Carlotta Ikeda, installée à Bordeaux depuis une vingtaine d'années avec sa compagnie Ariadone, est décédée mercredi, à 73 ans, des suites d'un cancer. Un dernier hommage lui sera rendu au Glob Théâtre à Bordeaux où se jouera sa toute dernière création.
Son travail, reconnu dans le monde entier, est basé sur le butô, un art gestuel japonais, qu'elle s'est efforcée de revisiter librement à travers ses nombreuses créations, en lui associant d'autres formes artistiques, contemporaines ou classiques.
Née Sanae ("pousse de riz"), le 19 février 1941 à Fukui, un village en bordure de la Mer du Japon, cette spécialiste du butô, a eu un parcours pour le moins singulier.
Danseuse tonique et gracile, formée d'abord à la technique classique, elle s'initie de 1960 à 1964 à la danse contemporaine venue des Etats-Unis, sur les traces de l'Allemande Mary Wigman et de l'Américaine Martha Graham.
Puis elle se lance dans le mouvement butô, une danse poétique, lente et minimaliste, qui se posait alors comme "l'antidanse".
Danse des ténèbres
"Laboratoire contestataire d'une société japonaise en pleine mutation", marquée par la Seconde Guerre mondiale et Hiroshima, le butô est resté "relativement marginal et confidentiel au Japon", mais trouva sa consécration à l'étranger, notamment en Europe, rappelle Ariadone.La rencontre de Carlotta Ikeda avec le butô remonte à 1974, année aussi de la création de Ariadone, seule troupe exclusivement féminine dévolue à "cette danse des ténèbres" inventée par Tatsumi Hijikata dans les années 60.
"En voyant Hijikata dans les années 1970, j'ai su que j'avais la solution pour traverser le mur", confiait celle qui est devenue pour la scène Carlotta Ikeda, se choisissant comme second prénom celui de Carlotta Grisi, célèbre danseuse italienne de la fin du XIXe siècle.
En 1975, un an après avoir fondé Ariadone, Carlotta Ikeda présentait à Paris "Mesu Kasan" ("Volcan féminin)". Dix ans plus tard, avec la compagnie qu'elle a dirigée jusqu'à sa mort, elle avait repris, en 2005, à plus de 60 ans, un ballet de 1982, "Zarathoustra".
Le public français a très vite adopté Carlotta Ikeda et c'est en France que la danseuse choisit de s'installer dans les années 1980, d'abord à Paris puis à Bordeaux.
Son plus beau solo pour hommage
"Un jour ou l'autre, tous les enfants ont dansé. Beaucoup ne s'en souviennent pas", aimait à répéter Sanae Ikeda. "La danse qui s'apprend", disait-elle, "est venue bien plus tard, à Tokyo". "Pousse de riz" avait 19 ans lorsqu'elle franchit pour la première fois la porte d'un cours de danse à Tokyo.
La mort de Carlotta Ikeda "est une perte brutale, grave et importante pour le monde de la danse, mais aussi pour la ville du fait de la place de cette chorégraphe de renommée internationale et de sa compagnie dans le paysage culturel", a déclaré Fabien Robert, adjoint chargé de la Culture à la mairie de Bordeaux.
Atteinte depuis quelques mois par un cancer, Carlotta Ikeda avait souhaité qu'aucune cérémonie officielle n'ait lieu à son décès, indique Ariadone dans un communiqué.
Ultime hommage au Glob Théâtre
Mais elle avait décidé, "pour la première fois, de transmettre l'un de ses plus beaux solos, Utt, qu'elle avait créé dans les années 1980, à une danseuse de sa compagnie, Maï Ishiwata.
Ariadone a confirmé jeudi que les représentations de cette création, prévues du 10 au 17 octobre au Glob Théâtre de Bordeaux, sont maintenues : c'est donc sur scène, "son véritable foyer", qu'un ultime hommage sera rendu à Carlotta Ikeda.