Dans la famille Gilibert, on est agriculteur de père en fils depuis cinq générations. Entre transmission, difficultés et crises, ils témoignent de leur vie agricole.
La ferme de la famille Gilibert est installée à Montmiral, dans le Vercors drômois. Aujourd'hui Pascal élève 160 chèvres. L'exploitant avait repris la ferme vivrière de son père, mais a changé de voie voilà 20 ans. Il a décidé de rompre avec 36 ans de production de vaches laitières, une nécessité quand sa femme Isabelle a décidé de travailler avec lui. Une question de survie de l'exploitation aussi.
De la vache à la chèvre
Si l'exploitation a aussi évolué et abandonné l'élevage de vaches laitières, c'est parce que la ferme était "trop petite", explique Pascal Gilibert. Impossible de dégager un salaire pour le couple avec une trentaine de vaches laitières. L'élevage de chèvres était aussi plus adapté à la petite ferme et à la géographie.
"Ça devenait compliqué, les normes arrivaient. C'était difficile pour un troupeau de vaches. Les chèvres, c'était plus simple à l'époque. Alors, on a décidé de faire du lait de chèvre pendant cinq ans". L'exploitant s'est résolu à vendre son troupeau de prim’Holstein, la mort dans l'âme. "Pour survivre, c'était ça ou arrêter". À cette époque, le lait de chèvre était mieux valorisé.
Si l'éleveur ne regrette pas aujourd'hui d'avoir transformé sa ferme, les motifs de mécontentement et de découragement ne manquent guère. "Il faut toujours se remettre en question, changer notre façon de faire... Les évolutions vont trop vite pour nous, ces nouvelles réglementations, ces papiers, cette dématérialisation", déplore-t-il. Et l'agriculteur ne cache pas son amertume face aux contrôles incessants et au sentiment de "flicage".
Pour mieux résister à plusieurs crises laitières, le couple avait choisi d'investir dans un atelier de transformation du lait de chèvre. La vente du cheptel de vaches leur a permis de construire leur fromagerie. Pour permettre à leur fils Benoît de s'installer, c'est un bâtiment pour les chevrettes qui a été construit.
Indépendance ?
"Travailler sur la ferme, c'était une évidence, on était content de travailler ensemble", explique-t-elle. Isabelle, ex-laborantine, se sent vite à l'aise dans ce nouveau métier. Elle fabrique des fromages fermiers, vendus en direct aux particuliers. "En 2006, en 2010, à cette époque, ça valait le coup de faire du fromage, j'avais une bonne clientèle. Mais en 2012, il y a eu la crise du lait. Il y avait un stock de lait énorme en France, la laiterie nous a mis dehors", explique-t-elle.
La ferme doit alors valoriser l'intégralité de sa production de lait de chèvres. Elle se tourne vers la fabrication des fromages. L'objectif était aussi d'être moins dépendant des intermédiaires et coopératives laitières. Mais cette indépendance a un coût humain. "On n'a pas d'intermédiaires, on gère nos produits. C'est beaucoup de préparation, de fabrication, d'emballage, de commercialisation. On fait plusieurs métiers en un. Mais ça devient de moins en moins rentable. Nos journées sont à rallonge", explique Isabelle Gilibert. À la fromagerie, le couple s'est résolu à embaucher une salariée pour ne pas y perdre la santé.
"Quand on a commencé la fromagerie, vendre du lait n'était pas rentable. Avec la transformation, on avait une plus-value. Ça nous permettait d'avoir un salaire", explique-t-elle. Ce gain d'argent permettait aussi à ces exploitants de se projeter. Mais la donne a changé. Aujourd'hui, la ferme peine à dégager quatre salaires.
"Voir à long terme en ce moment, c'est assez compliqué. On vit plus à court terme. Pas au jour le jour, mais de saison en saison. On ne sait pas de quoi demain sera fait". Les exploitants ont été contraints de trouver des solutions, de s'adapter une fois encore pour maintenir leur exploitation. "Depuis deux ans, on n'arrive plus à vendre nos fromages. On redonne à la laiterie du lait. On gagne moins, mais on n'a pas le choix", déplore Pascal Gilibert. Le magasin de producteurs que le couple a ouvert avec une quinzaine d'autres agriculteurs leur donne de l'espoir. Mais les difficultés sont bien réelles.
Difficultés du monde paysan
Changer une nouvelle fois de direction et de production ? Inenvisageable pour Pascal Gilibert. "On a mis de l'argent dans une fromagerie, dans un bâtiment de chevrettes. On ne peut pas faire une boîte de nuit là-dedans ! On ne peut pas tout casser ! On est parti dans une filière, on est bien obligé de continuer. On ne peut pas changer de production comme ça", explique avec agacement l'agriculteur.
On a une ferme familiale. Cette notre terre. C'est notre fibre. On ne peut pas la laisser comme ça. On a un sacré métier, il faut toujours se remettre en question, mais on l'aime. C'est notre vie. L'avenir, je ne sais pas ...
Pascal GilibertAgriculteur
L'exploitant qui a aussi investi dans la plantation de noyers, l'assure : "pour un noyer, il faut 15 ans pour avoir des noix. On a mis en place de l'irrigation. On ne peut pas tout arracher du jour au lendemain pour faire des abricotiers ou de la poire. Non, ce n'est pas possible". Pour la production de noix, l'agriculteur déplore aussi la concurrence étrangère. À la mévente de leurs noix s'ajoutent les aléas climatiques.
Transmission, vocation et sacrifices
Hausse des coûts de l'énergie et des aliments du cheptel, forêt de normes administratives, complexité des démarches. Autant de difficultés qui rendent l'avenir incertain. Pourtant, Benoît, le fils du couple, a aussi décidé de s'installer sur l'exploitation. Une nouvelle génération qui va prendre le relais d'une exploitation "à taille humaine". Le jeune homme a bien conscience que le monde change, que la pression sur le monde paysan, celui des petites fermes familiales, s'accentue. "Le métier a évolué en quelques générations. On n'a aucune vision à long terme. On ne peut pas anticiper", explique-t-il. "C'est un métier passionnant, mais la rémunération est en dents de scie (...) On voudrait de l'équité pour pouvoir gagner notre vie".
La ferme a vu défiler cinq générations. "On ne voulait pas que notre fils reste à la ferme. Mais il revenait. C'était sa vocation", se souvient Régis Gilibert. "On ne voulait pas que nos enfants fassent ce métier, c'est trop dur. On avait tellement pâti. Jamais de salaire, rien dans les poches. C'était précaire". Impossible malgré tout d'imaginer un point final pour sa ferme.
"On ne peut pas arrêter, on a ça dans la peau, l'agriculture ! Pour moi, c'était une religion. Une vocation. Je voulais avoir des vaches, les plus belles possibles. On a réalisé tout ça tout de même. On a gagné des concours plusieurs fois," assure Régis Gilibert.
"Aujourd'hui, je suis fier, mais il y a tout de même des difficultés. La conjoncture n'est pas bonne (...) Après la pluie viendra le beau temps, peut-être", conclut le retraité. Le bon sens paysan.