ENTRETIEN. Viols de Mazan : "Même inconsciente, le traumatisme parvient tout de même à s'installer", analyse la psychiatre Muriel Salmona

Depuis ce lundi 2 septembre, devant la cour d’assises du Vaucluse, à Avignon, 51 hommes sont accusés d’avoir violé Gisèle Pélicot alors que cette dernière était inconsciente. Comment psychologiquement faire face à une telle horreur ? Éléments de réponse avec la psychiatre Muriel Salmona.

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Comment survivre après avoir subi l'indicible ? Ce jeudi 5 septembre, la parole sera donnée pour la première fois aux parties civiles notamment à Gisèle Pélicot dans le cadre du procès de Mazan. Depuis, le lundi 2 septembre, date de l'ouverture du procès, la victime fait face à ses agresseurs et aux preuves de ses viols documentés par son époux en photos et vidéos. Comment une telle confrontation peut-elle affecter psychologiquement Giséle Pélicot ? Quelles sont les particularités du traumatisme lorsque la victime est inconsciente au moment des viols ? Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l'association Mémoire Traumatique et victimologie, donne des éléments de réponse.

France 3 Provence-Alpes :  Avant qu'une enquête policière soit diligentée contre son époux, Gisèle Pélicot n'avait aucune connaissance des viols dont elle a été victime. Quels sont les effets psychiques d'une telle configuration sur le plan de la mémoire et du traumatisme ?

Muriel Salmona : Même sous sédatif, le traumatisme parvient à s'installer notamment par le biais de la mémoire traumatique qui enregistre dans une petite structure archaïque du cerveau (l’amygdale cérébrale) les sensations et les ressentis corporels les bruits, et l'état de stress intense s'établit même si la victime n'est pas consciente. Cette mémoire n'est ni visuelle ni intellectuelle mais elle archive les atteintes corporelles et les mises en danger. Lors de situations d'extrême danger, le cerveau peut disjoncter et faire complètement déconnecter le circuit émotionnel et de la mémoire pour protéger l’organisme d’un stress représentant un risque vital. Ainsi, il n'est pas rare que même sans soumission chimique, la victime puisse se retrouver dissociée, dans le brouillard et avec d'importants troubles de la mémoire. Elle ressentira des sensations de mort imminente, de la suffocation, de l'angoisse sans pour autant faire le lien avec une agression. Avec la soumission chimique, l'agresseur en plus de faire subir de graves atteintes à l'intégrité de la victime, s'assure également de lui voler toute possibilité de comprendre ce qu'il se passe. Dans ces configurations, si la révélation est un choc d'une extrême violence, elle permet aussi d'établir le récit de l'événement, de décrypter des sensations et symptômes et de leur donner du sens.

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Des photos et vidéos ont été montrées à la victime durant l'enquête et seront également visionnées durant le procès. Cela peut-il l'aider à se souvenir ?

Elle ne pourra jamais se souvenir mais le fait de pouvoir créer des liens entre les symptômes ressentis et son histoire va permettre d'intégrer la mémoire traumatique en une mémoire autobiographique. Elle n'aura pas de souvenirs conscients mais elle pourra mettre des éléments tangibles sur des sensations et donc récupérer sa propre histoire. Le sens permet de désamorcer le traumatisme. La victime a subi l’horreur mais elle n’est plus envahie par des sensations et des ressentis comme si les viols se reproduisaient sans fin à l’identique.

Est-il dangereux de lui exposer les preuves et les agresseurs ?

La violence inouïe réside avant tout dans ce qu'elle a subi. Évidemment, la confrontation aux preuves et aux agresseurs peut rallumer cette mémoire traumatique sans qu'elle puisse l'intégrer de manière consciente. Le risque est que cette situation soit trop stressante et que son cerveau déconnecte pour se protéger. C'est pour cela qu'il est très important qu'elle soit bien accompagnée car être dissocié de ses propres émotions est toujours dangereux.Ce qui peut être également très traumatisant est le fait d'entendre des choses fausses et mensongères au procès par la défense. Cette victime a vécu ses agressions et même si elle ne s'en souvient pas, une vérité intérieure s'entrepose dans une sorte de boîte noire enfouie dans son cerveau (l’amygdale cérébrale). Les mensonges peuvent conférer des sensations de malaise intense et perturber gravement la victime. Si la victime n’a pas de souvenirs ou si ceux-ci sont fragmentaires, les mensonges de la défense peuvent la déstabiliser et créer un bug entre ce qui est ressenti et ce qui est dit. Il est très important que les procédures judiciaires soient attentives à ce phénomène et ne mettent pas en danger les victimes.

Comment travaillez- vous les thérapies avec les victimes qui n'ont aucun souvenir des faits ?

Dans ces situations qui sont fréquentes surtout quand il s’agit d’enfants victimes de violences qui subissent souvent des soumissions chimiques, ou présentent des amnésies traumatiques plus ou moins complètes (jusqu’à 50% dans les incestes) ou des amnésies physiologiques quand ils avaient moins de 2 ans, je travaille sur les symptômes physiques et psychiques et les ressentis et les sensations. Dans le cadre de la thérapie, nous essayons de comprendre ces symptômes, de déterminer les raisons de leur existence et de voir comment et quand ils se produisent. Les patients parviennent ainsi à créer du lien entre la dite sensation ou douleur et des évènements traumatisants qu’ils ont vécus. On parvient finalement à retrouver une image assez précise de ce qui s'est passé et, in fine, de comprendre les symptômes et de permettre aux victimes de retrouver une cohérence interne.

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