La Montagne Noire, dans le sud du département du Tarn, a été contaminée par de la radioactivité artificielle. Des analyses réalisées en 2003 ont démontré que son origine ne provenait pas de la catastrophe de Tchernobyl mais des essais nucléaires atmosphériques mondiaux réalisés entre 1945 et 1982.
"Vous saviez qu'il y avait eu une contamination par de la radioctivité artificielle là-haut ?" D'un mouvement de tête, Gérard indique les cimes de la Montagne Noire. C'est au pied de ce massif, planté au sud du département du Tarn, couvert de forêts de chênes, de hêtres, de sapins, lui donnant une silhouette sombre, que cet écologiste de la première heure a choisi de construire sa maison en bois. "De la radioactivité ? Celle de Tchernobyl ?" lui répond-t-on. "Non, celle des essais nucléaires. Celle découverte au début des années 2000", explique-t-il.
EN VIDEO / Etat de la radioactivité dans le sud du Tarn (reportage de S. Duchampt et E. Fillon) :
Un radioactivité qui ne vient pas que de Tchernobyl
Une simple recherche sur internet suffit à retrouver les traces de cette histoire. En 2003, l'organisme indépendant de recherche et d'information sur le nucléaire, la CRIIRAD (Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité) publie ses relevés effectués dans plusieurs secteurs de la Montagne Noire. L'étude révèle la présence élevée d'une contamination, allant par endroits de 6000 à 16 000 Becquerels / M2, en césium 137 mais aussi une surprise. L'absence de particules de césium 134 suggère que ces retombées ne sont pas imputables à la catastrophe de Tchernobyl et la présence d'américium 241 indique une "origine militaire". Cette radioactivité provient "probablement des retombées des essais nucléaires des années 50 et 60." La France pays le plus touché par ces retombées
En 1945 et 1980, 543 essais nucléaires athmosphériques sont réalisés par les Etats-Unis, la Russie, la Grande Bretagne, la France et la Chine. L'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire décrit le phénomène : "A chaque explosion aérienne, des particules radioactives sont libérées dans l'atmosphère à une altitude qui dépend des conditions du tir. Elles y séjournent de quelques heures à quelques mois avant de retomber au sol."75 % de ces retombées touchent l'hémisphère Nord, dans une zone située entre le 40e et le 50e degrés de latitude nord, là où se situe la France, et se fixent sur des endroits hauts avec une importante pluviosité, comme la Montagne Noire.
La crainte des habitants de la Montagne Noire
Dans le sud du Tarn, le long du massif, entre Sorèze et la vallée du Thoré, la présence de cette radioactivité provoque de l'inquiétude. " Un de mes amis y avait une maison, raconte Gérard. Sans aucune explication, tous ces voisins sont tombés malade du cancer. Il a préféré partir."" On a à faire, ici, à des doses extrêmements faibles, souligne Philippe Renaud, spécialiste de la radioactivité dans l'environnement à l'IRSN. Elles sont du niveau d'un voyage Paris-Marseille en avion puisqu'il existe aussi un rayonnement naturel qui vient du cosmos. Les expositions résultants des essais nucléaires et même de Tchernobyl sont quand même très faibles au regard de ces expositions naturelles."
Les baies, le gibier, les champignons peuvent être contaminés
Depuis 2004, l'Agence régionale de santé surveille la qualité de l'eau brute et traitée de la zone. Des analyses transmises aux municipalités "le plus souvent négatives ou se situant entre 10 et 100 % inférieures à la norme" selon l'ARS du Tarn. En revanche, aucune étude n'est aujourd'hui menée dans le Tarn concernant la contamination de la chaîne alimentaire par le césium 137 pouvant s'accumuler dans les baies, le gibier et surtout les champignons. Une surincidence de cancers de la thyroïde dans le Tarn
Simone Michelou appartient au club de randonnée de son village. Avec ses amis, cette retraitée part sillonner plusieurs fois par semaine les sentiers et les sous-bois de la Montagne Noire pour s'aérer mais, aussi, parfois, pour ramasser des champignons. L'une de ses connaissance est décédée d'un cancer de la thyroïde. Aujourd'hui, elle s'interroge : "Il était jeune. Il a eu ce problème à la thyroïde. Les médecins ont dit que c'était dû aux champignons. C'est vrai que c'était un bon ramasseur de champignons. Il y allait toutes les semaines. Ça vous donne quand même à réfléchir."L'iode 131 responsable des pathologies thyroïdiennes
Un questionnement d'autant plus tenace que le Tarn a connu une sur incidence de cas de cancers de la Thyroïde, en comparaison de la moyenne nationale, jusqu'au début des années 2000. Philippe Renaud se veut à nouveau rassurant. "Il n'y a pas de liens entre le Césium 137 et les pathologies thyroïdiennes. La cause de ces pathologies, notamment après Tchernobyl, est l'iode 131. Le public y a été exposé durant les 3 premiers mois qui ont suivi l'accident de Tchernobyl, après cela a disparu."EN VIDEO / Radioactivité et santé dans la Montagne Noire (reportage : S. Duchampt et E. Fillon) :
Un pic de contamination au milieu des années 1960
Bruno Chareyron est ingénieur en physique nucléaire. Directeur du Laboratoire de la CRIIRAD, il est l'auteur du rapport de 2003 sur la Montagne Noire et continue à douter des conséquences de la radioactivité sur la santé des français. "La question des cancers provoqués par les retombées nucléaires provoque toujours une vive polémique en France. Quoi que l'on en dise, la population a été exposée à des doses non négligeables. Tant qu'une véritable étude épidémiologique n'aura pas été menée, personne ne saura ce qui s'est passé".Le pic de contamination de la Montagne Noire par la radioactivité des essais nucléaires atmosphériques se situe au milieu des années 1960. Cette dose est proche de celle qui s'est répandue en 1986 par l'intermédiaire du nuage de Tchernobyl à travers toute la France.
Le sud du Tarn n'est sûrement pas la zone de rémanence la plus importante de France mais le rapport de la CRIIRAD de 2003 sur la Montagne Noire a permis de dévoiler une réalité jusque là ignorée du grand public. D'autres régions sont concernées par les retombées des essais nucléaires atmosphériques. L'IRSN doit publier dans les prochains jours un rapport d'étude portant sur de nouvelles analyses effectuées dans les Alpes-Maritimes, dans les Pyrénées-Atlantique et en Ariège.