Ils ont construit de leurs mains l'un des plus anciens bidonvilles roms de France. Les habitants du "Samaritain", 80 familles installées en Seine-Saint-Denis, redoutent une expulsion imminente qui ruinerait des mois voire des années d'efforts pour bâtir leur vie en France.
Le compte-à-rebours est enclenché. A partir de dimanche, les recours seront épuisés et les pelleteuses pourront juridiquement entrer en action pour raser ce bidonville dont l'érection a commencé à La Courneuve en 2008, et qui abrite, selon les associations, 300 personnes.
Ce petit village qui a poussé loin de tout dans cette commune populaire du nord de Paris, entre une bretelle d'autoroute, une voie ferrée et une entreprise de recyclage, fait figure de miraculé. Les campements et bidonville roms sont généralement expulsés au bout de quelques semaines ou de quelques mois.
"Les gens sont venus de partout, de la rue, d'autres camps. Chacun a construit sa baraque et ça a pris peu à peu la forme d'un village", se souvient Titel, l'un des premiers habitants. "On s'est bien entendus, bien organisés, et peu à peu il y a eu l'école, la santé. Et les années sont passées", résume avec émotion cet homme de 44 ans.
Titel fait aussi office de pasteur dans cette communauté, organisée autour d'une "église" de quelques dizaines de mètres carrés construite par les habitants, où rien, des rangées de sièges à l'autel fleuri, ne semble manquer. Dehors, les dizaines de cahutes, où l'on trouve souvent frigo et télévision, s'alignent autour de venelles au cordeau. Planches usagées, morceaux de bâche, vieux tapis, poutres en bois : tout ce que la région parisienne peut produire de déchets récupérables peut resservir ici.
Petit à petit, "on a amené des chaises, des tables, on a construit des cheminées", relate Joszef, qui à 17 ans et avec son français presque parfait, est devenu le porte-parole de cette communauté. Des extincteurs sont placés ça-et-là pour parer le risque de feu, hantise des habitants des bidonvilles, avec leurs chauffages et tables de cuisson précaires.
La nuit, des tours de garde sont organisés pour s'assurer de la sécurité de tous. Pour convaincre la mairie communiste, propriétaire du terrain, de renoncer à l'expulsion, Joszef a lancé une pétition qui a dépassé les 33.000 signatures sur le site Change.org
Champignons sauvages
Le peu qu'ils ont, ces roms craignent de le perdre en cas d'expulsion. "Qu'est-ce qu'on va faire avec les enfants ? Dormir dehors ?", se lamente Ionel Kovaci, 38 ans et père de cinq enfants. Rahele, 8 ans, et Daniel, 7 ans, qui écoutent leur père dans le "deux-pièces" familial : l'espace a été séparé en deux par un rideau pour isoler la cuisine.
Ils sont scolarisés, comme de nombreux enfants dans ce camp. Les associations, au premier chef desquelles Médecins du Monde (MdM), estiment avoir pu faire ici ce qui n'est pas toujours possible ailleurs, lorsque les camps sont expulsés au bout de quelques semaines. Beaucoup de familles ont un accès au médecin, et "un quart des hommes a pu avoir des contrats de travail", souligne Nathalie Godard, de MdM.
"Depuis cinq ans, je travaille au Parc des expositions, au noir. Depuis un an, enfin j'ai un contrat de travail", témoigne Julian, originaire de Timisoara, qui raconte avoir même tenté de déclarer ses revenus, mais essuyé un refus des impôts, car il n'avait pas de domiciliation.
Un projet visant à faire sortir progressivement les roms du bidonville pour les accompagner vers le logement, tout en résorbant l'énorme tas d'ordure grouillant de rats qui jouxte le bidonville, a été monté. Il serait rendu caduc par l'expulsion, craignent les associations.
Une entreprise d'importation de champignons sauvages, qui ferait travailler aussi bien des Roumains restés au pays, dans une région montagneuse, que ceux qui vivent au bidonville, devait être lancée à la rentrée. Elle est aussi menacée.
Face à la mairie qui redoute une "pérennisation" du bidonville, Titel le martèle : "c'est évident, on ne veut pas rester" vivre dans ces conditions. "Mais nous voulons en sortir petit à petit, et pas tout recommencer à zéro".