Quimper : sur les chemins d'Henri Girard, peintre de la trace et de la mémoire

"Les pieds dans la glèbe, la tête dans les étoiles" c’est ainsi que procède l'artiste-plasticien quimpérois Henri Girard. Ce peintre de l'empreinte et de la mémoire, à la curiosité insatiable poursuit, tel un archéologue, son chemin de création vers l'essence des choses.
 

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Coiffé de sa casquette de marin, Henri Girard ouvre les portes de son atelier. La pluie tombe, la lumière naturelle inonde ce grand espace. Croquis, esquisses, peintures,courent sur les murs. Des carnets, des pots de pigments s’étalent sur les établis. Branches d’arbre colorées, papiers sur le sol, l'oeil se perd dans ce dédale foisonnant de création se demandant par où commencer ? Chronologiquement tout simplement. 

 Les pieds dans la glèbe, la tête dans les étoiles, c’est ma façon de procéder !


De la peinture classique à l'abstraction  


Une toile qu’Henri Girard conserve précieusement, c'est celle des goémoniers peint à l’âge de 15 ans. La pluie est "traitée audacieusement avec des traits de couteau’’ souligne t-il en souriant. Né en 1936, il peint dès 11 ans à Lesconil des scènes de vie, des toiles d’après nature, comme  le débarquement des poissons, les bigoudens qui font du picot. ’’Ces scènes-là, je les avais sous les yeux ! La maison qui donnait juste sur le port était un véritable promontoire.''  Il embarque aussi sur les bateaux pour dessiner les pêcheurs au travail, "l’essentiel était de capter le mouvement ".
 


Lesconil, un petit port breton trés prisé par les peintres classiques et d'avant-garde dans les années 50.


Ce petit port de Lesconil attire une foule d’artistes venus de Paris."Moi je regardais ça avec une admiration totale !", raconte Henri Girard. Il rencontre sur le port un personnage discret muni d'un tout petit carnet."Il prenait des notes qu’il griffonnait à la hâte à l’encre de chine ou au crayon, et plus tard je sus que ce Monsieur s’appelait Jean Bazaine !".

Figure majeure de la Nouvelle école de Paris et de la peinture d’avant-garde française du XXème siècle, Jean Bazaine lui propose d’aller visiter son atelier de Saint-Guénolé."Vous me croirez ou non, confie Henri Girard, je n’ai jamais osé aller le voir, je n’osais pas le déranger, c’était vraiment le maître à l’époque, mais je l’ai regretté toute ma vie !". Une rencontre pourtant décisive qui l’éloigne de la représentation figurative. "Jean Bazaine m’a montré que la peinture pouvait être autre chose que simplement la représentation pure et simple d’un motif ".

Les scènes de bateaux à la marée montante ne l’intéresse déjà pas vraiment. "Pour moi la vraie peinture c’était pas ça, j’ai essayé de faire autre chose pendant tout mon parcours personnel".

 La meilleure façon de faire ta propre culture, c’est d’aller courir le monde !

Au cours de ses voyages, de l’Italie au Maroc, en passant par l’Espagne, Henri Girard  forge sa propre culture :"J’ai avalé des kilomètres de peintures, lu des kilomètres de biographies, de bouquins d’art. Finalement en art ce qui compte c’est la curiosité insatiable".

Le Maroc et ses souks l'inspirent et jouent le même rôle que la Tunisie pour Paul Klee. Il se libère alors définitivement du sujet et de la perspective, son langage pictural s'épure.

 

 

 J'ai eu la chance  de voir le vrai Lascaux, c'est quelque chose qui vous prend aux tripes ! 


Henri Girard, au cours de ses voyages, se passionne aussi pour l'archéologie et les musées de la préhistoire. Tout est noté sur des carnets, dont les Leporello, ces fameux carnets accordéons. Il y retranscrit ses impressions fugitives. Une série est consacrée à des ossements observés dans les vitrines du Musée des Eysies. Ces vestiges du passé s'alignent telles des notes sur une partition musicale. ''C'était un grand opéra, les vitrines devenaient une partition géante, j'étais le chef d'orchestre de ma propre musique de chambre!''. 
 

La marelle 


Pendant 20 ans, le thème de la Marelle devient son fil conducteur, "le chemin principal, comme disait Paul Klee, dans mon travail ". Forme élémentaire qui apparaît comme un jeu d’enfant, mais la seule à relier l’espace et le temps. Découvrant cette forme totémique, notamment à Gavrinis dont la forme évoque la marelle,"comme les cathédrales d’ailleurs !" ajoute-t'il . Henri Girard l’épure progressivement "pour n’en garder que l’écorce", tel un chemin initiatique "de la terre au ciel, et de la vie à la mort". 
 

 


"Mes couleurs Lascaux !"


Henri Girard  aime explorer des techniques diverses. Il travaille toujours par série, déclinaison. "Je n’ai pas de méthode à priori, j’ai des styles. Cette espèce d’aller et retour entre différentes façons de procéder donne vie à mon travail, c’est le regardeur qui décide".

Pour sa palette, Henri Girard utilise des pigments: ocres, terres de sienne, auxquels il ajoute des liant acryliques. '' Mes couleurs Lascaux !'' s'exclame t-il .Traits, couleurs, collage, Henri Girard tel un archéologue, trace au fusain, arpente sa toile, tâtonne, déambule dans cet espace, et soudain place sans hésiter le trait décisif ou le papier déchiré. "J’essaie d’avoir une certaine liberté dans le geste’’.

Il choisit des supports variés, toiles brutes, toiles de jute. Il aime la déchirure pour former ces ''petits îlots'' qui le ramènent à l’enfance sur les plages bretonnes "Je suis un fervent des marées basses, ça découvre des univers absolument fabuleux jusqu’à la remontante. Je retrouve ça maintenant comme non plus un paysage géographique, mais comme un paysage mental."

 

Mes archéologies, le travail de la matière, c’est le travail de la mémoire 

 

 


Suite à une  rencontre avec  Jean-Paul Le Bihan, archéologue qui avait été frappé par la similitude de son travail et celui du peintre en visitant son atelier, Henri Girard se lance dans une nouvelle série ‘’Mes Archéologies’’

Jean-Paul Le Bihan lui propose, à partir de notes prises sur le terrain de Mez-Notariou, sur l’Île d’Ouessant, de donner sa propre vision de ces chantiers de fouille, de la trace laissée sur terre par l’activité humaine.  Face à ce chaos, ces sols fouillés, Henri Girard pendant deux étés, remplit d’une écriture ‘’automatique’’ ses carnets, recueille ses impressions.

'' Alertes et joyeux
Ses doigts courraient le temps
Les sédiments
intangibles et figés, les limons
Rendaient l'Ame aux vivants
sur le papier doré''


 Jean-Paul Le Bihan.
 
Habitants de l'Ile d'Ouessant, voyageurs, et tous les fidèles du peintre explorateur ont pu découvrir  le résultat de cette fructueuse collaboration entre le scientifique et l'artiste, lors du parcours Exposition, « Empreintes, mémoires d'île », (été 2016) du Musée des phares et Balises au phare du Stiff.

''Ces deux là, l'archéologue et l'artiste, ont empoigné une réalité surgie du fond des âges, qui, désormais révélée, nous saute au visage ''Jean-Paul Le Bihan et Anne Thual.

Henri Girard , marcheur infatigable, '' Homme de cueillette''  continue à remplir ses ''carnets de  déambulation'', à mener ''l'inventaire de la mémoire'', ''la traque et la remontée des signes perdus'' comme le souligne son ami poète Marc Le Gros
 

 

 

 

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