En un siècle, le saumon sauvage a disparu de presque tous les grands fleuves français. Sauf en Bretagne, où ce grand voyageur à la robe argentée s'épanouit depuis dix ans, même si sa survie en mer reste préoccupante, selon les spécialistes.
Chaque année, près de 1.000 saumons sont pêchés en Bretagne, "l'une des rares régions de France à disposer d'un véritable réseau de rivières à saumon", estime l'association Bretagne Grands migrateurs.
Une chance, car à l'état sauvage, l'espèce a quasiment disparu des fleuves de l'Hexagone, à part dans quelques territoires comme le bassin de l'Adour (Sud-Ouest). En cause : la multiplication des barrages, qui a empêché ce migrateur de remonter les cours d'eau pour accéder à son lieu de reproduction, mais aussi la dégradation de la qualité de l'eau.
Après avoir passé un à deux ans dans sa rivière natale, le saumon atlantique prend en effet le large au printemps, vers les eaux salées des Îles Féroé ou du Groenland, où il grossit en se rassasiant de crevettes et crustacés. Puis il parcourt à nouveau des milliers de kilomètres en sens inverse, pour se reproduire là où il est né, en amont des cours d'eau, dans des zones de graviers et de galets.
C'est à la fin des années 1980 que la France, alarmée par la diminution des cheptels, a mis en place des mesures de conservation. Notamment pour leur restaurer un habitat favorable (passes à poissons dans les rivières, abaissement des seuils des moulins).
Au Moulin des Princes de Pont-Scorff, qui appartient à la Fédération de pêche du Morbihan, une station de contrôle surveille l'espèce depuis 1994 dans le Scorff, l'une des quatre rivières de référence au niveau national, où l'on mesure en temps réel l'état des populations.
"Le saumon est anesthésié, mesuré, pesé" et on lui implante une puce. "C'est comme au bloc opératoire. Puis la salle de réveil et enfin il est libéré", sourit Nicolas Jeannot, technicien à l'Inra, qui supervise la station.
Sentinelle des milieux aquatiques
Si le saumon sauvage a pu se maintenir en Bretagne, c'est grâce, selon lui, à l'amélioration de la qualité de l'eau. Notamment dans le Scorff, où la fin des rejets nocifs des piscicultures industrielles a réduit sa mortalité.De plus, la régulation des engrais et des pesticides en agriculture, ainsi que des nitrates - dont l'effet toxique sur le saumon est cependant mal mesuré - n'ont pu "qu'améliorer les taux de survie en eau douce", dit-il. Pour Jean-Luc Baglinière, chargé de mission à l'Inra, le saumon est finalement
"une sentinelle des milieux marins" et "un excellent indicateur de la qualité des milieux aquatiques, dans la mesure où il a besoin d'une très bonne qualité de l'eau".
"La production de juvéniles (jeunes saumons, NDLR) en eau douce s'est améliorée en Bretagne, grâce aux politiques publiques en faveur de la libre circulation et de la qualité de l'eau", confirme de son côté Etienne Prévost, également chercheur à l'Inra.
"Quand le saumon meurt, l'homme est menacé"
Mais si la production de saumons en eau douce a explosé au milieu des années 2000, pour se stabiliser ensuite, le taux de retour de la mer a, lui, chuté de 12% à moins de 3% en 2008, regrette M. Jeannot. Les causes sont mal connues, mais la pêche minotière et le changement climatique - qui entraîne une raréfaction de la nourriture - sont souvent cités.Intarissable sur ce "poisson voyageur qui fait rêver", Nicolas Jeannot juge donc l'espèce encore fragile. "Les saumons de printemps (qui reviennent de mars à mai, NDLR), graal du pêcheur, pèsent en moyenne 4 kilos : ils ont perdu 500 g de poids en dix ans", se désole-t-il. Le saumon consommé aujourd'hui en France est d'ailleurs quasi exclusivement d'élevage.
Pourtant, "tout n'est pas remplaçable par l'élevage", estime Nicolas Jeannot. "Si nous ne sommes pas capables de préserver les espèces endémiques, l'homme ne pourra pas survivre", prévient-il. "Cette biodiversité, c'est elle qui nous sauve. Quand le saumon meurt, l'homme est menacé".