À 24 ans, Alicia Bonnot va devenir propriétaire de la ferme familiale, à Francheville (Jura) le 1ᵉʳ janvier 2025. Un moment qu'elle attend avec impatience depuis son enfance, elle qui a su se faire une place dans un milieu très masculin. Elle raconte.
Dans quelques semaines, le moment qu'elle attend depuis des années va enfin arriver. Dans quelques semaines, c'est un rêve de gosse qui va se concrétiser. Depuis son enfance, Alicia Bonnot a toujours voulu "prendre la place de papa", comme elle le répète souvent.
Rien de péjoratif là-dedans, rassurez-vous. Mais quand on grandit au côté d'un père agriculteur, on a de grandes chances de tomber amoureux du métier. Et de vouloir prendre la suite.
Pour Alicia, ça n'a pas manqué. Après avoir aidé, "passé ces soirées, week-end et vacances" auprès des bêtes, elle deviendra officiellement propriétaire de l'exploitation familiale, à Francheville (Jura), forte de ses 200 vaches laitières et de ses 300 ha de céréales.
"Toujours dans les pattes de papa"
"Je dois avouer que ça m'a fait bizarre" avoue Alicia Bonnot, aujourd'hui âgée de 24 ans. "Au départ, quand ce projet de reprise est devenu concret, j'ai eu pas mal de stress. Mais maintenant que ça approche, j'ai plutôt hâte de tout finaliser". Les responsabilités ne font pas peur à la jeune maman. Pour elle, cette transmission de la ferme est presque naturelle.
Je ne me suis jamais posé la question : qu'est-ce-que je veux faire plus tard. C'était agricultrice depuis l'enfance. Aussi loin que je me souvienne, j'étais toujours dans les pattes de papa, à le suivre partout. J'adorais les animaux.
Alicia Bonnot,agricultrice
Quand elle se replonge dans ses souvenirs, Alicia se souvient de ses sorties d'école, où elle allait chausser les bottes. De ses nuits, où elle se levait pour accompagner son père aider les bêtes lors des vêlages. Tout en prenant des notes.
Puis, en grandissant, de son adolescence un peu particulière. "J'ai fait la fête, je suis sortie, j'avais des amis, comme tout le monde" précise-t-elle. "Sauf que moi, le samedi soir, je ramenais les copines de soirée, j'enfilais ma cotte et j'allais à la traite".
"Je suis tout le temps au travail"
Un quotidien rythmé par les travaux de la ferme, prenant en temps et en énergie, mais qui n'a jamais découragé la jeune femme. "C'est sûr qu'on bosse beaucoup, plus que la moyenne" admet-elle. "Je suis tout le temps au travail, mais pour moi, ce n'est pas un travail. Ça peut paraître bateau, mais c'est une passion. C'est pour cela que je ne compte pas mes heures".
Il faut dire qu'Alicia a de l'expérience. Elle a suivi une trajectoire que beaucoup diraient "toute tracée" : après un brevet des collèges classique, Alicia part pour un BAC pro CGEA (Conduite et Gestion de l'Entreprise Agricole), qu'elle effectue en apprentissage chez elle, à Francheville. Une fois ce diplôme obtenu, elle intègre l'exploitation familiale en tant que salariée. Avant, le 1ᵉʳ janvier 2025, de franchir une nouvelle étape.
Devenir propriétaire, ce n'est pas un saut dans l'inconnu. J'ai mon papa qui sera là pour faire la transition. Et puis je vais m'associer avec mon oncle. Ça a rassuré les banques, car reprendre une grosse exploitation, c'est assez compliqué.
Alicia Bonnot
Alicia aborde ici une thématique délicate : la reprise des exploitations agricoles. Autour d'elle, de plus en plus de fermes ne trouvent pas de repreneurs. "On va dire que moi, j'ai le scénario rêvé" explique l'agricultrice. "Je ne paye pas de loyer et je n'avais pas de prêt, car j'habite à la ferme. Mon père me fait don d'une partie du prix, donc je n'emprunte qu'une somme raisonnable pour racheter le reste des parts. Dans beaucoup d'autres cas, ce n'est pas le cas et j'ai des amis qui se font refuser des propositions de reprise".
Maman célibataire et fermière
Alicia Bonnot a aussi dû apprendre à gérer un côté moins glamour : l'administratif. "On ne se rend pas compte de l'extérieur, mais on a des courriers et mails qui arrivent tous les jours" détaille-t-elle. "Des factures, des rendez-vous... Sans une bonne organisation, ça peut prendre beaucoup de temps. Mais je m'occupais déjà de cette partie "paperasse" depuis plusieurs années, donc j'ai l'habitude".
Une organisation aux petits oignons. Auquel il faut ajouter depuis cinq ans une petite fille, Joy. "J'ai été maman très tôt" confie-t-elle. "Ça fait prendre en maturité. Son papa et moi, nous ne sommes plus ensemble, donc il a fallu gérer cela en plus". N'a-t-elle pas peur de ne pas trouver du temps pour ses proches ?
Même si je fais du 5h30-22h l'été et du 5h30-19h l'hiver, ma fille reste la priorité. J'arrive à prendre du temps pour elle, je vais la chercher à la sortie de l'école. Mais c'est sûr qu'elle m'accompagne beaucoup à la ferme. Et elle aime ça !
Alicia Bonnot
Maman célibataire et propriétaire de ferme, une double casquette "tout à fait possible" pour Alicia. "Jusqu'à maintenant j'y arrive très bien, et j'espère que ça va continuer" renchérit-elle. "C'est sûr que je n'en vois pas beaucoup autour de moi. Mais l'agriculture est un milieu très masculin, dans lequel il faut savoir s'imposer. Et avoir du caractère".
Dans un milieu masculin, "il a fallu s'imposer"
La jeune femme se souvient ainsi "de tous ces regards, quand elle conduisait le tracteur sur les routes", de ces épisodes où "des marchands venaient à la ferme pour nous acheter des bêtes. Ils se disaient "c'est une bonne femme, elle n'y connaît rien" et essayait de m'avoir".
Elle l'admet, "il a fallu s'imposer". "Quand tu es une femme, tu dois prouver deux fois plus" continue Alicia. "C'est triste, mais c'est une réalité. C'est justement en continuant que les choses changeront, pour donner envie aux filles de devenir agricultrice".
La féminisation du métier, c'est pour cela qu'Alicia Bonnot a décidé de concourir pour Miss France Agricole. "J'ai trouvé cela important" estime-t-elle. "Il faut aussi montrer qu'on peut être féminine tout en travaillant dans une ferme, et casser les clichés".
Forte de ses convictions, de son expérience, "et d'un très bon entourage", Alicia Bonnot s'avance donc vers le plus grand défi de sa jeune carrière, à un moment où la profession crie sa colère. "Le mouvement agricole, je le suis de loin, car j'ai du boulot à la ferme" dit-elle. "Mais je suis d'accord sur toute la ligne".
On ne peut pas être en concurrence avec de la viande importée de moindre qualité mais à bas prix. Pareil avec les céréales. Et puis il y a une telle dépendance aux aides. Ce n'est pas normal.
Alicia Bonnot
Malgré ses difficultés, malgré la météo "catastrophe" de l'année écoulée "qui a fait perdre beaucoup d'argent", Alicia s'apprête à vivre son rêve et "fera tout pour s'en sortir". Sans regret, mais avec ambition. Dont la plus belle, et la plus intime aussi, serait "de rendre fière" sa petite Joy, pour qu'un jour, peut-être, "elle ait envie de prendre la suite" de sa maman.