Tetra Médical : exposés à un gaz toxique, une centaine d'ex-salariés aux prud'hommes pour "préjudice d'anxiété"

Les dossiers de plus d'une centaine d'anciens salariés du laboratoire ardéchois liquidé en 2022 passaient devant le conseil des prud'hommes ce mardi 21 novembre. Ils accusent leur ancien employeur de les avoir exposés pendant des années à un gaz toxique et cancérigène, l'oxyde d'éthylène. Le préjudice d'anxiété sera-t-il reconnu ? Réponse le 28 mai 2024.

Les ex-salariés de l'ancien laboratoire Tetra Médical d'Annonay poursuivent leur ancien employeur devant la justice après avoir été exposés durant des années à un produit toxique : l'oxyde d'éthylène. Une audience pour préjudice d'anxiété s'est tenue ce mardi 21 novembre pour 103 plaignants.

L'audience a débuté ce mardi en début d'après-midi dans une salle devenue trop petite. Le conseil des prud’hommes a dû s’installer dans la plus grande salle du tribunal de proximité qui ne peut malgré tout accueillir que 70 personnes. Les liquidateurs judiciaires ont demandé le renvoi, mais finalement l'affaire a été étudiée.

Délais de prescription

Les débats devant les prud'hommes portent notamment sur les délais de prescription, qui sont de deux ans en matière de "préjudice d'anxiété". Les salariés ont donc deux ans pour agir. Selon les liquidateurs judiciaires, les dossiers de nombreux salariés tombent sous le coup de la prescription. L'argument avancé : l'exposition à l'oxyde d'éthylène était connue dès 2019 via une information aux salariés par le CHSCT. Or la saisine des prud'hommes est intervenue en mars 2023. 

Pour Me François Lafforgue, l'avocat des anciens salariés Tetra Médical, "le délai de prescription commence lorsque chaque salarié dispose d'une information précise et personnelle des risques". L'avocat considère que "c'est seulement après l'entretien avec le médecin du travail pour obtenir son attestation d'exposition que chacun était en connaissance du risque toxique de ce gaz CMR et de la nécessité d'un suivi post-professionnel", donc en "novembre 2022" selon Me François Lafforgue. La demande des salariés est donc "légitime" selon leur conseil.

Exposition à l'oxyde d'éthylène

De quelle manière les salariés ont-ils été exposés à cette substance nocive ? "Les cartons étaient stockés en plein milieu des couloirs pour désorption après la stérilisation à l'oxyde d'éthylène", c'est ce qu'indique Me Lafforgue à l'audience. Des cartons imbibés d'oxyde d'éthylène qui patientaient dans les couloirs et non dans un local étanche approprié.
"Tous les salariés passaient tous les jours devant ces cartons qui dégorgeaient d'oxyde d'éthylène pendant plusieurs jours avant d'être envoyés aux clients", selon l'avocat des anciens salariés de Tetra Médical. À l'audience, Me Lafforgue évoque "des salariés qui devaient se faufiler entre les cartons pour rejoindre les ateliers ou même aller aux toilettes". 

"Épée de Damoclès"

"En 2019, la médecine du travail avait réalisé une inspection sur le site ardéchois de Tetra Médical. La présence d’oxyde d'éthylène a été détectée sur les habits de travail, sur les gants, sur les blouses. De 3 à 7 ppm pour ces vêtements emportés par les salariés à leur domicile avant l’existence d’un service de nettoyage en 2022", a relaté Me Lafforgue. Pour l'oxyde d'éthylène, la limite d'exposition admissible est de 1 ppm (NB : unité de mesure servant à calculer le taux de pollution dans l'air) sur huit heures.

