Procès des viols de Mazan : "je suis un champ de ruines", Gisèle Pélicot témoigne pour la première fois

Le procès hors norme des viols de Mazan a débuté il y a quatre jours. Dominique Pélicot a drogué son épouse puis l'a livré à des inconnus recrutés sur un site internet. Ce 5 septembre est entendue à la barre Gisèle, la victime, qui n'a jamais pris la parole ces quatre dernières années. France 3 Provence-Alpes revient sur cette journée.

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Au quatrième jour du procès des viols de Mazan, la parole est donnée à celle que l’on n’a jamais entendue depuis quatre ans : Gisèle Pélicot. Depuis le 2 septembre, elle affronte les 51 accusés sans jamais baisser le regard. Durant dix ans, elle a été la victime de son époux qui la droguait puis la livrait à des inconnus, recrutés sur un site internet. Gisèle Pélicot a été violée plus de 200 fois, par 72 hommes, dont le principal accusé dans l’affaire des viols de Mazan, Dominique Pélicot. 

Quatre ans. Durant quatre années, Gisèle Pélicot est restée dans le silence. Ce 5 septembre, devant la cour criminelle de Vaucluse, à Avignon, elle raconte. À la barre, elle a abandonné ses verres fumés. Le regard franc, la voix claire, sans trembler, elle revient sur les faits.

"Ces dix ans, jamais je ne les rattraperais"

Au retour d’un week-end, Dominique Pélicot confie à son épouse, en pleure, avoir “fait une bêtise”. Il lui confie avoir été pris en flagrant délit en train de photographier sous les jupes de clientes dans un magasin. “En cinquante ans de vie commune, il n’a jamais eu de gestes déplacés, ni obscènes. Je suis interloquée”, confie alors la principale victime. À ce moment-là, elle n’imagine pas la suite des évènements. Dominique Pélicot présente un précédent pour des faits similaires en 2010, pour lesquels il a été condamné à payer une amende. Des faits dont Gisèle Pélicot n’avait pas connaissance. “Si j’avais eu connaissance de ses agissements, j’aurais peut-être réagi. Peut-être que je l’aurais quitté, peut-être pas, mais ça aurait été dix ans de ma vie sauvés. Ces dix ans, jamais je ne les rattraperais”, regrette-t-elle. 

Depuis plusieurs années, Gisèle Pélicot souffre d’absences. Des absences qui l’ont poussée à croire qu’elle est atteinte de la maladie d’Alzheimer ou qu’elle avait une tumeur. “Je pensais que j’étais condamnée”. “Je n’avais pas le souvenir d’avoir mangé, de m’être brossé les dents, ni de m’être mise en pyjama”, se souvient-elle. Depuis novembre 2020, les trous de mémoire ont disparu et Gisèle Pélicot a “retrouvé une vie normale”. Lorsqu’elle parle de son ex-époux, elle se contente de l’appeler “Monsieur Pélicot”.

"Je suis dans mon lit, inerte, endormie et on me viole"

Sans flancher, elle revient sur le jour où elle a appris qu’elle était la victime de son époux. “Nous allons au commissariat et je pensais y aller pour une “formalité” (pour l’affaire des photographies). En cinquante ans, je l’ai toujours soutenu. On a été un couple solide face à la maladie et aux ennuis financiers. On a eu des problèmes de couple, mais on est toujours restés soudés. Je me suis mariée pour le meilleur et pour le pire”, détaille-t-elle. Aux enquêteurs, elle décrit Dominique Pélicot comme étant “un homme attentionné”, “un chic type”. Jusqu’au moment où le policier lui montre une photo d’elle. “Je ne me reconnais pas, je suis dans mon lit, inerte, endormie et on me viole. Le traumatisme est énorme. Je suis en état de choc”, ajoute la victime. À ce moment-là, elle explique que pour elle, tout s’effondre. 

Mon monde s’écroule… tout mon édifice avec lui s’effondre.

Gisèle Pélicot, à la barre de la cour criminelle de Vaucluse

Gisèle Pélicot est alors incapable de regarder les vidéos d’elle, enregistrées dans l’ordinateur de son époux. “C’est au-dessus de mes forces”, déclare-t-elle au président, avant de lui confier qu’il aura fallu attendre mai 2024 pour les visionner. En sortant de la gendarmerie, seule, son mari étant en garde à vue, elle pense à ses enfants. “À ce moment-là, je n'ai qu’une envie : disparaître. Car je dois tout leur annoncer”. Lorsque Gisèle revient sur ces “scènes d’horreur”, elle entend encore, gravé dans sa mémoire, le cri de sa fille.

Pour Caroline Darian, qui avait dû sortir de la salle d’audience lors de la lecture du rapport, l’émotion est grande. Si les larmes coulent sur ses joues, elle sait qu’elle peut toujours compter sur le soutien de ses frères, assis à ses côtés. Dominique Pélicot, quant à lui, regarde le sol. 

