ENTRETIEN. Nicolas Sarkozy : "Tourner le dos aux Glières, ce serait piétiner notre histoire"

Le 26 mars 2024, la France commémorera les 80 ans de la fin du maquis des Glières, où près de 150 Résistants ont perdu la vie en 1944. Dans un entretien exclusif accordé à France 3 Alpes, l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy revient sur son attachement à ce haut lieu de la Résistance situé en Haute-Savoie.

Il est considéré comme l’un des hauts lieux de la Résistance en France. En Haute-Savoie, le plateau des Glières a vu s’unir, pendant des mois, des centaines de personnes luttant contre l’occupant allemand et le régime de Vichy lors de la Seconde Guerre mondiale. Parmi les maquisards, des militaires démobilisés du 27e Bataillon de chasseurs alpins, des réfractaires au service du travail obligatoire, des Républicains espagnols, mais aussi des hommes de tous horizons.

C’est le lieutenant Tom Morel qui a constitué ce maquis des Glières le 31 janvier 1944. Pendant trois mois, en plein hiver et à 1 500 mètres d’altitude, sur le massif des Bornes, près d’Annecy, 465 maquisards s'y étaient regroupés pour recevoir des parachutages d'armes des alliés. Mais le 26 mars 1944, le maquis tombe, suite à une attaque massive de l’armée allemande et de la milice de Vichy. Les maquisards reçoivent l'ordre de "décrocher" du plateau. Cependant, 129 maquisards et 20 Résistants ne peuvent échapper à l'encerclement : 124 sont tués lors du combat ou fusillés, 9 disparaissent et 16 mourront en déportation. Dès lors, la bataille des Glières devient, grâce à Radio Londres, le symbole de la Résistance française.

Entretien exclusif de l'ancien président de la République

Nicolas Sarkozy avait effectué sa première visite en Haute-Savoie en 2007, alors candidat à la présidentielle. Puis, il y est revenu chaque année jusqu’en mai 2011, se disant "bouleversé" par ce lieu. Dans ce reportage diffusé sur France 2 le 18 mars 2008, l’ancien président de la République rend hommage à la Résistance sur le plateau des Glières.

À l’occasion d'une émission spéciale, "Dimanche en politique", diffusée le 24 mars sur France 3 Alpes, Nicolas Sarkozy a accepté de répondre aux questions de Jordan Guéant lors d’un entretien exclusif.

"Il y a cinq ans, en 2019, lors du 75e anniversaire des Glières, vous vous étiez rendu sur place avec Emmanuel Macron et vous aviez déclaré : "J’aime être ici". Pourquoi aimez-vous ce lieu ?

Nicolas Sarkozy : Ce qui est important dans la vie, ce n’est pas pourquoi on aime mais le fait d’aimer. La vérité, c’est que j’ai eu une sorte de coup de foudre au mois de mai 2007, très peu de jours avant le premier tour de la présidentielle. Il y avait un soleil magnifique, c’était une journée exceptionnelle. Je marchais sur le plateau des Glières et je me suis dit : "Je crois que je n’ai jamais rien vu d’aussi beau". C’était ma première visite et je me suis juré qu’à chaque mois de mai de mon quinquennat, je viendrais aux Glières parce que la rencontre entre la beauté du paysage et la dramatique histoire de ce lieu, fait que c’est un endroit inoubliable, irremplaçable, inégalable.

Dans quel état d’esprit étiez-vous lorsque vous avez découvert ce lieu, à quelques jours de l’élection présidentielle ?

Nicolas Sarkozy : Le lieu donne de la profondeur et de la sérénité. C’est assez curieux parce qu’il s’est passé plein de choses, il y a eu tant de sang versé, le sacrifice des maquisards a été tellement exceptionnel. Ce lieu est un condensé des drames et des gloires françaises, de la lumière française et de l’obscurité française. Il y a peu de lieux où se jouent à la fois le côté positif et le côté négatif qui se rencontrent très exactement aux Glières.

