A partir du 15 janvier, Fabrice Leggeri deviendra le nouveau directeur exécutif de l'agence européenne Frontex, chargée de gérer les frontières extérieures de l'Union européenne. Une organisation décriée par une vingtaine d'ONG qui lui reprochent d'être un outil "démesuré, opaque" et "dangereux".
Le journal L'Alsace publiait samedi 3 janvier une brève interview du Mulhousien Fabrice Leggeri, énarque, normalien et diplômé de Sciences-Politiques, qui sera bientôt nommé pour cinq ans à la tête de Frontex, l'agence de sécurité créée par le Conseil de l'Union européenne en 2004 et entrée en fonction en 2005.
Fabrice Leggeri était jusqu'ici haut fonctionnaire au ministère de l'Intérieur, et a brièvement été numéro deux de l'ambassade de France en Corée du Sud. Il a aussi été en poste à la Commission européenne.
Dans l'entretien, Fabrice Leggeri revient sur les missions de l'agence européenne, dont le siège se trouve à Varsovie et qui conseille, coordonne et forme les gardes-frontières nationaux, tout en intervenant directement dans la Méditerranée et le long des frontières terrestres en Europe (Ukraine, Biélorussie, Balkans, Turquie...). Fabrice Leggeri précise ainsi :
Il ne s'agit pas d'empêcher la venue de personnes qui relèvent d'une problématique de protection, mais de canaliser les afflux migratoires - et d'éviter que des gens se jettent dans les bras des réseaux criminels des passeurs. (...) On n'est pas là pour que des gens meurent en Méditerranée.
Des opérations militaro-humanitaires
En effet, depuis sa création, Frontex a multiplié les interventions dans la Méditerranée. En particulier lors des opérations militaro-
humanitaires Mare Nostrum ("notre mer", le nom latin de la Méditerranée) et Mos Maiorum ("coutume des ancêtres"), où le principal objectif annoncé était le sauvetage de clandestins laissés pour compte par leurs passeurs.
Récemment encore, l'agence est intervenue au large des côtes italiennes pour secourir deux navires pleins de migrants clandestins à la dérive.
Contrôler, intercepter, refouler
Mais Frontex, c'est aussi le renforcement des contrôles et des interceptions de migrants. Les objectifs du mandat de mission de l'opération maritime "Triton", qui a commencé début novembre 2014 à la demande de l'Italie, lassée de voir affluer les migrants sur ses côtes, ne sont plus le sauvetage de clandestins, même si Fabrice Leggeri précise que "l'obligation de porter secours existe toujours : c'est le droit de la mer, tout simplement".
Par ailleurs, les forces d'intervention rapide à l'étranger - l'étrange acronyme de RABIT'S (pour "Rapid Border Intervention Teams") -, mises en place en 2010 officiellement pour des cas "exceptionnels et urgents" à la frontière greco-turque, témoignent quant à elles d'une forme de gradation sécuritaire : 11 809 clandestins ont été arrêtés en 2010 dans cette zone. 23% d'entre eux venaient d'Afghanistan. En outre, cette gradation a été renforcée par l'épidémie de fièvre hémorragique transmise par le virus Ebola à la fin de l'année 2014.
"Frontexit" et l'ennemi imaginaire
En 2013, une vingtaine d'ONG internationales ont lancé une campagne ouvertement tournée contre Frontex : "Frontexit". Dans un clip vidéo, celle-ci dénonce le déploiement de forces démesurées pour une cible inoffensive. "L'Europe est en guerre contre un ennemi qu'elle s'invente", concluait-on dans la vidéo. La campagne critique ainsi un acharnement sécuritaire et une "traque aux migrants" incontrôlée par les citoyens européens. Les organisations réclament notamment des comptes objectifs et transparents sur les missions de l'agence ainsi que "la suspension des activités identifiées comme contraires aux droits humains".
Atteinte aux droits humains
Le service oecuménique d'entraide Cimade est engagé dans la campagne Frontexit. L'association signale notamment une atteinte au droit d'asile commise par Frontex et l'Italie, qui ont permis le renvoi de réfugiés libyens dans un pays en guerre. En juin 2009, une patrouille de gardes côtes italiens assistés par un hélicoptère allemand dans le cadre de l’opération Frontex Nautilus IV interceptait au large des côtes italiennes 75 personnes fuyant la Lybie, avant de les remettre aux autorités libyennes. Cet événement a fait l’objet en février 2012 d’une condamnation de l’Italie par Cour européenne des droits de l’homme.
Un budget en hausse et de nouveaux enjeux
En 2014, l'agence Frontex a été dotée d'un budget de 89,2 millions d'euros provenant essentiellement de l'UE. C'est plus qu'en 2013 (85,7 millions) mais moins qu'en 2011 (118 millions d'euros).Les enjeux du prochain mandat sont de taille : "en tant que futur directeur je dois raisonnablement anticiper le fait que, d'ici cinq ans, la Roumanie et la Bulgarie auront peut-être intégré l'espace Schengen, où la libre circulation est la règle", rappelle Fabrice Leggeri. Autrement dit, il va falloir encore davantage surveiller ces frontières pour contrôler l'afflux de migrants, en particulier en Bulgarie, où l'arrivée de réfugiés syriens est en augmentation.