Sur environ 1.300 auteurs professionnels de BD en France, seule une cinquantaine vivrait correctement de son travail. C'est le constat dressé hier lors des Etats généraux de la bande dessinée à Angoulême.
A voir les auteurs de BD dédicacer leurs albums en souriant aux fans qui se pressent au Festival d'Angoulême, ce métier peut faire rêver. En réalité, seuls une cinquantaine d'entre eux en vivent correctement, les autres ne gagnant généralement même pas le Smic.
Un constat alarmant dressé vendredi lors des Etats généraux de la bande dessinée, organisés pour la première fois à Angoulême et qui ont réuni plusieurs centaines de professionnels.
"On compte environ 1.300 auteurs professionnels de BD en France, dont 1.100 dessinateurs", a expliqué Benoît Peeters, le scénariste de François Schuiten, qui préside les Etats généraux.
Côtisations retraite complémentaire à la hausse
"Au printemps dernier, les auteurs ont découvert un projet d'augmentation de leurs cotisations de retraite complémentaire. Or, leurs revenus ont déjà beaucoup baissé ces dernières années, car le nombre de nouveautés qui paraît chaque année a été multiplié par sept, alors que le nombre de lecteurs n'a qu'à peine augmenté. Plusieurs auteurs ont récemment jeté l'éponge.""Il s'agit d'un métier très artisanal, très minutieux et qui doit être fait à plein temps: réaliser un album prend souvent dix à douze mois. Impossible de le faire comme un à-côté. Si on travaillait dans l'abattage, la qualité artistique s'appauvrirait", explique le scénariste.
"Quelques séries connues cachent cette difficulté mais les auteurs subissent une précarité insupportable, sans régime du type des intermittents. Ils n'ont ni chômage, ni congés payés, ni congé maladie, ni même parfois de retraite", poursuit-il.
Mutation du marché
En juin 2014, les auteurs de BD avaient déjà adressé une lettre ouverte à la ministre de la Culture d'alors, Aurélie Filippetti, signée par près de 750 créateurs, pour réclamer la suspension de la réforme de leur régime de retraite.Depuis, plus d'un millier d'auteurs ont débattu sur Internet. De là est née l'idée d'instituer des Etats généraux, afin de dresser un bilan chiffré du secteur et
interpeller les pouvoirs publics. L'initiative rassemble désormais les principales fédérations professionnelles.
Ce malaise est un symptôme de la mutation du marché, qui a longtemps été porté par de florissants magazines de BD pour adultes -- comme A Suivre, L'Echos des Savanes, Métal Hurlant, Circus... -- désormais presque tous disparus, sauf Fluide Glacial. Ils offraient un tremplin aux nouveaux venus, qui pouvaient en vivre et se faire connaître avant même leur premier album.
Spécificités du métier
"Nous devons expliquer les spécificités de notre métier par rapport aux écrivains, par exemple, qui peuvent à côté être journalistes ou professeurs. Le métier d'auteur de BD bénéficie d'une aura sympathique, voire d'un énorme attachement, comme l'a révélé l'affaire Charlie Hebdo", note Benoît Peeters."Mais des solutions sont envisageables, par exemple des partenariats entre auteurs et éditeurs pour affronter ensemble les grosses sociétés qui se passent d'intermédiaires, ou l'Union européenne qui remet en cause le principe même du droit d'auteur", espère-t-il.
Sur un album à 15 euros, un auteur débutant touche généralement 8%, des vedettes connues jusqu'à 12 ou 13%. Mais la plupart des albums ne se vendent qu'à quelques milliers d'exemplaires, sur un marché qui chaque année propose 2000 nouveautés et presque autant de traductions de mangas ou de comics, sans oublier les rééditions.
Denis Bajram, représentant du Snac-BD (Syndicat national des auteurs et des compositeurs, section BD), déplore lui aussi "les sous-smicards de plus en plus nombreux" dans la profession. Or, la bande dessinée irrigue la créativité française et son affaiblissement menace aussi l'animation ou le jeu vidéo à la française, souligne-t-il.
Pour dénoncer cette paupérisation croissante, le Snac-BD organise samedi après-midi à Angoulême une "marche des auteurs" (voir ci-dessous), l'occasion de lancer un message à la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, qui se rend dimanche à Angoulême pour le palmarès du 42e festival.
(AFP)
La manif' des auteurs
Les auteurs de bande dessinée ont prévu de défiler samedi à partir de 14h30, au départ de la bulle du Champ-de-Mars. Le défilé passera devant l'espace Franklin et place des Halles pour se terminer devant la mairie d'Angoulême vers 15h30.Certains éditeurs fermeront leurs stands. Les séances de dédicaces devraient donc être perturbées.