C’est un résumé de l’histoire de France. Il y a le meilleur des Français, mais aussi le pire. Les lieux ont une âme, une mémoire, ce n’est pas anecdotique et je le ressens. C’est un endroit sublime mais lourd. C’est un lieu où l’on parle à voix basse, un lieu propice à la réflexion, à la perspective et en même temps à la sérénité. C’est ce contraste qui me fait dire que le plateau des Glières est un résumé de la France. C’est l’identité de la France.

Cette identité de la France était alors caractérisée par plusieurs éléments : des militaires du 27e bataillon des chasseurs alpins, parmi lesquels Tom Morel, héros de la Haute-Savoie, des réfractaires au STO (le service du travail obligatoire), des communistes et même des républicains espagnols. Est-ce ça pour vous, ce condensé de la France, cette union au nom de valeurs plus grandes que les personnes ?

Nicolas Sarkozy : C’est un miracle. Pourquoi tous ces gens si différents se sont rassemblés sur ces hauteurs, sur ce plateau ? Ils savaient que la mort était au rendez-vous puisque les deux tiers d’entre eux vont mourir (149 maquisards, ndlr), que le combat était tellement inégal que, de toute manière, c’était perdu et que les possibilités de fuite étaient très faibles. Beaucoup d’entre eux sont morts, arrêtés puis torturés ou exécutés sur place. Et pourtant, ils sont venus vers le destin, vers la gloire, vers la mort, vers le partage, vers la solidarité. Ils sont venus sauver la France.

À ce moment-là, je portais un mot que j’étais à peu près le seul à utiliser, car il écorchait la bouche d’un grand nombre de personnes ; les Glières sont un résumé de l’"identité" française. Il faut respecter les Glières.

Vous parlez d’"identité" française, celle de la diversité, de la transcendance et de la liberté, c’est ça pour vous ?

Nicolas Sarkozy : Il n’y a pas d’identité sans diversité. Si vous refusez l’identité, cela veut dire que vous détestez la diversité. Que peut-on partager si on ne met pas son identité dans le pot commun ? Le partage, l’ouverture, l’accueil, le rassemblement sont consubstantiels à la défense d’une identité. Si vous ne mettez pas la défense de l’identité en avant, que veut dire la diversité ? Il n’y a plus qu’une langue, une culture, une population, rien. Identité et diversité vont donc ensemble. J’ai eu la chance de rencontrer le fils et le petit-fils de Tom Morel. Les combattants, les héros des Glières étaient de tous les horizons politiques et même nationaux.

C’est cette richesse qui donne aujourd’hui encore un écho particulier au maquis des Glières et qui rend nécessaire la célébration de l’esprit des Glières ?

Nicolas Sarkozy : Oui. Pour moi, l’esprit des Glières représente deux choses qui me paraissent tellement cruciales dans l’époque que nous vivons : le courage et l’énergie.

On en manque souvent ?

Nicolas Sarkozy : Oui. Aux Glières, ils n’en ont pas manqué. Ils ont tenu tout l’hiver dans ce lieu et il faut une énergie indomptable, dans une nature magnifique mais profondément hostile. L’énergie et le courage définissent Tom Morel.

En 2008, vous aviez signé une préface dans un livre consacré à Tom Morel. Qu’est-ce qu’il représente pour vous aujourd’hui ?

Nicolas Sarkozy : Le héros français. Pour moi, il est éternel. Il s’inscrit dans la lignée de ces Français ou de ces Françaises qui se lèvent pour dire non, qui endossent un idéal, qui changent le destin de la France. Il est le représentant exact des héros français. Il va mourir, exécuté. C’est un chef qui est devant ses troupes. Il est indomptable, prend tous les risques, ayant un idéal chevillé au cœur et à l’âme, profondément Français, profondément loyal. C’est beau, c’est la France qu’on aime.