Me Lafforgue a également évoqué à l'audience les prises de sang effectuées en février 2022 sur des salariés. Les analyses sanguines avaient été commandées par les services de santé au travail, deux semaines avant la fermeture de l'entreprise. Elles avaient révélé d'importants taux de contamination à l’oxyde éthylène dans le sang des salariés testés. "Des résultats qui glacent le sang (...) Entre cinq et 30 fois la norme autorisée", selon ce dernier. Le taux de contamination à l'oxyde d'éthylène le plus bas est de 275 pmol/gG, le plus haut de 1815 pmol/gG. Or le seuil à ne pas dépasser est de 60 pmol/gG, selon le laboratoire qui a réalisé les tests. 

Et l'avocat revient sur la longue liste des problèmes de santé causés par le produit toxique :  cancers du sein, leucémies, maladies hématologiques, cataractes... "Des pathologies qui peuvent être directement imputées à l’oxyde d’éthylène", selon lui. Les anciens salariés de Tetra Médical vivent aujourd’hui dans la crainte de développer dans le futur des pathologies lourdes, selon l'avocat qui invoque un préjudice d'anxiété réel. Ses clients vivent avec une "épée de Damoclès" au-dessus de la tête. Pour preuve, selon l'avocat, les déclarations de maladies professionnelles en cours ou déjà validées.

"Vous tirez sur un corbillard !"

Les avocats du liquidateur judiciaire mettent en avant un élément : "le liquidateur judiciaire est intervenu à la fin de la procédure de redressement judiciaire lors de la liquidation". "C’est tout le drame de ce dossier. Vous avez devant vous des gens qui n’étaient pas là à l’époque", appuie Me Ingrid Barbe, représentante du liquidateur judiciaire.

"Ce qui m’étonne dans ce dossier, c’est que personne avant 2023 n’a parlé, personne n’a dit qu’il y avait un problème avec l’oxyde d’éthylène. Vous parlez de lanceurs d’alerte sur des crimes industriels, mais c’est trop tard. Vous tirez sur un corbillard, la société est morte" assène Me Barbe.

Scandale sanitaire

L'oxyde d'éthylène était utilisé par Tetra Médical dans son usine d'Annonay pour la stérilisation de matériel médical, compresses et kits chirurgicaux à usage unique. Ce gaz incolore est classé " cancérogène, mutagène et reprotoxique" par les agences sanitaires françaises et européennes.

Simplement vêtus d'une blouse, les salariés exposés au processus de stérilisation n'auraient eu ni masque, ni gant. Et ils n'auraient pas été avertis non plus de la dangerosité de ce gaz. Surnommés les "Bébés Tetra", des enfants de ces salariés seraient également les victimes collatérales d'une exposition de leurs parents à l'oxyde d'éthylène. Au moment de leur conception et de leur naissance, leurs parents travaillaient dans ce laboratoire d'Annonay. 

L'exposition quotidienne des salariés à cette substance toxique a duré jusqu'à la liquidation et à la fermeture en 2022. À l'époque, 160 personnes travaillaient encore sur le site ardéchois. Les anciens salariés dénoncent aujourd'hui une intoxication massive.

Depuis près d'un an, près d'une centaine de témoignages d'anciens salariés recueillis par l'union locale de la CGT font état de graves maladies. De nombreux cas de cancers, certains mortels, mais aussi des malformations congénitales chez les enfants d'ex-salariés de Tetra, ont été répertoriés.

Information judiciaire

Après l'ouverture en mars d'une enquête préliminaire par le parquet de Privas pour "mise en danger de la vie d'autrui",  le pôle santé publique du parquet de Marseille s'est saisi du dossier.
Mi-octobre, une information judiciaire a été ouverte, notamment pour "mise en danger d'autrui". Elle porte également sur des faits de "blessures involontaires", sur le "risque d'exposition" à des agents chimiques cancérogènes ou toxiques, "sans évaluation des risques conforme" ou encore de "pratique commerciale trompeuse".

Concernant le préjudice d'anxiété sur lequel les prud'hommes doivent se prononcer, ce sont les dossiers d'environ 150 ex-salariés de Tétra Médical qui doivent être examinés avant la fin de l'année. Une autre audience doit en effet se dérouler le 12 décembre pour plusieurs autres dizaines de personnes. 

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