Pour Marion Grimaud, infirmière libérale en zone rurale, le quotidien est nourri d'inquiétude. Entre le manque de masques, les patients vulnérables et les tournées à rallonge, elle nous raconte ses difficultés.
Le gouvernement avait annoncé que des masques seraient disponibles, dès ce mercredi 18 mars, dans les officines de proximité pour les soignants. "J'ai directement appellé ma pharmacie, qui m'a dit de venir jeudi car elle ne les avait pas encore reçus" explique Marion Grimaud. "Jeudi, j'ai pu en récupérer 18. Même si ce n'est pas suffisant, j'étais soulagée de savoir que je pourrais me protéger moi, mais aussi mes patients".
Des masques uniquement pour les médecins
Surprise, la pharmacie rappelle Marion et lui demande de rendre les masques.On m'a expliqué qu'il fallait les rendre pour les médecins, que les infirmières n'étaient pas prioritaires.
Avant de rajouter : "je ne peux pas tous les ramener, car j’en ai déjà utilisé et donné à mes patients les plus fragiles, ceux qui toussaient beaucoup par exemple". explique-t-elle.
Contrainte de ramener ces masques à la pharmacie : "Nous on ne prend pas de risques, c'est bien connu". Le ras-le-bol d'une infirmière libérale dans le Var. #CoronavirusFrance pic.twitter.com/KckNVAWZn0
— Manon Hamiot (@ManonHamiot) March 20, 2020
"La CPAM m'a contacté pour savoir si je pouvais m'occuper de patients contaminés Covid-19, je leur ai dit oui, seulement si on a les équipements nécessaires", confit-elle.
Une patientèle fragile
Si ces masques sont si précieux, c'est aussi pour protéger ses patients, qui sont pour la plupart des personnes âgées, vulnérables, polymalades, en soins palliatifs ou atteints d'un cancer. "Beaucoup sont immunodéprimés, c'est-à-dire qu'ils peuvent attrapper le moindre rhume qui traîne"explique t-elle.Tous les jours, elle visite 20 à 30 patients en faisant le tour des villages alentours. Pour elle, impossible de respecter les règles sanitaires :" Normalement, il faudrait les changer toutes les quatre heures ou avec des patients qui toussent". Maman d'une petite fille d'un an et demi, l'inquiétude est désormais généralisée pour Marion.
"Une personne peut être porteuse et asymptomatique. Je peux donc, sans protection adaptée, le filer à des patients qui sont très fragiles sachant qu’à domicile on a une très forte proximité".J'ai peur de ramener le virus chez moi, contaminer mes patients mais aussi ma famille.
Nouveau rituel
Pour l'infirmière libérale, diplômée il y a cinq ans, la tournée prend des airs de mission commando :"Quand je commence ma tournée, je mets un masque - tant que j'en ai... - Chez chaque patient, je mets une paire de gants propres pour ne rien toucher. Une fois les actes médicaux terminés, je me lave les mains en gardant les gants au gel hydroalcoolique. Ensuite, avant de rentrer dans la voiture, j’enlève mes gants".
Marion Grimaud a dû s'équiper en conséquence : "j’ai un sac de décontamination dans ma voiture où je jette mes gants, puis je change de gants pour chaque patient, ce qui me fait perdre beaucoup de temps."
C'est ensuite à la maison que l'infirmière a dû s'équiper : "quand j’arrive chez moi, j’ai installé un sas de décontamination où je mets mes vêtements dans un sac qui va directement dans la machine à laver avec du désinfectant".Je définfecte mon volant, mon levier de vitesse et aussi mon téléphone plusieurs fois par jour
Des charges supplémentaires
Pour faire face à ces pertes de temps, l'infirmière a essayé de réduire les passages : "Il y a des patients chez qui je passais le matin et le soir pour la prise de médicaments. Désormais, je passe une fois dans la journée et le soir je les appelle pour m'assurer qu'ils pensent bien à prendre leurs médicaments."Mais les sollicitations sont plus nombreuses actuellement : "je constate énormément de sorties précoces de l'hôpital pour sans doute vider les lits. Ce sont des patients plus ou moins stables."
L'infirmière doit aussi assumer un autre rôle :
Il y a beaucoup de patients qui vivent seuls, chez qui les aides ménagères ne viennent plus.
"Je prend donc sur mon temps pour faire leurs courses puis passer à la pharmacie chercher leurs médicaments", explique-t-elle. Avant de rajouter : "dans ces moments, c'est notre conscience professionnelle qui parle parce que nos patients, on y tient".