Procès des viols de Mazan : "il y a une frustration, mais on a fait le maximum", la juge d’instruction à la barre

Vendredi 8 novembre, 42ᵉ jour d’audience, la cour criminelle de Vaucluse a auditionné, pendant près de deux heures, la juge d’instruction de ce dossier hors norme. Cette magistrate, qui a mené l’enquête pendant trois ans, a été citée à la demande d’un accusé.

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Gwenola Journot est le magistrat qui a instruit cette tentaculaire affaire des viols de Mazan. En ouvrant cette 42ème journée d’audience, le président de la cour criminelle accueille la juge d’instruction : "votre statut est un peu particulier, c’est assez inhabituel d’être cité devant cette cour", commence-t-il, comme le relate sur X Juliette Campion, journaliste pour France Info qui suit le procès depuis la première heure. Roger Arata précise : "vous avez été citée à la demande d’un des accusés". 

3 ans d'instruction, 31 tomes 

"J’ai été citée le 4 novembre 2020 par un réquisitoire de monsieur le Procureur, pour des faits commis par Monsieur Pelicot", indique Gwenola Journot. "Nous avons identifié 50 coauteurs et j’ai rendu mon ordonnance le 19 juin 2023" ajoute-t-elle. Cette ordonnance, c'est un document de près de 370 pages, pour 31 tomes d'instruction. "À ce stade, je ne vois pas vraiment ce que je peux vous apporter de plus, si ce n’est ce que j’ai écrit dans l’ordonnance". Et pourtant les avocats, qu'ils soient de la défense ou de la partie civile ont de nombreuses questions à lui poser. Notamment sur la méthodologie de l’enquête, qui a conduit à l’interpellation des 50 accusés.

"Sur ce dossier on peut faire dix ans d'instruction"

"Sur un dossier d'une telle ampleur, avec tant de matière, à quel moment on décide de ne pas ouvrir davantage une porte et de s'arrêter là ?" demande Antoine Camus, l’un des avocats de Gisèle Pelicot.

"On peut faire dix ans d’instruction. Avec les enquêteurs, on a voulu être pragmatique et faire en sorte que Monsieur Pelicot soit jugé dans un délai raisonnable", lui répond la magistrate. Cette dernière fait référence aux coauteurs susceptibles d’avoir, eux aussi, "reproduit les agissements sur leur conjointe". Une enquête a d’ailleurs été ouverte, elle sera jugée dans une autre circonscription.

"Comment avoir décidé d’en rester là ? Y a-t-il un goût d’inachevé", demande Stéphane Babonneau, également avocat de Gisèle Pelicot. Car il faut le rappeler, les enquêteurs avaient recensé 72 hommes à partir des photos et vidéos collectées par Dominique Pelicot. Seuls 50 avaient pu être formellement identifiés et interpellés.

"On a pensé qu’on avait fait le maximum de ce qu’on pouvait faire. Il y a certaines personnes qu’on voit à peine, de façon très floue", répond la magistrate. "Forcément, il y a une frustration, mais on pense avoir fait le maximum" assure-t-elle. 

L'avocat de la partie civile revient également sur le cas de Caroline Darian, la fille du couple Pelicot, qui, après avoir vu des photos d'elle dans le dossier, pense avoir été droguée, elle aussi, à son insu par celui qu'elle appelle désormais, son géniteur. "Nous n'avons pas eu d'explication de M.Pelicot. C'est un peu le seul point où on n'a pas eu d'explication. C'était nié en bloc", indique Gwenola Journot.

Ensuite, c'est autour de l'avocat général d'interroger la juge d'instruction. Il revient sur les vidéos visionnées, et notamment sur les ronflements que l'on entend, et qui permettent aux enquêteurs d'affirmer que Gisèle Pelicot était bien endormie, et même inconsciente. Pendant l'audience, il avait été suggéré que le volume des ronflements avait pu être rehaussé. 

"Bien au contraire, répond la juge d'instruction, on a essayé de les diminuer pour avoir les voix", lorsqu'il y avait des incertitudes dans les échanges prononcés entre Dominique Pelicot et son complice. La magistrate précise toutefois que "les vidéos diffusées dans le cabinet ont toujours été les vidéos originales, et que l'expertise en rehaussement sonore a été rendue très tardivement". 

Les avocats venus en nombre pour interroger la juge d'instruction 

Cette semaine, la cour criminelle a examiné le cas de sept accusés. Mais pour cette dernière journée, une grande majorité d'avocats s'est présentée. L'occasion de poser des questions au magistrat instructeur étant rare, voire "étrange", comme le signale Me Guillaume De Palma, qui défend 6 des accusés. 

L'un des sujets qui questionnent les avocats, c'est la publication du livre de Caroline Darian, la fille de Gisèle et Dominique Pelicot. Intitulé Et j'ai cessé de t'appeler papa : quand la soumission chimique frappe une famille, le livre est sorti en avril 2022, alors que l'enquête était toujours en cours, et selon Me De Palma, il aurait "perturbé le contentieux de la détention". " Devant le juge des libertés et de la détention (JLD), il était question du retentissement médiatique". 

"Vous n'avez jamais autorisé ce livre-là ?", demande-t-il à la juge d'instruction. "Comment voulez-vous que j'autorise ou interdise? " demande la magistrate qui rappelle que "les avocats sont tenus au secret de l'instruction, pas les parties civiles". Des propos que nous rapporte Juliette Campion, journaliste pour France Info. 
D'autres avocats interrogent la juge d'instruction sur l'absence d'investigations sur le téléphone de Gisèle Pelicot, et sur la situation financière du couple, et un éventuel surendettement. "Il y a eu une enquête de personnalité qui a été faite, on a repris les relevés de retraite pour voir les emplois occupés. Moi ça me semblait suffisant", répond la juge. 
Me Carine Monzat, également avocate de la défense, demande pourquoi les investigations sur une éventuelle soumission chimique de certains accusés par Dominique Pelicot n'ont pas été poussées. "On n'aurait pas pu établir la prise de toxiques. D'autre part, cette thèse d'avoir été drogué s'est répandue parmi les mis en examen et notamment ceux qui étaient dans la même cellule", répond la juge. 
Malgré cet interrogatoire qui a duré près de deux heures, Me Olivier Lantelme, également avocat de la défense conclut "je pense qu'au milieu de la pénurie judiciaire, vous avez fait un travail colossal et de qualité". 
Article écrit avec le live tweet  sur X de Juliette Campion, journaliste à France Info
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