L'avocat du chirurgien grenoblois soupçonné d'avoir réalisé des opérations abusives sur une soixantaine de patients a annoncé qu'il avait porté plainte pour "diffamation". Plusieurs organes de presse ainsi que quatre victimes présumées sont visés, a annoncé Me Boulloud ce vendredi 10 mai.
L'avocat du chirurgien grenoblois soupçonné d'avoir commis des "erreurs médicales" a annoncé, ce vendredi 10 mai, avoir porté plainte pour "diffamation" et "dénonciations calomnieuses" à l'encontre de quatre victimes présumées et plusieurs organes de presse. Maître Bernard Boulloud a indiqué que "la présomption d'innocence est une limite à la liberté d'expression", annonçant que des plaintes avaient été déposées contre Le Parisien, Le Dauphiné Libéré et 20 Minutes.
Lors de sa conférence de presse organisée devant le palais de justice de Grenoble, l'avocat a affirmé que "la presse [avait] fait le procès du docteur V.". Tout en rappellant que le chirurgien mis en cause par une trentaine de personnes n'a fait l'objet d'aucune condamnation judiciaire.
Ainsi, le m"decin grenoblois a poursuivi, par la voix de son avocat, les directeurs de la publication de 20 Minutes et du Dauphiné Libéré pour "violation de la présomption d'innocence". "Les quatre premières prétendues victimes qui ont affirmé [dans la presse] que le docteur V. était directement responsable de leur handicap" sont également poursuivies pour "diffamation", a indiqué Me Boulloud.
Il y a quelques jours, un autre article du Parisien relayait le témoignage de la famille d'une victime présumée du chirurgien de Grenoble. Cette dernière accusait le docteur V. d'être responsable du décès du patient. "Une autre plainte a été déposée ce vendredi matin contre X [l'identité des interlocuteurs n'est révélée dans l'article, ndlr] qui ont tenu ces propos et contre la rédaction du Parisien", poursuit l'avocat du mis en cause.
Les audiences se tiendront le 11 juin 2019 à 13h30 au tribunal correctionnel de Grenoble. "Si le docteur V. engage ces procédures, c'est parce qu'on le traîne dans la boue à tour de bras sans vérifier si chacune des prétendues victimes a bénéficié d'un rapport d'expertise, énumère Maître Bernard Boulloud. Sans se renseigner sur le fait de savoir si chacune de ces victimes a bénéficié d'un jugement consacrant la responsabilité du docteur V.".
Étant donné que cette affaire ne fait pas l'objet d'une information judiciaire, Me Boulloud a indiqué qu'il ne pourrait pas donner plus de détail sur ce dossier, son client étant soumis au secret médical. Mais il a redit son regret de voir "de prétendues victimes anéantissent un homme humainement, professionnellement familialement", ajoutant que ces plaintes seront suivies "autant que faire se pourra".
Contre-attaque sur sa suspension
Le chirurgien grenoblois n'exerce plus depuis le début du mois de mai après sa suspension pour trois ans dont 18 mois avec sursis par le Conseil de l'ordre des médecins. C'est à ce moment que l'affaire a pris une tournure inédite, le docteur V. étant soupçonné d'avoir opéré abusivement une soixantaine de patients. Mais son avocat a annoncé saisir le Conseil d'Etat suite à cette suspension. Il remet en cause l'enquête menée par la CPAM de l'Isère qui a conduit à la décision du Conseil de l'ordre.
"Dans cette affaire, [un médecin-conseil] est intervenu auprès de confrères du docteur V. pour le discréditer à un point que vous n'imaginez pas", reprend Me Boulloud, assurant que ce dernier leur recommandait de "ne plus orienter leurs patients chez mon client mais chez d'autres praticiens".
L'avocat a également indiqué que ce même médecin-conseil, en charge de rédiger l'enquête pour la CPAM sur le docteur V., serait "intervenu auprès d'un expert en train de rédiger le rapport, c'est de la subornation de témoin", a-t-il accusé. Me Boulloud a également annoncé avoir déposé plainte dans le cadre de cette "affaire dans l'affaire". Une enquête devrait bientôt être ouverte par le parquet. "Nous accumulons de plus en plus de preuves, je suis optimiste sur la manière dont la justice grenobloise va mener cette enquête", a-t-il dit à la presse ce vendredi.
Pour rappel, il est toujours reproché au Dr V. d'avoir souvent pris des décisions d'opérer sans disposer "de tous les éléments nécessaires" et surtout de ne fournir "aucune explication convaincante" sur une trentaine de complications postopératoires.
"Scandale de santé publique" ?
Maître Bernard Boulloud, qui assure la défense du chirurgien mis en cause, s'est également demandé "pourquoi [les victimes présumées] ont attendu pour lancer le lynchage alors qu'elles vivent cet enfer depuis 2007, 2008 ou 2009". Selon lui, s'il y avait eu un "scandale sanitaire" en Isère, "on n'aurait pas attendu 2019 pour faire ce ramdam. On ne laisse pas un chirurgien soi disant dangereux opérer."
Un proche du docteur V. a tenu a aussi s'exprimer lors de cette conférence de presse. Le professeur Philippe Merloz a fait part de son "étonnement et incompréhension totale" sur le traitement de cette affaire. "Si le docteur V. n'avait pas montré des qualités professionnelles de très haut niveau, les confrères du CHU de Grenoble, toutes spécialités confondues, auraient été très rapidement alertés", a-t-il estimé.
Le 2 mai dernier, Me Edouard Bourgin, avocat de cinq des patients qui s'estiment victimes des agissements du chirurgien, avait réuni une trentaine de victimes présumées pour les informer sur leurs droits. Toutes affirment souffrir de séquelles après une opération menée par le chirurgien mis en cause. Sur les cinq dossiers dont Me Bourgin a été saisi, deux font l'objet d'une plainte au pénal. Une enquête préliminaire avait aussi été ouverte fin 2016 pour mise en danger de la vie d'autrui et escroquerie. Elle n'a donné lieu à aucune mise en cause pour l'instant.
L'avocat des parties civiles voit dans cette affaire "un scandale de santé publique". Il dénonce une certaine "inaction des institutions censées enquêter et réprimer, alors que c'était à Grenoble un secret de polichinelle que ce médecin avait une tendance compulsive à opérer dans des conditions de légèreté absolue".