Après 27h de trajet, les réfugiées ukrainiennes sont arrivées hier soir à Grambois. Le convoi de l'espoir était parti de Provence jeudi dernier. Malgré la chaleur de l'accueil, la fatigue, la douleur de l'exil se font ressentir.
Presque 22 heures, ce samedi soir. Nous approchons de Grambois, une commune d’environ 1000 habitants qui domine la vallée de l’Èze. Dans la nuit, nous distinguons au loin le village éclairé, accroché à un coteau escarpé. Quelques derniers virages et voilà que notre fourgon franchit le portail d’une maison, à l’entrée du bourg.
"Marseille ?" demande Slava, d’une voix frêle. Nous lui répondons que sa sœur Alina l’attend finalement ici, dans le Vaucluse. Désorientée, elle se tourne directement vers sa fille, Vika, malade pendant toute la dernière partie du voyage. Nous tentons de les rassurer.
De la pénombre, une femme d’une trentaine d’années, à l’apparence soignée, surgit. C’est Alina qui les accueille chaleureusement et les enlace de toutes ses forces, avec un large sourire qui ne quitte pas son visage. "Priviet, priviet" répète-t-elle pour les saluer.
Enfin, les retrouvailles
Elles se dirigent toutes vers l’entrée de la grande maison familiale dont la lumière du couloir est allumée.
À l’intérieur, la fatigue accumulée du périple se fait ressentir. Yana, 4 ans et pleine de vie depuis le début du convoi, se transforme en une petite fille apeurée, pétrifiée et repliée sur elle-même. Sur ses joues roses rebondies coulent à présent de chaudes larmes. Yana est inconsolable. Et c’est la dernière fois que nous apercevrons sa bouille avant qu’elle ne se réfugie contre sa mère, la tête enfouie sous le pull de Tania, sans quitter son bonnet et son manteau de la soirée.
À l’inverse, dans la salle à manger, la mère et les sœurs de Jean-Michel s’activent autour d’une grande tablée. Sur une nappe blanche, faite de dentelle au crochet : du poulet grillé et des pommes de terre dorées.
La chaleur ambiante dénote avec la pièce d’à côté. Ici, les rires et les embrassades de la famille se mêlent aux crépitements du feu de la cheminée. Jean-Michel raconte son "miracle du béret" : tomber nez à nez avec Slava au hasard d’une rencontre, à Medyka. "Si tu veux l’inventer cette histoire, tu n’y arrives pas !" lâche-t-il, sous les regards curieux et pleins d’admiration de ses proches.
Les ukrainiennes ailleurs
La famille Borras est pleine de bonne volonté pour accueillir au mieux ces nouvelles réfugiées. Elle sert à Slava et l’une de ses filles Kristina plusieurs assiettes. Mais on sent les ukrainiennes ailleurs. Victoria est d’ailleurs partie à l’étage pour se rétablir, sans même avaler quoi que ce soit.
Alina, leur tante, s’extasie : "Je suis heureuse à tel point que le mot dans le dictionnaire n’y est pas." Mais si elle apparaît soulagée, sa sœur, elle, semble perdue, le regard vide et dépourvu d’émotions. Le changement de décor trop difficile à assimiler. Alina nous explique : "Quand je suis arrivée en France, il y a 15 ans pour être fille au pair, j’ai pleuré pendant 15 minutes, une fois mes valises posées. C’est là que j’ai réalisé que j’avais quitté mon pays. Et là, ce n’est ce pas par choix, qu’elles le font. Alors imaginez ce qu’elles ressentent en ce moment."
Elles ont longtemps refusé de fuir l’Ukraine pour venir ici en France. Surtout Victoria : "Moi, mon père est militaire, il est à la guerre donc je reste avec lui" avait-elle confié à Alina.
"Mais quand j’ai su qu’elles dormaient au sous-sol, pour moi c’était inconcevable. Je voulais qu’elles soient en sécurité donc j’ai tenté de convaincre à nouveau Victoria et cela a été très long pour qu’elle accepte" poursuit la jeune femme qui habite aujourd’hui dans les quartiers nord de Marseille.
Il est 23 heures, les réfugiées s’éclipsent après avoir remercié leur famille d’accueil : "Thank you very much." Alina les accompagne jusqu’au gîte qui leur servira d’hébergement pour les jours à venir.
Nicole Borras, la mère de Jean-Michel et la propriétaire des lieux, loge sous son toit deux autres mamans ukrainiennes et leurs enfants depuis une semaine déjà. "Elles sont tristes et très renfermées. Le bébé de 6 mois est tellement beau, il rit tout le temps, heureusement qu’il n’a pas le souci de ce qui se passe. J’espère pour eux que ce sera pas pour longtemps. Tout ça, ça fait mal. Jamais de la vie on aurait pensé en arriver là" souffle-t-elle devant l’arbre généalogique de la famille, dessiné sur un mur blanc.
La soirée s’achève autour d’un pavlova, un dessert à base de meringue, nappé de crème chantilly et recouvert de fruits frais. C’est sur ce décalage probant entre les deux familles que nous nous séparons.
L’aventure humaine ne se termine pas pour autant. Avec mes collègues journalistes, nous reviendrons vite pour prendre des nouvelles d’elles. Des rencontres, des moments forts en émotion, des péripéties : ce convoi de l’espoir a marqué à jamais notre équipe.
(Re)lire l'épisode 1 : le convoi de l'espoir, l'aventure humaine d'une famille partie aider des réfugiés
Relire l'épisode 2 : le convoi de l'espoir en Pologne vers la frontière ukrainienne
Relire l'épisode 3 : le convoi de l'espoir arrive au camp de réfugiés de Medyka
Relire l'épisode 4 : le convoi de l'espoir de retour en France avec les réfugiées