La Grand'Rue de Poitiers perdra ce samedi son plus vieux commerce. La ciergerie artisanale Guédon, fondée en 1735 est l'une des dernières de France.
C'est au numéro 113 de la plus vieille rue de la ville, entre la cathédrale Saint-Pierre et Notre-Dame-la-Grande, que la ciergerie Guédon est née voici 280 ans. Aujourd'hui encore, un grand porche en pierre de taille vante les encaustiques "L'Amirale" tandis que deux vitrines à l'ancienne proposent, en lettres blanches sur fond rouge, des cierges et des bougies. Plus pour très longtemps. Samedi 30 janvier, la ciergerie tirera définitivement le rideau.Un siècle d'histoire familiale
"J'ai pas envie d'en parler parce que je me mets à râler", prévient François Guédon, très amer à l'idée de clore un siècle d'histoire familiale. C'est son grand-père, Joseph Favreau, qui avait racheté en 1919 cette ciergerie fondée en 1735, où il a mis au point le manège pour le façonnage des bougies par trempage. Le gendre de Joseph Favreau, François Guédon, reprendra l'affaire à son nom en 1948 et la cédera à son fils, également prénommé François, en 1979.A l'époque, la production se partage entre les cierges religieux, les bougies profanes, l'encaustique et la cire en poudre "Valse d'or" destinée aux parquets des salles de danse. Des produits vendus sur place aux particuliers ou expédiés dans les paroisses de la région Poitou-Charentes ou dans le département d'Indre-et-Loire voisin. Mais avec le recul de la pratique religieuse et la concurrence des grands opérateurs, l'activité s'essouffle.
Tout à la main
"Quand j'ai commencé, nous produisions 35 tonnes de cierges et de bougies à l'année. Au fil des ans nous sommes tombés à moins de 20 tonnes. Le manège qui servait à fabriquer les cierges a tourné pour la dernière fois en mai 2014, désormais on liquide le stock", raconte François Guédon, qui a dû se résoudre à licencier trois employés.A chaque tournée, le grand cylindre métallique où pendaient huit cadres rectangulaires sur lesquels étaient disposées les mèches de coton descendait dans une cuve de paraffine liquide. A force de trempages répétés, les huit cadres, descendus manuellement à tour de rôle à l'aide d'une manivelle, donnaient naissance à près d'un millier de cierges.
"Tout s'est toujours fait manuellement chez nous", souligne François Guédon, qui inscrivait lui-même à la peinture d'or le nom des futurs baptisés dans son atelier figé par le temps. C'est à la main encore que la base des cierges de dévotion était percée, à la main toujours que la cire d'abeille était coulée sur les gros cierges destinés aux cérémonies de Pâques.
Tracasseries et contraintes
Mais, en 2016, la ciergerie artisanale semble anachronique, dépassée par les contraintes financières et administratives d'une économie mondialisée. "Ce n'est plus possible de tenir quand on voit que certains vendent le produit fini moins cher que j'achète la matière première", assure François Guédon. "Il reste encore, je crois, trois petites ciergeries artisanales en France. Pour combien de temps?", se désole-t-il.Et de pester aussi contre les tracasseries administratives: "Il fallait l'accès handicapé, il y avait le terminal pour la carte bancaire, les histoires de sécurité avec la cire que nous stockons et qui est fondue sur place...". A 64 ans, il aura tenu jusqu'à la retraite de sa femme, Evelyne, qui travaillait à ses côtés. Toujours sous l'oeil attentif de sa mère, Denise Guédon, qui s'est longtemps occupée de la comptabilité. A 101 ans, elle continue à vivre sur place, juste à coté de l'atelier, dans cette rue où elle est née.
Pour aller plus loin : un reportage photo complet des services de l'inventaire de la région.