En 2019, lorsque vous étiez venu pour le 75e anniversaire de ce maquis des Glières, vous aviez expliqué que les occasions de rassembler le pays étaient devenues rares. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Nicolas Sarkozy : J’ai toujours pensé que ces commémorations étaient indispensables et on m’a souvent attaqué en disant que je faisais du symbole. Mais qu’est-ce qu’il y a de plus beau que le symbole ? Qu’est-ce qu’une nation si ce n’est un lien symbolique ? Pourquoi le sport a-t-il tant d’importance dans ma vie ? Parce que ce sont des occasions de rencontres et de rassemblements qui ne sont pas théoriques. C’est-à-dire qu’au même moment, des gens sans doute très différents et en désaccord croient en la même chose, vibrent aux mêmes émotions et expriment les mêmes sentiments. C’est ça, le rassemblement.

Quand on va aux Glières, on ne peut que s’incliner sur le souvenir des maquisards et les remercier pour ce qu’ils ont fait. Et en même temps et c’est ce qui me passionne dans ce lieu, en haut il y a les héros, et en bas, pardonnez-moi l’expression, il y a les salauds. Et ces derniers sont Français. Car si la Wehrmacht vient, elle vient pour finir le travail que les miliciens n’ont pas pu finir.

J’aime l’idée que, dans un moment et dans un lieu, il y ait la contradiction absolue des destins, des idées et des sentiments. Aimer la France, c’est l’aimer dans sa complexité et les Glières sont complexes. Ce n’est pas simplement un lieu de sanctuaire où sont tombés des héros mais c’est aussi un lieu qui dit beaucoup sur une partie de la France, sur la dramaturgie de son histoire, sur ses contradictions, sur nos jours glorieux et sur nos jours sombres. Il existe peu d’endroits comme ça.

Cette année, l’actuel président de la République, Emmanuel Macron, se rendra à Vassieux-en-Vercors, en Isère, le 16 avril, une date extrêmement symbolique. 16 avril 1944, les miliciens attaquaient Vassieux-en-Vercors. On ne peut s’empêcher d’y voir, là aussi, un message très symbolique et peut-être aussi également très politique, non ?

Nicolas Sarkozy : Si vous y voyez de la politique, c’est que vous avez un regard acéré et personne ne pourra vous le reprocher. Il y a peu de lieux qui expriment un résumé de notre histoire. Quand vous dites "Vercors", vous dites "Résistance". C’est la même signification.

Et pourtant, vous êtes le dernier chef de l’Etat à être allé commémorer cette Résistance…

Cela m’a toujours passionné et je me suis toujours demandé, comme le dit la chanson de Jean-Jacques Goldman, "si j’étais né, aurais-je été du bon côté ?". Chacun d’entre nous doit se poser la question, dans des circonstances tellement difficiles de la Seconde Guerre mondiale, avec le choix entre le destin pour sauver la France et la protection de sa propre famille, ou encore avec la complexité de l’organisation du monde avec l’Union soviétique… Nos compatriotes, à cette époque, ont eu à faire des choix qui n’étaient pas simples. Avec le recul, le bon côté est évident. J’admire ces gens, qui ont fait, souvent si jeunes, ces choix-là et pour moi, il est très important que le président de la République continue à commémorer, à sanctifier ces personnes et ces moments. Vous savez, la République a besoin de transcendance. Et honorer Tom Morel et ses compagnons, c’est honorer la transcendance.

Tourner le dos aux Glières ou au Vercors, ce serait piétiner notre histoire et ça, ce n’est pas possible. Et franchement, tout président qui honorera le Vercors ou les Glières aura mon soutien déterminé."

Une émission spéciale diffusée le 24 mars sur France 3 Alpes

Ce 24 mars 2024, l’émission Dimanche en Politique sera consacrée à l’anniversaire des combats du plateau des Glières.

À partir de 10h40, retrouvez Jordan Guéant, en direct du 27e Bataillon de chasseurs alpins d’Annecy (BCA), en compagnie de ses invités :

  • Le Colonel Jean-Gaël Le Flem, chef de corps du 27e Bataillon de chasseurs alpins ;
  • Gil Emprin, historien ;
  • Martial Saddier, Président du Département de la Haute-Savoie ;
  • Antoine Armand, député ;
  • Gérard Métral, président de l’association des Glières.

Tous reviendront sur l’histoire de ce grand lieu de commémoration, ainsi que l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy.

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