Les "derniers des Mohicans" du cornichon: Florent Jeannequin et son fils Henri continuent de produire en France le petit condiment vert, tandis que la concurrence asiatique a eu raison de cette culture, longtemps ancrée dans l'Yonne.
"Quand on fait des dégustations ou des salons, on nous dit: +on retrouve les cornichons de nos grands-mères+. Ce sont des cornichons qui poussaient dans le jardin, qui n'étaient pas traités. C'est ça, la recette, c'est pas plus compliqué", résume Florent Jeannequin, 62 ans. La récolte bat son plein en ce mois de juillet caniculaire. Les 27 saisonniers polonais, dont certains reviennent travailler chaque année depuis près de 25 ans, soulèvent chaque plant, qui rampe sur le sol, pour ramasser les fruits murs. Et comme le cornichon peut pousser de plusieurs centimètres en une seule journée, pas question d'en oublier un: trop gros, il est vendu à un grossiste en Allemagne, à destination des pays de l'Est.
L'extra-fin est le plus prisé par les consommateurs français, qui sont les seuls à le manger comme condiment, quand il est encore de petite taille et préparé dans le vinaigre. Dans l'Yonne, cette production a longtemps été "un appoint" pour les familles, qui en cultivaient quelques rangs dans leur potager pour en vendre une partie à la conserverie Amora-Maille d'Appoigny. Puis elle s'est professionnalisée et le département a compté jusqu'à 35 producteurs. En 2005, ils étaient encore 25 à produire des cornichons quand Amora-Maille les a "lâchés" en fermant ses portes en 2009. "La belle aventure qui avait débuté en 1955 s'est terminée", lâche l'agriculteur, un brin nostalgique.
Du jour au lendemain, "les vendre à qui ?", s'interroge alors M. Jeannequin, qui cultive également des céréales et élève des vaches à viande. Désormais, les industriels se fournissent en Inde et en Chine, où la main-d'oeuvre est moins chère et assure trois récoltes par an. Pourtant, M. Jeannequin décide de poursuivre la culture de cette cucurbitacée sur près de 14 hectares, "sans herbicide, sans pesticide et sans conservateur", souligne-t-il, épaulé par Henri qui s'apprête, à 24 ans, à prendre sa suite."C'était une pierre jetée dans l'eau", se remémore le sexagénaire au léger accent bourguignon, qui n'était "pas sûr de réussir". Ses anciens comparses "ne croyaient pas" dans leur projet mais père et fils ont misé sur "le changement des mentalités" chez les consommateurs, plus attentifs à l'origine des aliments.
La seule façon pour la famille Jeannequin d'être rentable est de faire elle-même la mise en pot et de se tourner vers le haut de gamme, avec une distribution via les épiceries fines. Ils créent alors leur propre marque en 2012, "Maison Marc", en hommage au père de Florent Jeannequin. Henri se charge de la commercialisation des 50.000 bocaux produits chaque année. "Les acheteurs aiment bien qu'on leur raconte notre histoire, ils sont étonnés qu'on soit les derniers" en France, déclare le jeune homme. "Sachant qu'on était les derniers, il y avait un marché mais il fallait se démarquer en faisant du haut de gamme et se différencier au niveau du packaging avec un bocal à fermeture mécanique pour rappeler nos grands-mères."
Depuis, les cornichons "made in France" ont conquis les cuisines de chefs de renom comme Yves Camdeborde et Cyrille Lignac... Jusqu'à celles de l'Elysée, où le chef Guillaume Gomez "apprécie", selon la famille Jeannequin, le cornichon
icaunais. "C'est pas des grosses quantités mais ça fait toujours plaisir de livrer ce genre de lieu, c'est une reconnaissance", se félicite Henri.
Voir le reportage que nous avions tourné en 2014
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