Un blocage qui "l'empêche d'ouvrir le courrier" du fisc. Pendant au moins 4 ans, Jean Daubigny, ancien préfet de Bretagne, n'a pas payé ses impôts. Le procureur a requis un an de prison avec sursis et 50 000 euros d'amende contre le haut fonctionnaire, six mois avec sursis contre son épouse.
Un ancien préfet qui ne paie pas ses impôts. L'affaire pourrait prêter à rire mais vendredi dernier, au tribunal, personne n'avait le sourire aux lèvres, selon l'AFP qui relate l'audience.
Et pour cause. C'est un homme vraisemblablement dépassé qui se présente au juge.
Une phobie du fisc ?
Aujourd'hui âgé de 69 ans, Jean Daubigny, ex-préfet de Bretagne de 2006 à 2009 et ancien directeur de cabinet place Beauvau, décrit à la barre un "blocage incompréhensible". Un blocage de plus en plus puissant, qui "l'empêche d'ouvrir le courrier" du fisc, et dont il n'a jamais pu parler, même à son épouse, ancienne directrice d'école.
"J'ai toujours, à tort, compté sur moi tout seul", dit-il. "Cette attitude s'est étendue à l'ensemble de mon domaine personnel", poursuit Jean Daubigny, ajoutant: "Cela fait dix ans que je n'ai plus de carte vitale".
Sans activité désormais, il n'a pas fait valoir ses droits à la retraite.
Le président du tribunal n'en revient pas:
- Vous avez droit à plus de 5.000 euros de retraite par mois et vous ne les demandez pas ?
- Je n'y arrive pas.
Le procureur a requis un an de prison avec sursis et 50.000 euros d'amende contre le haut fonctionnaire, pour avoir omis de déclarer les revenus des années 2011à 2014, soit 193 393 euros d'impôts impayés. Il a demandé six mois avec sursis contre son épouse, également poursuivie.
Le couple a depuis régularisé sa situation fiscale, pénalités comprises.
Mais à l'audience, tout le monde apprend que les Daubigny n'ont pas non plus déclaré leurs revenus de 2015 et 2016. Dès 2007, le haut fonctionnaire avait commencé à payer ses impôts en retard.
Le burn-out du préfet
L'énarque, préfet pendant plus de trente ans, dit s'être "noyé" dans ce "grand métier de solitaire", ponctué de ce qu'il appelle des "épisodes lourds" : catastrophes naturelles, accident d'avion, manifestations.
Il parle de vacances rares et de journées interminables. Raconte des dimanches passés au volant, pour rendre visite à sa mère malade dont, fils unique, il était le seul visiteur.
Sa femme, très pâle, raconte les déménagements fréquents imposés aux préfets, les soins des enfants, l'intendance.
N'aurait-elle pas dû s'occuper également des impôts, pour soulager son époux ?, insiste le procureur. "Cela aurait pu être ressenti comme une humiliation" par son mari, souffle Mme Daubigny. "J'ai peut-être fait défection dans mon rôle d'épouse".
Elle assure n'avoir pas vu les courriers du fisc que son mari laisse s'accumuler, en se disant: "Je suis trop fatigué, demain j'aurai la force".
Une note d'alerte au ministre en 2013
La direction générale des finances publiques donne l'alerte en septembre 2013 par une "note au ministre". Elle ne portera toutefois plainte qu'en 2016.
Jean Daubigny, lui, accepte, en 2012, de devenir directeur de cabinet du ministre de l'Intérieur Manuel Valls. Au bout de quelques mois il devient préfet de Paris et de la région Ile-de-France.
En 2016, quand l'enquête démarre, il se résout à parler de son cas. A un psychiatre, qui diagnostique un état dépressif "sévère".
"Il va falloir essayer de comprendre l'incompréhensible, pourquoi un homme comme Jean Daubigny a pu faillir. La seule explication c'est la dépression", dit l'avocat Jean Veil. Il plaide une dispense de peine, et une relaxe pour l'épouse.
Le délibéré sera rendu le 3 novembre.