des événements, des images qui sont parfois connues, et jouer sur les effets, des zooms, des accents dramatiques poussés par la musique. Ce qui compte, c’est l’émotion produite et l’effet de révélation. C’est comme au cinéma."

Une mise en scène dont les effet "viennent en permanence conduire l’émotion et qui, j’imagine, font en sorte que l’émotion prenne le pas sur l’analyse sereine et objective".

Voir l'intégralité de l'interview de Philippe Aldrin

Le choix des invités et des thèmes abordés

Il est également question de la liste des invités intervenant dans le documentaire, "dont la notoriété apporte caution au film", selon Jean-Noël Buisson. Il explique également le succès du documentaire par les sujets abordés et le contexte dans lesquels ils s'inscrivent : "Un maelström de tous les poncifs de la désinformation Covid (origine du virus, 5g, Bill Gates, vaccins, plan de soumission de l'humanité..) mêlés à une violente critique de l’action de l’État, forcément porteuse en cette période de défiance généralisée…".

Le film a notamment trouvé écho dans certains groupes tels que ceux qui soutiennent Didier Raoult ou encore ceux des Gilets jaunes

Le relai de personnalités publiques

Le succès du documentaire et son partage massif est encouragé par le partage de plusieurs personnalités populaires sur les réseaux sociaux et notamment Sophie Marceau. Mercredi 11 novembre, l'actrice a publié l'affiche du film et renvoyé vers le site de Tprod.

Son post Instagram a été "liké" plus de 20.000 fois. Pour rappel, Sophie Marceau est suivie par plus de 494.000 personnes sur Instagram. 
Une ancienne candidate de l'émission de télé-réalité Les Marseillais, Kim Glow, a également relayé des théories du complot autour du Covid 19 en s'appuyant sur le documentaire Hold-Up sur Instagram.  Kim Glow comptabilise plus d'un million de "followers".

Comment maîtriser cette viralité 

"Dans le contexte actuel de crise sanitaire aiguë, la responsabilité des différents acteurs & promoteurs de ce contenu se pose : la menace qui pèse sur la cohésion sociale est réelle et très préoccupante, en ont-ils bien conscience ?", s'interroge Jean-Noël Buisson. 

La responsabilité des plateformes de financement participatif, des plateformes de diffusion et des intervenants est ici remise en question, face à un documentaire dont la véracité de certaines affirmations est mise en doute.

Sur Tipeee, un message d'avertissement s'affiche désormais avant d'accéder à la cagnotte en ligne : 
De son côté, le PDG d'Ulule s'est fendu d'un long "thread" sur Twitter afin d'expliquer la position de la plateforme. Il rappelle notamment que "TOUS" les projets sont modérés avant leur lancement sur Ulule, mais que certains "sur la ligne de crête", peuvent être acceptés.  Alexandre Boucherot met en cause l'écart entre le "pitch" initial du projet Hold-Up, et son résultat, "l'étendard de thèses complotistes très éloignées de ce que l'on défend sur Ulule".

En réponse, Ulule ne va pas couper le projet mais n'en fera plus aucune pub. Aussi, Alexandre Boucherot affirme que l'intégralité de la commission Ulule perçue sur ce projet sera reversée à "une association de défense de l'information".

Sur Facebook, un message d'alerte apparaît avant le visionnage d'une copie du film. De son côté, Vimeo, la plateforme de vente du film en VOD, a retiré le documentaire. Hold-Up a également été retiré de Dailymotion. Face à ce qu'ils appelle une "censure", les réalisateurs ont décidé de partager le film gratuitement sur le site de Tprod.

Enfin, certains fameux intervenants du documentaire commencent à réagir. C'est le cas de la sociologue Monique Pinçon-Charlot qui annonce se désolidariser du film dans un message publié sur Twitter : "Je suis stupéfaite par une instrumentalisation de mes quelques mots retenus au profit non pas d’une réflexion mais d’un montage choc au service de l’émotion et la colère !", publie-t-elle.

Les limites du fact-checking ?

Si la vérification des propos du documentaire a été rapidement réalisée par de nombreux médias, on peut se demander si ces articles trouvent le bon écho, le bon lectorat. 

Rachid, professeur des écoles en SEGPA, a partagé son expérience sur Twitter le 13 novembre : ""Ça y est ils ont découvert la vérité sur le coronavirus" m'ont dit les élèves à propos de Hold-Up, dont certains extraits tournent sur snap et insta. Ce documentaire a atteint un public que le fact-checking à son sujet n'atteindra jamais. Les dégâts sont considérables". L'exercice du "fact-checking" est d'autant plus compliqué lorsqu'il s'agit d'un tel document, explique le professeur Philippe Aldrin : "Comme toujours dans la rumeur et le conspirationnisme, on a un feuilletage d’informations avec des info vraies, fausses ou des données sorties de leur contexte".

"On est clairement dans ce phénomène qu’on a appelé il y a quelques années, la 'post-vérité'
, poursuit le sociologue spécialiste des rumeurs. C’est-à-dire qu’avec des morceaux d’information objective, disponibles sur internet et produits par des médias d’information sérieux, on peut tisser, tramer une autre histoire".

Nous nous retrouvons démunis face à ce montage d’informations.

Philippe Aldrin

"On n’a plus seulement des gens dont c’est le métier de transmettre l’information, c’est-à-dire les journalistes, ou de produire des vérités, c’est-à-dire les scientifiques, mais on a des acteurs qui se saisissent de ce rôle-là et qui vont utiliser les outils mis à leur disposition pour raconter une autre histoire que l’histoire officielle".

"Nous nous retrouvons alors démunis face à ce montage d’informations et cette interprétation qui découle d’éléments du réel"
, conlut-il.

Le journaliste de Télérama Romain Jeanticou publie sur son compte Twitter les réactions de certains Gilet jaunes suite à l'article du Monde, Les contre-vérités de « Hold-up », documentaire à succès qui prétend dévoiler la face cachée de l’épidémie, paru le 12 novembre. Certains Gilets jaunes évoquent le "buzz" produit par les articles de "debunkage" (vérification des informations) sur Hold-Up. Un buzz qui aurait participé à sa viralité. "Je l'ai regardé par esprit de contradiction", peut-on lire par exemple. Ces articles (dont le mien ?), participent-ils, malgré eux, à amplifier la viralité du documentaire ? Un effet pervers nommé effet Streisand, qui consiste à attirer l'attention sur une information en essayant de l'interdire.
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