"Ils me considèrent comme une poupée de chiffon"

Les convocations et les événements s’enchaînent. “Je suis comme un boxeur qui tombe et qui doit se relever des mauvaises nouvelles”, lâche-t-elle à plusieurs reprises devant la cour criminelle de Vaucluse avant d’évoquer son déménagement. Cette maison à Mazan, elle l'a choisie pour y passer une douce retraite avec son époux. “C’est toute une vie qui bascule, mais je ne veux rien garder. Comment garder des meubles avec lesquels j’ai été heureuse ? J’ai eu une vie heureuse avec lui, j’ai été épanouie… La situation est grotesque. ”

Deux valises, mon chien, c’est tout ce qu’il me reste d’une vie commune. Je me demande comment je vais pouvoir me relever. Pour moi commence le parcours du combattant d’une femme qui a tout perdu.

Gisèle Pélicot, à la barre de la cour criminelle de Vaucluse

Puis en mai dernier, pour préparer au mieux ce procès hors norme, elle accepte de regarder les vidéos prises à son insu, lorsqu’elle était droguée. “Ce sont des scènes de viol insoutenables. Ils sont deux, trois sur moi, inanimée, anesthésiée dans mon lit. Qu’on ne me parle pas de scène de sexe. Pour eux peut-être, mais pas pour moi. Je n’ai jamais pratiqué le triolisme, ni l’échangisme, déclare-t-elle, le regard plongé dans celui du président. Toutes ces scènes de viols que je découvre, je me dis que j’ai été sacrifiée sur l’autel du vice."

Droguée, maltraitée, comme morte sur mon lit et ces hommes qui me souillent.

Gisèle Pelicot, droguée et violée pendant dix ans

"Pas un seul n’a eu l’idée de réagir. Ils me considèrent comme une poupée de chiffon, un sac-poubelle. C’est insupportable. Je ne sais pas si je me relèverais de tout ça, si je me reconstruirais un jour. On dirait qu’elle est solide cette femme, mais à l’intérieur de moi, je suis un champ de ruines.”  À la question du président "avez-vous été complice ? " elle répond avec appoint : "je n'ai jamais été complice. Je n'ai jamais fait semblant de dormir, ni de quoi que ce soit. Je peux le jurer s'il le faut".

Des propos soutenus par Me Béatrice Zavarro, avocate de Dominique Pélicot : “On a beau me dire qu'on va appeler ça des scènes de sexe, et pas des scènes de viol eu égard à la présomption d'innocence qui s'impose à tous, nous sommes parfaitement d'accord. Mais à un moment donné, quand les vidéos vont parler, elles vont parler. C'est-à-dire qu'on ne peut pas entendre qu'il ne s'agit pas de scènes de viols”, appuie-t-elle.

"Que plus aucune femme n’ait à subir la soumission chimique"

Gisèle Pélicot est restée dans le silence pendant quatre ans. Au-delà de la manière claire avec laquelle la victime s’exprime, sa force et son courage résident également dans le fait qu’elle ait tenu à ce que le procès ne se déroule pas à huis clos, mais bien que les audiences soient publiques. Pour “que la honte change de camp”. “Je le fais pour toutes les femmes qui ne seront peut-être jamais reconnues comme victimes, détaille-t-elle devant la cour. Pour que plus aucune femme n’ait à subir la soumission chimique.” Elle confie que si elle avait eu un témoignage comme le sien, elle aurait réagi très vite.

Ces scènes de torture, de viol... quelle femme peut vivre ça aujourd’hui ? Pourquoi j’ai mérité ça ? Mon regard a changé sur les hommes aujourd’hui.

Gisèle Pélicot

Face aux comportements des accusés, dont certains reconnaissent les faits et d’autres les nient, sa position est très franche. “Je trouve légitime qu’ils reconnaissent les faits, le contraire est insupportable. Je ressens un sentiment de dégoûts face à ces individus. À ceux qui ne reconnaissent pas : ayez au moins une fois dans votre vie la responsabilité de vos actes”, assène-t-elle. Quant à son ex-époux, le "dégoût" est le sentiment qui l'anime. "J'ai un sentiment de dégoût par rapport à tout ce qu'il a pu me faire subir. On avait tout pour être heureux, je ne comprends pas comment il a pu en arriver là."

“Cette femme a eu une dignité exceptionnelle"

La séance est suspendue pendant trente minutes, avant de poursuivre l’interrogatoire de la victime. Me Béatrice Zavarro, avocate de Dominique Pélicot confie qu’à cet instant, Dominique Pélicot “s'est effondré”, avant de commenter le témoignage de Gisèle. “Cette femme a eu une dignité exceptionnelle, je trouve. Elle était dans la mesure alors qu'elle ne devrait pas l'être. Et elle était dans la mesure du propos, dans la mesure des sentiments, même si elle était dans la fermeté également.” 

Gisèle Pélicot, à la fin de sa prise de parole, confie aux médias que “ce n'était pas évident, bien évidemment, c'est un exercice de style qui n'est pas facile”. “Et puis, il y a aussi la pression de tous ces individus qui sont derrière moi. Je sens bien qu'on essaie, au niveau des questions, de me piéger, bien évidemment, donc j'essaie de répondre le mieux possible.”

Dans les couloirs du palais de justice d’Avignon, les réactions sont unanimes. Toutes les personnes présentes sont admiratives de son courage et de sa dignité. Ses paroles sont claires, limpides, pleines de lucidité. Le procès va durer quatre mois au total.

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